A la rentrée 2021, on comptabilise plus de 40 000 étudiants en situation de handicap dans l’enseignement supérieur, soit 5 fois plus qu’en 2017. 85% des universités ont adopté un schéma directeur handicap. Le Comité national de suivi de l’université inclusive vient d’effectuer le bilan des avancées majeures en termes d’accompagnement des étudiants en situation de handicap depuis 2017 et la poursuite des efforts pour un enseignement supérieur inclusif. Selon lui les avancées les plus concrètes en matière d’inclusion sont le décret du 14 novembre 2021 sur les aménagements des examens et concours, le programme Aspy Friendly mis en œuvre dans 26 établissements au profit de plus de 400 étudiants avec des troubles du spectre de l’autisme et le lancement de la rubrique « Etudes supérieures » sur la plateforme Mon Parcours Handicap. Pour aller plus loin, l’association TREMPLIN Handicap vient de mener avec l’IFOP une étude sur le vécu des jeunes handicapés en matière d’orientation scolaire et d’accès à l’emploi. Si les avancées sont réelles, comme le montre par exemple Sciences Po, beaucoup de chemin reste encore à parcourir.
Handicap et orientation. Selon l’étude menée par TREMPLIN Handicap un jeune en situation de handicap sur deux affirme que les choix d’orientation les a « beaucoup inquiété » : 50% contre 33% pour le reste de la population de leur âge. De même, seulement 36% des jeunes en situation de handicap estiment que les choses sont faciles dans le cadre de leurs études (contre 54% pour l’ensemble des jeunes). En revanche ils sont plus nombreux que le reste de la population de leur âge à estimer avoir « eu toutes les informations pour bien s’orienter » (51% contre 46%). Surtout ils sont 80% à estimer « faire des études ambitieuses » contre 67% en moyenne.
Ces obstacles vont de pair avec des difficultés plus importantes dans le domaine administratif (64% d’entre eux). Cette problématique s’explique par le fait que les jeunes handicapés sont davantage amenés à faire des démarches administratives que les autres.
Ces difficultés accentuées par la recherche d’emploi : 74% de ceux qui sont en emploi estiment qu’elles ont été difficiles, contre 49% pour le reste de la population. Car c’est d’abord la prise en compte de leur handicap qui a été déterminante dans leurs choix d’orientation : 43%. La rémunération n’entre quant à elle en compte que dans 24% des cas quand elle est mise en avant par la moitié du reste de la population.
Des actions de terrain. Les handicapés seront de mieux en mieux reçus dans les entreprises à mesure que les managers apprendront comment générer pour eux des conditions de travail satisfaisantes. Pour permettre à ses étudiants de mettre en pratique leurs connaissances et d’avoir un impact sur la vie de personnes en situation de handicap, KEDGE Design School a par exemple décidé de les faire travailler sur un projet « Faire corps » en collaboration avec des personnes amputées pour lesquelles ils ont produit le design d’une prothèse biomécanique.
Le projet « Faire corps » proposait à ces étudiants de travailler en mode « agence », ils étaient confrontés à leurs « clients » qui leur ont exprimé des attentes et auprès desquels ils devaient au terme de la session, proposer un design à la fois fonctionnel et esthétique, adapté à la demande de chacun. Ce projet a mis en lumière des problématiques d’inclusion mais aussi d’hybridation entre corps et technologie.
Répartis en 5 groupes, ils ont rencontré leurs commanditaires et ont pu échanger avec chacun d’entre eux. « Il y avait beaucoup d’émotion de part et d’autre. D’un côté les étudiants très investis et désireux de satisfaire pleinement les attentes exprimées et pour lesquelles ils ont mis en œuvre leurs savoir-faire, et de l’autre, les personnes amputées qui ont été surprises par la qualité des travaux et la justesse des propositions », commente Fabrice Pincin, professeur chercheur en design en charge du projet.
Les étudiants de KEDGE présentent leurs prothèses (Photo : Fabien Alberto-Leblanc)
Sciences Po ou la « pédagogie du handicap ».H uit fois plus d’étudiants de Sciences Po qu’il y a 10 ans souffrent aujourd’hui d’une forme ou d’une autre de handicap. C’est pour eux que le Pôle handicap de Sciences Po a réalisé plusieurs guides extrêmement bien conçus sur les questions d’inclusion dont l’excellent « Handicap : j’adopte la bonne attitude » qui s’adresse plus particulièrement aux personnels. L’idée est de « passer d’une stratégie de « compensation » par aider aix étudiants handicapés à des méthodes pédagogiques qui conviennent à tous les étudiants ».Quand il s’agit d’aider les étudiants souffrant d’handicaps visibles comme invisibles (autisme, troubles « dys », troubles psychiques), les mesures de compensation se situent essentiellement aujourd’hui en périphérie de la salle de cours (attribution de tiers temps, compensations humaines ou techniques…) mais encore peu de réponses concernent les modalités de transmission et d’évaluation des savoirs. Depuis 2016 et à partir d’expérimentations menées par d’autres universités, notamment canadiennes, Sciences Po a développé des méthodologies exploitables en interne comme en dehors de ses murs.
Certaines personnes en situation de handicap peuvent en effet avoir passé les épreuves en profitant de conditions particulières mais ne plus vouloir en parler ensuite. Au risque de ne pas pouvoir bien suivre des cours pas adaptés sachant que la démarche leur revient totalement sans que l’institution qui les reçoit puisse l’exiger. D’après les premières évaluations menées en 2017 à Sciences Po dans plus de 95% des cas rencontrés, la phase de décrochage est en lien avec une situation de handicap invisible.
Comme le démontre le travail effectué par Sciences Po, quelques règles peuvent permettre de résoudre bien des problèmes. Prenons l’exemple du professeur qui demande de « tracer la frontière » entre les PIB de la France et de la Suisse dans un diagramme, donc une courbe, ce sera impossible pour un autiste qui ne peut pas imaginer qu’une frontière ne soit pas droite. Alors qu’en parlant de courbe il réussira parfaitement l’exercice… C’est dans cet esprit que Sciences Po a réalisé toute une série de petits films pour montrer aux enseignants comment adapter leur pédagogie. Diffusés sur le blog de son pôle handicap ils sont accessibles à tous ceux qui se demandent par exemple comment permettre à un dyslexique de bien lire un cours. Un handicap relativement facile à surmonter pour peu qu’on prenne le soin de diviser son cours en de nombreux paragraphes, de souligner les points importants ou… d’utiliser une typographie très lisible type Arial. Mais bien sûr d’autres pathologies sont beaucoup plus difficiles à traiter comme la bipolarité ou la dyspraxie.