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Comment l’École polytechnique a réalisé ses MOOCs : entretien avec Frank Pacard, directeur de l’enseignement et de la recherche

Directeur de l’enseignement et de la recherche de l’École polytechnique depuis l’été 2013, Frank Pacard s’est beaucoup investi dans la création des premiers MOOC (massive open online courses) de l’X, des cours en ligne accessibles à tous et gratuits. Alors qu’un premier cours s’est achevé fin 2013 sur la plateforme Coursera, il revient sur une expérience aussi passionnante que complexe.

Olivier Rollot : Alors qu’un deuxième MOOC de l’X est encore en ligne, votre premier MOOC, consacré à la Conception et mise en œuvre d’algorithmes, s’est maintenant achevé. Quel bilan tirez-vous de cette première session de cours complète?

Frank Pacard : D’abord une grande satisfaction de voir que les deux enseignants de ce premier MOOC, Dominique Rossin et Benjamin Werner, ont beaucoup apprécié cette expérience ainsi que les échanges avec des étudiants de tous les âges, des lycéens comme des retraités, qui ont suivi ce cours et qui ont posé énormément de questions. Un MOOC c’est l’occasion d’une rencontre avec un public avide d’apprendre et, surtout, ravi de pouvoir suivre des cours en ligne en français. Alors bien sûr tout n’a pas été facile, l’équipe pédagogique a appris en marchant, été obligée de résoudre quelques problèmes techniques, notamment pour des programmes informatiques qui venaient en support aux cours. Ils ont également dû apprendre à écrire le scénario d’un cours en vidéo. De nombreuses difficultés à surmonter, mais le bilan est très positif.

Frank Pacard, directeur de l’enseignement et de la recherche de l'Ecole polytechnique (©-École-polytechnique-J.-Barande)

O. R : Vous pouvez établir un bilan chiffré? Combien d’inscrits, combien d’étudiants qui sont allés jusqu’au bout?

F. P : Nous avons entre 7000 et 8000 inscrits par cours mais il faut bien comprendre que s’inscrire à un MOOC est très facile, un simple clic suffit, et seulement la moitié des inscrits a vraiment commencé à suivre le cours. Il y a également beaucoup de désistements lors de la première semaine de cours – des élèves qui se rendent compte que le cours ne correspond pas à leurs attentes ou à leur niveau connaissances – mais la plupart des élèves qui suivent jusqu’au bout la première semaine de cours, s’accrochent pour terminer le cours. Près de mille élèves sont allés jusqu’au bout de ce cours. Une semaine, c’est aussi le temps nécessaire pour que les forums de discussion entre élèves s’organisent et qu’un esprit de communauté voit le jour. L’implication des enseignants, dont la tâche est en quelque sorte de « faire prendre la mayonnaise » pendant cette période, est cruciale pour le succès du MOOC.

O. R : Un bon chiffre quand on sait que vous avez mis en ligne un vrai cours de Polytechnique.

F. P : Le cours mis en ligne n’est pas tout à fait le même que celui qu’auraient suivi nos élèves mais en tout cas il est d’un niveau comparable. Les enseignants avaient déjà beaucoup de matériel pédagogique prêt mais la difficulté est surtout de bien cerner quels sont les prérequis nécessaires pour aborder un cours qui est ouvert à des apprenants de niveau forcément hétérogène et dont on ne maîtrise pas le profil, contrairement à ce qui se passe dans les cours en présentiel pour lesquels les enseignants connaissent a priori le cursus antérieur des élèves.

O. R : Vous n’avez pas voulu, comme certains, mettre en ligne un cours plus simple pour avoir de grands volumes d’élèves ?

F. P : La vocation de l’École polytechnique n’est pas de proposer des enseignements de niveau lycée, d’autres le font beaucoup mieux que nous. Nous avons donc construit notre offre de cours en ligne en partant des cours que nous dispensons à nos élèves, ce qui nous permet au passage de montrer la qualité de notre enseignement.

Estl 50 Ing Comment l’École polytechnique a réalisé ses MOOCs

O. R : Pourquoi avoir choisi Coursera ?

F. P : D’abord pour la visibilité de cette plate-forme, ensuite pour de simples raisons financières, enfin pour la qualité technique de la plate-forme, l’aide et l’expertise apportées par les équipes de Coursera. Mais nous sommes également présents sur la plate-forme française France Université Numérique (FUN), qui n’existait pas à l’époque où nous avons annoncé nos premiers MOOCs sur Coursera.

O. R : Quels sont les principaux problèmes que vous avez rencontrés ?

F. P : L’effort le plus important a été de faire que les professeurs s’approprient le concept même de cours en ligne. Enregistrer un cours devant une caméra n’est pas un exercice facile car on ne peut pas laisser de la place à l’improvisation et la scénarisation des cours est un des points qui a été le plus dur à gérer. Avec l’expérience, les enseignants apprennent comment ne pas perdre la caméra des yeux, à parler en absence public, etc. Parler devant une caméra, c’est très déconcertant pour un enseignant et certains professeurs nous ont même demandé à pouvoir parler devant un auditoire.

O. R : Le format ce sont des cours de 15 minutes environ ?

F. P : Oui et cela demande beaucoup de travail de la part des professeurs pour organiser son cours sur un format aussi court et inhabituel. En se visionnant certains enseignants ont été déçus par le résultat et ont voulu refaire leur vidéo par perfectionnisme. C’est très difficile de faire une vidéo, dont on voudrait qu’elle soit « parfaite », car on sait qu’elle sera visionnée par plusieurs milliers de personnes dans le monde entier. Nous avons d’ailleurs effectué un important travail de visionnage de chaque vidéo par des enseignants chargés de détecter les petites coquilles, les tics de langage, qui se produisent pendant la conception de la vidéo du cours.

O. R : Il n’y a pas eu de freins, de peurs, de la part de certains enseignants ?

F. P : Passées quelques peurs sur la fin du métier d’enseignant ou une supposée volonté de la direction de l’École de vouloir faire des économies, il n’y a aujourd’hui pas vraiment de freins à Polytechnique, si ce n’est l’investissement que représente un MOOC. La conception d’un MOOC coûte quand même beaucoup plus cher qu’un cours classique, notamment en termes d’énergie fournie par les équipes pédagogiques et techniques.

O. R : Justement combien coûte le développement d’un MOOC ?

F. P : Nous n’avons pas fait de chiffrage exact. Nous avons tourné nos MOOCs dans nos propres studios avec nos équipes de tournage et de montage, qui ont fait un travail tout à fait remarquable. Mis à part ce coût lié au tournage, le seul coût qu’on peut facilement estimer c’est celui du temps de travail des équipes pédagogiques qui ont participé aux MOOCs et là nous estimons qu’il est supérieur à celui nécessaire pour concevoir un cours de première année devant 500 élèves.

O. R : La qualité de l’image est-elle cruciale ?

F. P : Elle est importante mais à mon avis, elle n’est pas cruciale. Par contre la qualité de la diction et du son sont très importantes, notamment pour les élèves qui suivent nos MOOCs mais qui ne maitrisent pas bien le français. L’École est également engagée dans des cours à distance en anglais, en collaboration avec l’Université de Stanford – le programme Stanford Ignite sur l’entrepreneuriat – et là aussi nous nous sommes aperçus que la qualité du son est primordiale pour permettre aux élèves non anglophones de bien comprendre le professeur et de poser des questions. Les questions techniques sont pour les MOOCs déterminantes et les élèves qui participent à ces cours s’attendent à ce que la technique suive.

O. R : Vous rediffuserez votre premier cours ? En y faisant des modifications ?

F. P : Je l’espère bien. Les professeurs voudrons certainement faire quelque peu évoluer leur cours en fonction des retours qu’ils ont eus, notamment sur les prérequis nécessaires et les passages difficiles du cours. Il y a eu pas mal de demandes pour que nos cours soient sous-titrés.

O. R : Pourquoi ne pas proposer une certification aux étudiants qui ont suivi le cours avec un examen final pour valider leurs compétences acquises ?

F. P : Nous remettrons aux élèves qui ont terminé le cours avec succès un certificat d’assiduité, c’est tout. Nous ne sommes pas aujourd’hui dans une logique certifiante. D’ailleurs, je ne suis pas persuadé que les élèves qui suivent nos cours le font seulement pour passer un examen. Ce qu’ils veulent, c’est avant tout apprendre.

O. R : Vous vous sentez moteurs du développement des MOOCs ?

F. P : Notre expérience nous permettra en tout cas de faire avancer le dossier au sein du campus Paris-Saclay comme au sein de ParisTech. Avant nous, il y eu d’autre expériences réussies de MOOC en France en 2012, notamment celle de l’École Centrale de Lille avec un MOOC sur la gestion de projet, l’École Normale Supérieure, HEC, l’École Centrale de Paris ou Télécom ParisTech se sont maintenant lancés et nous partageons notre expérience avec eux.

O. R : Vous n’avez pas peur qu’on vous accuse de préempter des pans entiers de savoir ?

F. P : Ce n’est pas parce que Polytechnique propose un MOOC sur la théorie des probabilités que tous les cours de probabilités vont disparaitre. Si, sur un même sujet, vous regardez les cours des différentes universités, vous verrez que les approches sont multiples, les points de vue différents et les objectifs également. Il existe déjà, sur un même sujet de nombreux cours écrits et il s’en produit toujours de nouveaux.

O. R : Au-delà des MOOCs, le développement du numérique et des vidéos va sans doute faire évoluer les pédagogies dans l’enseignement supérieur.

F. P : Effectivement, l’avènement des MOOCs va certainement accélérer l’appropriation des nouvelles technologies dans l’enseignement, faire évoluer les pratiques pédagogiques dans les établissements, les enrichir. Par exemple, un professeur de l’Ensta ParisTech dispense actuellement une partie de son cours de mécanique quantique à travers des vidéos que les élèves doivent visionner avant le cours, le cours devient lui un espace plus propice à la discussion et à l’approfondissement des notions plus difficiles à appréhender. Les retours des élèves sont visiblement très positifs. Certes toutes les matières ne se prêtent pas forcément à cette façon de travailler mais ce professeur m’a confié qu’il était heureux de voir comment les étudiants travaillent en groupe ses cours en ligne qu’ils passent et repassent sur leur ordinateur pour mieux se l’approprier.

O. R : Et maintenant quels nouveaux MOOCs allez-vous mettre en ligne?

F. P : Sur Coursera, nous en avons déjà un autre en ligne (« Aléatoire : une introduction aux probabilités »). En janvier va suivre un troisième cours sur « L’initiation à la théorie des distributions ». Nous serons également présents sur FUN avec un cours sur « L’optique non linéaire » en février. Maintenant, nous avons beaucoup de demandes dans nos départements et il va nous falloir choisir quels sont les cours que nous allons mettre en ligne en priorité. Concevoir un cours en ligne demande des efforts énormes de la part des équipes enseignantes et techniques, en mettre quelques-uns de plus en ligne chaque année sera déjà bien.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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