Comment se forge un destin ? Ce fut d’abord un mauvais jour pour l’étudiant qu’était alors Elian Pilvin. Celui où tout son matériel de sono fut saisi. « Je faisais partie d’un collectif qui organisait les premières rave parties en France début des années 90. Après un week-end de fête, 4 000 personnes dans un champ près du Havre, tout notre matériel a été saisi par les gendarmes », se souvient Elian Pilvin. Deux solutions possibles : tout laisser tomber ou se structurer. C’est-à-dire créer son entreprise. Nous sommes en 1993. Le destin d’Elian Pilvin vient de basculer. L’étudiant en première année d’une école qui s’appelait alors l’ESC Le Havre est devenu chef d’entreprise : « Mon père m’avait dit de me mettre en règle avec le système. C’est ce que j’ai fait en m’associant avec un ami, un technico-commercial de génie qui avait arrêté ses études ». L’aventure de son entreprise de location de matériels de soirées, qu’il appelle CSL, commence. Multi entrepreneur, Elian Pilvin va monter et diriger des entreprises pendant 20 ans : « D’une carrière dans la finance à laquelle je songeais me voilà devenu créateur d’entreprise et étudiant à une époque où ne nous bénéficions d’aucun accompagnement. »
Les années de formation. Né au Havre, Elian Pilvin y aura passé la plus grande partie sa vie. Mais après avoir beaucoup voyagé. Inde, Afrique, Etats-Unis, Europe, même de l’Est à une époque où elle reste très fermée, ses parents lui font découvrir le monde pendant toute son enfance. Très « soixante-huitards » dans leur éducation – sa mère est institutrice, son père psychologue ergonome – ils le laissent totalement libre de ses choix : « Ils me disaient « tu travailles pour toi et on sera toujours là pour t’accompagner ».
Au lycée il choisit donc de s’orienter en série B (ES jusqu’à la réforme du bac) parce qu’il « aime les mathématiques mais pas la physique ». En fin de première, une évidence lui apparait : « Je ne savais absolument pas ce que je voulais faire ». Passer par une classe préparatoire économique et commerciale lui parait donc un bon moyen de « prendre le temps de choisir ». Et comme il n’y a pas de classe préparatoire ECE au Havre, il part à Rouen au lycée Flaubert où il « bosse beaucoup » mais « ne fait pas trop de concessions sur sa vie personnelle et sportive ». Il vit sa vie d’étudiant dans un appartement rouennais tout près de ses deux meilleurs amis qui font médecine : « J’ai passé deux belles années à Rouen qui était à l’époque une ville très vivante alors que Le Havre était assez triste ».
« Élève de milieu de tableau en prépa », Elian Pilvin n’en excelle pas moins en économie et obtiendra même une note de 19,5 au concours d’HEC ! Admis dans les ESC Lille, Montpellier et Le Havre, il décide finalement de revenir au bercail : « Les deux autres campus ne me faisaient pas rêver. Les villes de Lille et Montpellier étaient bien différentes il y a 30 ans de ce qu’elles sont aujourd’hui ».
Quand le golf le mène à Washington. Étudiant, entrepreneur, Elian Pilvin est également déjà un golfeur passionné quand il intègre l’ESC Le Havre. Depuis ses 15 ans, il joue régulièrement sur le golf d’Etretat, l’un des plus beaux de France sur les falaises. Devenu étudiant il monte avec ses amis une compétition de golf inter écoles de commerce. Que sponsorise Air France. « C’est là que je rencontre un ancien de l’école, mais pas diplômé car il avait quitté la France pour ne pas faire la guerre d’Algérie. Parti à New York, il est devenu directeur d’Air France pour la côte Ouest des Etats-Unis. » Parce qu’il rêve de faire son stage là-bas, Elian ne tarde pas à lui écrire : « Trois mois plus tard ma mère me dit que j’ai reçu un billet d’avion et une lettre. Le directeur d’Air France me propose un stage de 6 mois à Washington DC, parce que je suis à la fois golfeur et étudiant dans l’école dont il n’a pu être diplômé ».
Nous sommes en 1994, Elian Pilvin a 21 ans. En France les élections présidentielles de 1995 approchent et tous les candidats veulent se faire remarquer en venant dans la capitale américaine. « Air France était une quasi-ambassade et je participe alors à la réception de toutes les délégations officielles, Jacques Chirac, François Léotard qui est ministre de la Défense, Edouard Balladur qui est Premier Ministre, etc. » Et parce qu’aux Etats-Unis c’est sur les greens de golf qu’on fait des affaires, il va y jouer quasiment tous les jours avec le directeur de la filiale, qui lui enseigne les codes et les usages du « business à l’américaine ».
Un destin américain qui aurait bien se transformer en expatriation si un nouveau concours de circonstances n’avait pas encore modifié son destin : « J’étais allé faire mon stage avec un visa tourisme, ce que n’ont pas manqué pas de me faire remarquer les services d’immigration américains quand j’ai demandé un visa pour faire ma Coopération du service national à l’étranger (aujourd’hui « volontariat international en entreprise », VIE). Tout tombe alors à l’eau et je suis forcé de rester en France. »
Retour à l’EM Normandie. En 1996 Elian Pilvin reprend pour la première fois contact avec l’ESC Le Havre en y accomplissant une mission quand Robert Papin, pape de la méthode « HEC entrepreneurs », vient y transformer le programme Grande Ecole. Cinq ans plus tard, en 2001, parce qu’il a une « vraie fidélité à son école », il prend la présidence de son association des anciens. En 2004, quand l’ESC Le Havre et SUP EUROPE réaliseront la première fusion entre écoles de management qui donne le jour à l’EM Normandie, il s’attèlera à la fusion des associations : « Il a fallu convaincre les diplômés qui hésitaient devant l’abandon des noms historiques de chacune de leurs écoles. En 2006 nous avons acté cette fusion lors d’une rencontre au pied du Pont de Normandie ». En 2007 il prend la décision de proposer aux étudiants une cotisation à vie dès leur intégration et en 2008 enfin l’association prend sa structure actuelle en embauchant sa première salariée.
Toujours président de l’association, Elian Pilvin revend sa principale entreprise, CSL, en 2009 et s’accorde alors quelques années de césure : « A 37 ans j’arrête de travailler, je m’occupe de mes enfants, je joue au golf et je prends le temps de réfléchir à mon avenir ». Ce ne sont pas tout à fait des vacances non plus. En 2010 il se lance dans un E-MBA à HEC : « Une fantastique formation dans des conditions idéales qui m’a permis de structurer tout ce que je faisais jusqu’ici de manière intuitive ».
Directeur marketing et relations entreprises. Fin 2012, le directeur marketing et relations entreprises de l’EM Normandie, Benoît Anger, vient de quitter l’école. Pourquoi ne pas lui succéder ? C’est son grand retour à l’école dont il devient, deux ans plus tard, directeur du développement et des opérations en charge des alumni, du digital, de la communication, de l’international en partie et des nouveaux projets : « Je gérais environ un tiers des effectifs de l’école. C’est alors que le conseiller pédagogique de l’école, Patrick Joffre, me dit qu’il faut que je fasse un doctorat. Une vraie douche froide alors que je sortais tout juste de mon MBA ! »
Elian Pilvin ne s’en lance pas moins dans la préparation d’un DBA (Doctorate of Business Administration) en septembre 2015 à l’université Paris Dauphine-PSL. Deux ans plus tard son sujet se clarifie. Son DBA s’appellera « Entre research et teaching institution, une cartographie du champ organisationnel des business schools françaises en 2019 ». Il le soutiendra en 2021, treize mois après avoir pris ses fonctions pleines et entières de directeur général de l’école : « Pour ce DBA j’ai conçu un module d’analyse statistique qui propose un mapping des écoles sur des critères quantitatifs sous forme de groupes stratégique. Cela permet de donner une représentation différente de celle des classements et de mettre en évidence les dynamiques concurrentielles inter et intra groupes, non lisibles dans ces derniers. La conclusion qu’il en tire : « Que pour la majorité des écoles les concurrents ne sont pas ceux auxquels on pense… »
Directeur de l’EM Normandie. En 2019 le directeur général depuis quinze ans de l’école, l’emblématique Jean-Guy Bernard, annonce son départ à la retraite. Un cabinet de recrutement est missionné pour trouver son successeur. Elian Pilvin postule : « Ce n’était pas dans une vision carriériste. Seule l’EM Normandie m’intéressait car c’est mon école de cœur. Une école ce n’est pas une entreprise comme les autres. Nous avons une mission supérieure ». Il défend aussi un changement de modèle : « La Grande Ecole comme on l’entend ça n’a plus de sens au regard des enjeux de demain. Les étudiants que nous formons doivent avoir une boite à outils conceptuelle plus large. Il faut élargir les discipline d’enseignements et immerger nos étudiants dans des contextes d’apprentissages à forte valeur ajoutée ».
Cette période va être difficile pour Elian Pilvin, en arrêt maladie pendant plus de deux mois pour une tumeur à l’hypophyse, « Il n’y avait pas de péril vital mais je risquais de perdre la vue. » De retour en juin 2019 il passe les entretiens pour le poste de DG. Est choisi. Puis est réopéré. Enfin en septembre 2019 il est nommé directeur délégué, en duo avec Jean-Guy Bernard, puis directeur de plein exercice le 1er février 2020. « Nous étions à la veille du premier confinement et il a vite fallu tenir le cap. Cette période exceptionnelle à tous égards qui malheureusement n’est pas terminée a finalement permis d’accélérer les mutations de l’école, notamment dans le domaine du digital. »
Le voilà à la tête d’une « très belle école, que Jean-Guy Bernard a poussé au maximum de son potentiel » et qui doit maintenant « se repenser alors qu’elle vient de célébrer ses 150 ans et se transformer dans sa forme et son fond pour être pleinement en phase avec les enjeux de nos sociétés contemporaines ».
Les premières orientations stratégiques prises par l’école à horizon 2030 sont dévoilées en septembre 2021. Mais déjà un nouveau bâtiment de 14 000 m² à Clichy, aux portes de Paris, vient d’ouvrir en janvier. L’école fait ainsi plus que tripler la superficie de son implantation dans la capitale. « C’est dans ma culture entrepreneuriale. Il faut savoir investir lourdement pour aller plus loin, mesurer et prendre des risques pour exister dans un marché très concurrentiel. Notre précédent bâtiment était un vrai succès mais ce n’était pas un campus comme nous le voulions. Nous allons maintenant pouvoir déployer toute la palette de services que sont en droit d’attendre nos étudiants. C’est un campus, comme d’ailleurs celui du Havre, aux standards internationaux de notre marché, une vitrine qui nous permettra de recruter davantage en dehors de nos frontières hexagonales ». Et ce n’est pas tout. Après un tout nouveau campus qui a ouvert en Havre en 2020, d’autres vont suivre à l’international, à Dubaï et Ho Chi Minh Ville en 2022 et 2023, avec en ligne de mire une implantation sur le continent américain d’ici 2025. Déjà présente à Oxford et Dublin, l’EM Normandie se mondialise plus que jamais.