Christophe Lerouge
Ces dernières années IMT Atlantique s’est particulièrement investie dans son développement international au point d’être souvent l’école d’ingénieur la mieux placée dans différents classements. De retour du Japon où il est allé à la rencontre de ses universités partenaires son directeur, Christophe Lerouge, nous livre sa méthode pour développer son école.
Olivier Rollot : Depuis sa création IMT Atlantique s’est particulièrement investie dans son développement international. Vous revenez justement d’un voyage au Japon. Pourquoi cet engagement ?
Christophe Lerouge : Développer, dynamiser, nos partenariats à l’étranger est un objectif prioritaire pour IMT Atlantique. Notamment pour faire progresser des effectifs que nous allons également chercher à l’international. Nous voulons être plus attractifs pour de plus en plus d’étudiants internationaux mais aussi d’enseignants-chercheurs partout dans le monde. Il s’agit enfin également de pouvoir envoyer nos propres étudiants à l’étranger dans des établissements de premier plan, en double diplôme ou en transfert de crédits.
Si je suis allé récemment au Japon, c’est pour renouer les partenariats historiques que nous y avons à Tokyo, Kobe et Nagoya. Pays leader dans les domaines de la technologie et de l’ingénierie, le Japon, est un partenaire historique d’IMT Atlantique. En renforçant nos accords avec l’Université de Tokyo, l’Université de Keio et les instituts de recherche nationaux (Riken, NICT et NII) nous pouvons également continuer à faire profiter nos étudiants de nos relations pour des mobilités académiques : chaque année ce sont entre deux ou trois qui partent là-bas pour un double diplôme et en tout cinq ou six en échanges académiques avec des transferts de crédit. J’ajoute que des cours en master y sont dispensés en langue anglais et qu’il faut uniquement parler japonais pour la vie de tous les jours. Nous proposons à nos élèves de suivre des cours de langues en amont.
O. R : Au Japon vous êtes également allés à la rencontre des startups.
C. L : IMT Atlantique était invité en tant que partenaire privilégié aux côtés de University Texas Austin, National University of Singapore, Station F, Shanghai Jiatong University… , à l’inauguration de Station AI à Nagoya, le 1er novembre, un incubateur géant dédié à l’innovation. Nous avons pu y montrer le rôle que l’école joue dans l’innovation issue du monde académique en se positionnant sur le développement de plates-formes technologiques au service de l’industrie du futur. Nous allons ainsi pouvoir développer des accords entre les incubateurs japonais et français du groupe IMT.
O. R : Quels autres pays sont prioritaires dans vos accords de partenariats ?
C. L : Nous ciblons les pays avec lesquels nous sommes complémentaires et notamment des pays africains et sud-américains sur la formation et l’accueil d’étudiants qui nous rejoignent. En tout 30% de nos étudiants sont internationaux, essentiellement issus de pays francophones pour nos formations d’ingénieurs, mais aussi d’autres provenances dans nos MSc en langue anglaise. Enfin, nous proposons deux programmes Erasmus Mundus pour recevoir des étudiants internationaux en nombre.
O. R : Quel est l’impact de votre recherche à l’international ?
C. L : Nous nous développons en nous appuyant sur quelques pépites comme notre laboratoire Subatech consacré à la physique nucléaire qui participe notamment aux expériences du CERN à Genève.
Nous sommes également parmi les très rares établissements à posséder un laboratoire international en Australie, à Adelaïde, en collaboration avec ses trois universités. Souvenez-vous il y a quelques années la France avait conclu un accord avec le gouvernement australien pour construire des sous-marins. Naval Group nous avait alors demandé de les accompagner pour développer des partenariats de recherche en compagnie du CNRS. Comme vous le savez l’accord a fini par capoter mais nous sommes restés dans ce qui constitue aujourd’hui une tête de pont pour des partenariats de recherche et pour recruter des étudiants australiens.
C’est aussi ce que nous avons fait en Chine en nous implantant, avec un consortium d’établissements français, près de Canton à la demande d’EDF lors de la vente de centrales EPR. Nous formons ainsi des étudiants en Chine alors qu’une trentaine d’étudiants chinois viennent nous rejoindre en France chaque année.
O. R : Et en Europe quelles sont vos principaux accords de partenariats ?
C. L : Nous nous inscrivons dans la logique de l’Institut Mines Télécom (IMT) et du consortium EULiST (European Universities Linking Society and Technology) créé en
2020 dans le cadre de l’initiative « Universités européennes ». EULiST a notamment pour objectif de développer de nouvelles solutions adaptées à la transition écologique et déjà 25 travaux de recherche sont financés.
O. R : Toutes ces actions permettent également à IMT Atlantique d’obtenir de bons rangs dans les classements internationaux.
C. L : Depuis huit ans, nous sommes effectivement classés par le Times Higher Education. En 2025 dans les 400 premiers – 7ème université française – de son World University Ranking, mais aussi 65ème mondial du THE Impact et 60ème du Young University Ranking sur 1171 établissements classés. Cela n’est pas un objectif en soi d’obtenir ces classements, mais ils démontrent aux enseignants-chercheurs que nous recrutons, comme aux étudiants qu’ils intègrent une université de classe mondial.
O. R : La tutelle de l’Institut Mines Télécom, le ministère de l’Économie et des finances, vous demande d’augmenter vos promotions. Or le nombre d’étudiants promet plutôt de stagner, puis de baisser dans les années à venir. Comment allez-vous opérer ?
C. L : Nous comptons sur notre réputation avec un objectif de croissance de nos effectifs de 25% à l’horizon 2027. Le recrutement d’étudiants étrangers va nous aider à atteindre cet objectif. Nos recrutements ont été excellents en France cette année en France comme à l’international.
O. R : Cette croissance inclue-t-elle le doctorat dont on sait qu’il reste le point faible de la France, comme vient de le rappeler un tout récent rapport ?
C. L : Effectivement, nous n’attirons pas assez de nos propres élèves en thèse : aujourd’hui ce ne sont qu’entre 5 et 6% de nos élèves qui poursuivent en doctorat et la moitié de nos thésards sont internationaux. Nous pourrions d’autant plus progresser que nous possédons notre propre école doctorale. Nous sommes une véritable université à l’international et je suis reçu comme le président d’une université de technologie. Certes, de moins de 3 000 étudiants, mais hyper sélective, comme d’autres dans le monde sur un modèle postgraduate.
O. R : Justement, pensez-vous un jour développer un bachelor ?
C. L : Pour l’instant l’Institut Mines Télécom ne dispense des bachelors scientifiques en France qu’à Nord Europe et depuis cette année à Saint-Etienne. Et ces étudiants seront tout à fait les bienvenus pour rejoindre ensuite nos formations d’ingénieurs. A IMT Atlantique, nous y réfléchissons aussi mais il faut bien prendre garde à ne pas détruire le vivier des classes préparatoires.
O. R : La vie étudiante, l’expérience étudiante sont devenues une priorité pour les établissements, notamment depuis la crise Covid. Quels sont vos grands atouts en la matière ?
C. L : D’abord de pouvoir loger tous nos étudiants de première et deuxième année de cycle ingénieur, mais aussi tous les internationaux, dans des résidences étudiantes sur nos campus : 600 places à Nantes, autant à Brest et 200 à Rennes, pour en tout 2 200 étudiants. Nous disposons également de services de restauration, de gymnases et de terrains de sport. Dans chaque ville nous avons donc de vrais campus tout en offrant une expérience de vie dans la ville.
Par ailleurs, nous allons bientôt changer le règlement de scolarité pour mieux prendre en compte le travail extrascolaire de nos étudiants, comme dans des associations, en leur permettant d’obtenir des crédits supplémentaires.
O. R : On le sait l’heure n’est pas aux largesse budgétaires. Qu’en est-il de votre budget et souhaiteriez-vous augmenter vos droits de scolarité ?
C. L : Notre budget est d’environ 95 M€ dont 40 M€ de ressources propres. Notre marge de manœuvre essentielle est donc le développement de partenariats industriels – nous disposons de 16 chaires industrielles pour des projets de recherche – mais aussi la levée de fonds avec du mécénat dans le cadre de la Fondation de l’IMT.
Nos droits de scolarité sont aujourd’hui de 3 200€ par an bien loin du montant des écoles privées. S’ils devaient augmenter ce serait dans le cadre d’un arrêté ministériel. Seuls nos MSc peuvent être proposés à des tarifs pouvant atteindre les 9 000€.
O. R : Pas de formation continue ?
C. L : Nous avons arrêté d’en faire. Nos enseignants-chercheurs sont déjà mobilisés par leur recherche et leurs enseignements en formation initiale et nous leur en demandons déjà beaucoup. Pour nous relancer en formation continue, il nous faudrait trouver d’autres types d’intervenants.
- Nouveau classement de l’interdisciplinarité : IMT Atlantique seule école d’ingénieurs classée pour la France. Lancé en association avec Schmidt Science Fellows, le Times Higher Education (THE) Interdisciplinary Science Rankings 2025 a été publié pour la première fois le 21 novembre 2024. Ce nouveau classement international vise à récompenser les universités mondiales à la pointe de la science interdisciplinaire pour résoudre les défis mondiaux. Le classement THE ISR mesure entre autres, les financements, les recrutements spécifiques et les espaces et structures de travail pour encourager la recherche interdisciplinaire. Seule école d’ingénieurs classée, IMT Atlantique se positionne à 138ème place d’un classement qui sacre le MIT (Massachusetts Institute of Technology) devant Stanford et la National University of Singapore. 12ème TU Munich est la première université du continent européen. 68ème Aix-Marseille université est l’universités française la mieux classée. « Ce classement THE ISR nous permet d’évaluer notre propre recherche interdisciplinaire par rapport au monde, et nous permettra de continuer son développement même si cela représente un changement de culture dans le monde de la recherche », souligne Christophe Lerouge, directeur d’IMT Atlantique. Une des forces d’IMT Atlantique est en effet « d’aborder l’ingénierie par l’interdisciplinarité, et en particulier, en renforçant les associations entre le monde physique et le monde numérique, ou celui plus général entre les sciences sociales et avancées scientifiques et technologiques ».