CLASSES PREPAS, ECOLES DE MANAGEMENT, PORTRAIT / ENTRETIENS

Directeur d’école de management de l’année 2024 : Vincenzo Esposito Vinzi (Essec)

Vincenzo Esposito Vinzi se voit remettre son prix de directeur de l’année par Alain Joyeux, président de l’Aphec, et Sébastien Vivier-Lirimont, président et fondateur de HEADway Advisory, lors de la Journée Continuum CPGE / grandes écoles 2025 dans les locaux de Neoma à Rouen

Il est le directeur de l’année 2024 consacré par l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) et le cabinet HEADway Advisory. Jusqu’à l’automne 2024 vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) il a, à ce titre, largement participé à la campagne de promotion des classes préparatoires #PREPARETOI. Il va maintenant toujours plus y contribuer en tant que président. Directeur général de l’Essec, il a lancé cette année un audacieux plan de développement. Rencontre avec le directeur de l’année 2024.

LES CLASSES PREPARATOIRES

Olivier Rollot : En tant que nouveau président de la Cdefm, en tant que directeur général de l’Essec, comment considérez-vous les classes préparatoires ECG, ECT mais aussi littéraires ? Quel rôle estimez-vous qu’elles jouent dans le modèle des écoles de management françaises ?

Vincenzo Esposito Vinzi : Les classes préparatoires sont une spécificité du modèle français d’enseignement supérieur qu’il est impératif d’accompagner dans son évolution et de promouvoir. Les classes préparatoires ont historiquement fait la force des Grandes écoles françaises. Quand j’ai quitté l’Italie il y a dix-huit ans elles faisaient partie des éléments qui m’avaient séduit chez les business schools françaises avec la qualité de leurs étudiants et l’agilité de leur gouvernance. Autant d’éléments qui leur ont permis de se positionner dans le haut des classements des business schools mondiales avec des moyens financiers bien moins importants que leurs concurrentes. Aujourd’hui il y a cinq programme Grande école post prépas français parmi les 10 meilleurs au monde classés par le Financial Times.

La diversité des voies d’accès et des formations dans les écoles, avec des élèves issus de classes préparatoires qui en rencontrent d’autres de tous horizons par les voies d’admissions directes et sélectives, construit la valeur des business schools françaises avec une diversité de profils qui permet à leurs étudiants de se préparer au monde d’après.

Dans une période où il semblerait que nous assistions à une remise en question des CPGE nous devons plus que jamais prouver leur valeur ajoutée dans les écoles et dans ce continuum CPGE / Grandes écoles par rapport au marché du travail. Je crois fortement à la valeur de ce continuum et il faut que la perception du mot « préparatoire » dépasse le concours pour bien signifier tout ce que les classes préparatoires apportent tout au long du parcours de nos étudiants.

O. R : Comment l’Essec va-t-elle faire évoluer les effectifs de vos étudiants issus de classes préparatoires dans les années à venir ? Pourriez-vous dédier des places aux élèves de classes préparatoires scientifiques ?

V. E-V : Cette année l’Essec augmente les places au concours de 15 pour passer à 445. L’évolution dans les années à venir dépend des effectifs en prépas. Nous devons garder la même sélectivité.

Le recrutement d’élèves en classes préparatoires scientifiques n’est pas un sujet tabou et nous en discutons alors que le concours Ecricome vient de franchir le pas en proposant une voie dédiée.

O. R : Des évolutions seraient-elles utiles dans la pédagogie ou l’organisation des classes préparatoires ?

V. E-V : La pédagogie est par définition en constante évolution. Il faut être agile pour donner toujours plus de qualité et les savoirs évoluent comme les étudiants. Je me réjouis d’ailleurs du dialogue constructif qui existe aujourd’hui entre les écoles membres de la Cdefm et l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC). Nous sommes en symbiose sur les questions d’évolution de la pédagogie.

O. R : Et dans les concours d’accès à vos écoles y a-t-il des évolutions en vue ?

V. E-V : A la marge les épreuves évoluent chaque année pour s’adapter aux besoins des écoles. Mais il n’y a pas de révolution en prévue. Nous nous situons dans une démarche d’amélioration continue.

O. R : La Cdefm promeut la création d’un certificat en arts libéraux pour les élèves des écoles de management issus de classes préparatoires. Pouvez-vous nous en dire plus ?

V. E-V : Ce nouveau certificat est un très bon exemple de la façon dont nous travaillons ensemble avec l’Aphec sur la notion de continuum. Quand on parle des écoles cela doit d’abord servir les intérêts des étudiants. En l’occurrence, il s’agit de remettre à nos étudiants issus de classes préparatoires et qui terminent leur M2 dans nos écoles à partir de 2024/2025 des certificats dédiés à leur parcours. Les préparationnaires ECG, ECT recevront un certificat en Liberal Arts. Les préparationnaires littéraires un certificat en Humanities. Ces certificats sont élaborés par la CDEFM, et délivrés par chaque école.

Nous reconnaissons ainsi des compétences transversales acquises en CPGE, que ce soit l’analyse critique, les capacités de synthèse, la prise de décisions ou encore la vision critique.

O. R : Mais pourquoi ne le donner qu’aux élèves de classes préparatoires ?

V. E-V : C’est une manière de reconnaître leur parcours, leurs compétences acquises en 5 ans, alors que nos autres étudiants en master arrivent dans nos écoles avec un diplôme et une reconnaissance.

O. R : Ce certificat ne sera pas remis aux étudiants précédents qui ont suivi le même parcours ?

V. E-V : Non ce ne sera pas rétroactif.

L’ESSEC

O. R : Vous avez présenté un plan de développement très ambitieux de l’Essec, notamment avec l’objectif de faire passer votre chiffre d’affaires de 200 à 300 millions d’euros d’ici 2028. Comment comptez-vous y arriver ?

V. E-V : La stratégie Transcend 2024-2028 a l’objectif de dépasser les frontières disciplinaires pour ouvrir nos étudiants sur le monde. Nous venons par exemple de créer un double diplôme en Philosophie, Éthique et Management avec l’ICP. Quand on regarde l’obsolescence accrue des compétences face à la crise climatique, aux IA, à la réindustrialisation, etc. il faut que nos étudiants possèdent, en plus d’une formation très rigoureuse, une vision holistique. Acquérir un état d’esprit très déterminé avec une dose d’humilité les met dans un état d’esprit très agile qui leur permet de renouveler leur formation. On ne peut pas attendre un grand nombre d’années avant de se reformer. Il faut acquérir un état d’esprit d’apprendre à apprendre.

Il faut pouvoir promouvoir l’idée de progrès comme totalement positive quand aujourd’hui il y a une approche d’angoisse vis-à-vis de celui-ci. Il faut pour une école s’engager à construire un futur plus résilient avec un état d’esprit positif. Comme il y a trente ans, il faut que le progrès soit considéré comme intrinsèquement positif. Il faut positiver le progrès !

Dans notre stratégie il y a donc quatre ambitions : promouvoir des formations pluridisciplinaires, transformatrices pour l’individu, personnalisées ; cultiver le leadership multiculturel ; réinventer le management pour construire un monde résilient et prospère ; avoir un impact à grande échelle. In fine une école n’a pas pour mission seulement de former. Elle doit avoir un impact au travers de la formation et de la recherche.

O. R : Avec toujours le même modèle économique ?

V. E-V : Nous avons besoin d’investir en capitalisant sur notre marque en France et à l’international sur un modèle robuste à but non lucratif qui correspond parfaitement aux programmes sélectifs que nous proposons. Dès le XVIIème siècle Harvard est devenue une université non lucrative pour nourrir des missions d’intérêt général comme la recherche. Si nous investissons aujourd’hui dans notre immobilier c’est que cela donne du retour sur investissement sur le très long terme.

Pour que le modèle soit pérenne même avec la disparition des subventions il faut bien sûr être à l’équilibre financier. Nous le sommes sur les huit dernières années avec 70 millions d’euros dépensés à Cergy pour rénover notre campus. Nous le sommes avec l’arrivée en 2024 de 27      nouveaux professeurs dont nous avons fait évoluer la procédure de recrutement afin d’être plus attractifs. Résultat nous avons recruté tous nos      premiers choix pour renforcer      notre corps académique.

O. R : Quelles nouvelles sources de financement peuvent-elles être développées ?

V. E-V : La pérennité du modèle des business schools françaises peut être assurée si nous accroissons nos budgets sans pour autant s’appuyer uniquement sur les effectifs et des frais de scolarité, sur lesquels s’est effectuée la croissance de ces dernières années. Il faut aujourd’hui miser beaucoup plus sur la diversification de nos revenus, en particulier dans l’Executive Education en proposant des programmes personnalisés et on line qui sont beaucoup plus adaptés à la formation continue qu’initiale. Le marché français est très limité, avec beaucoup d’acteurs, et nous devons donc nous développer à l’international sur nos campus mais aussi en coopération avec d’autres écoles.

Par ailleurs nous devons nous appuyer sur les partenaires territoriaux. A Cergy, la région, le conseil départemental et l’agglomération ont apporté 19 millions d’euros pour financer la rénovation de notre campus. Les dons des alumni sont moins importants en Europe qu’aux Etats-Unis mais se développent dès que l’on propose de vrais projets comme des bourses. Nous n’avons également jamais eu autant de chaires d’entreprise qu’aujourd’hui : 24 financées par 80 entreprises. Les projets de recherche financés par l’Union européenne sont une autre voie de financement et nous venons par exemple d’obtenir un projet ERC sur des questions de      statistiques. Maintenant que nous avons assaini notre fonctionnement et proposons des projets attractifs nous pouvons accroitre notre budget à condition de rester sélectifs. Nous venons par exemple de lancer un E-MBA hybride 70% en ligne, 30% en présentiel. Le programme LEAD Advanced Management offre de son côté un parcours d’apprentissage complet et intègre des thèmes clés qui convergent pour apporter une compréhension nuancée du contexte économique actuel.

O. R : Comment l’expérience étudiante irrigue-t-elle votre réflexion sur le développement de vos campus ?

V. E-V : La pédagogie des années 70 est très différente de celle actuelle et les lieux doivent évoluer. Avoir des moyens financiers est un pré-requis nécessaire pour développer le capital humain alors que la dimension technologique est de plus en plus importante dans la salle de cours. Notre campus est aussi un lieu de vie avec ses 120 associations étudiantes et le développement de la pratique sportive. Avant le processus de rénovation du campus que nous avons mené nous n’avions à disposition pour nos étudiants que de simples terrains de sport. Aujourd’hui nous possédons un centre sportif qui permet toutes les activités sportives. Autant de dimensions que nous avons regroupées récemment dans une toute nouvelle direction de l’immobilier et de l’expérience campus qui complète celle de la vie étudiante.

Nous devons apporter une expérience cinq étoiles à nos étudiants. Cela me vient sans doute de ma famille, hôteliers à Capri, je suis très attentif à la qualité du service que nous apportons, au sens de l’hospitalité que nous devons avoir. Nous devons créer des lieux stimulants pour accompagner l’expérience étudiante et créer ainsi le sens de l’appartenance à l’école.

O. R : A l’international envisagez-vous de nouvelles implantations et comment se portent celles que vous avez déjà ouvertes ?

V. E-V : Nous allons fêter les vingt ans de notre campus de Singapour en 2025 et nous sommes depuis 2017 au Maroc. Aujourd’hui ces deux campus font partie de notre ADN en nous offrant une âme tricontinentale. Cela nous permet d’avoir un ancrage territorial fort qui nous ouvre au tissu local. Cergy, le Maroc, Singapour ne sont pas que des lieux pédagogiques. Ils nous apprennent beaucoup notamment à Singapour où nous n’étions pas du tout connus à notre arrivée et où nous proposons notre Global BBA mais aussi spécifiquement un MSc in Marketing Digital.

Au Maroc nous étions évidemment beaucoup plus connus sur un territoire qui possède lui-même des classes préparatoires et qui nous permet d’avoir une approche panafricaine. Nous y avons d’ailleurs créé un International Program in Business Administration (IPBA) pour former des leaders au développement du continent africain. Un programme 100% en anglais, ouvert aux étudiants africains comme internationaux, avec des cours en Afrique puis en France avec la possibilité de se rendre également en Amérique du Nord pour créer des liens forts entre l’Afrique et le reste du monde.

Par ailleurs nous venons également d’ouvrir des hubs à New York et Londres. Ce sont en quelque sorte des ambassades qui possèdent des équipes chargées de nourrir les liens avec nos partenaires académiques, le monde professionnel et nos alumni, d’accueillir nos étudiants en voyages d’études ou encore de comprendre les opportunités de développement des échanges et de doubles diplômes. Aujourd’hui nous délivrons ainsi quatre double diplômes aux Etats-Unis : avec Columbia, Carnegie Mellon, la Parsons School of Design et l’UCLA sur sa Law School.

LES BUSINESS SCHOOLS

O. R : Beaucoup de business schools semblent aujourd’hui rencontrer des problèmes financiers avec la baisse des financements de l’apprentissage. Que doit faire un prochain gouvernement en la matière ?

V. E-V : Il ne faut surtout pas que l’apprentissage soit le grand sacrifié de l’instabilité politique ambiante. Une école comme l’Essec, pionnière de l’apprentissage en 1993, compte aujourd’hui 1 000 apprentis sur 7 000 étudiants.

Alors évidemment l’État a une question de coûts à réduire mais ne doit pas oublier combien le modèle est pédagogiquement extrêmement bénéfique tout en étant un levier d’ouverture sociale. A l’Essec les boursiers sont deux fois plus nombreux en apprentissage que les non boursiers. 26% des apprentis sont issus de familles dont aucun parent n’est cadre contre 14% pour les autres.

Il ne faut pas remettre globalement l’apprentissage en question mais traiter les abus. Nous attendons donc toujours beaucoup de la création d’un label pour l’enseignement supérieur privé qui semblait prêt de sa finalisation l’été dernier. Patrick Hetzel, le ministre de l’Enseignement supérieur, avait très bien identifié la nécessité d’une approche interministérielle. L’apprentissage devrait être lié à ce label et à des formations de qualité.

Par ailleurs il serait envisageable de moduler la prise en charge de la formation des apprentis en fonction des revenus des familles. Aujourd’hui c’est interdit mais cela ne devrait pas être un tabou.

De même il faudrait que la hausse du reste à charge soit modulée en fonction des moyens des entreprises pour ne pas couper l’accès au TPE/PME en ne conservant que des grandes entreprise.

O. R : La recherche coute cher dans les écoles de management. Faut-il mieux favoriser celle qui a de l’impact comme le suggère un article récent du Times Higher Education ?

V. E-V : La recherche est un investissement plus que jamais nécessaire pour réinventer le management avec la co-construction d’un modèle disruptif. Sinon nous risquons d’être vite obsolètes. Pour autant chaque école doit investir selon ses moyens, en n’étant pas dans une course à la publication mais dans une course à la pertinence . Il faudrait que les rankings évaluent la pertinence de la recherche au-delà des mesures simples et directes de performances. Ce n’est pas impossible de construire des indicateurs composites à partir de toute une batterie d’indicateurs comme on le fait par exemple sur la mesure de l’intelligence ou de l’image de marque.

O. R : Plusieurs pays anglo-saxons ont réduit leur politique de visas vis à vis des étudiants internationaux. Les universités chinoises attirent elles de plus en plus d’étudiants internationaux. Comment la France peut-elle se positionner alors qu’une nouvelle loi immigration pourrait porter atteinte à nos recrutements ?

V. E-V : Je suis convaincu que la France a aujourd’hui une opportunité historique de devenir le pays d’accueil n°1 des étudiants internationaux dans le monde. Je rappelle qu’aujourd’hui les étudiants internationaux génèrent un revenu net pour la France de 1,35 milliards d’euros : 3,7 milliards de coûts pour 5 milliards de revenus selon une étude de Campus France.

Pour aller plus loin il faut améliorer l’accueil et l’intégration en proposant des procédures plus transparentes, une obtention de visas plus rapide ou encore des services d’accueil dédiés.  Il faudrait aussi renforcer l’offre de logement et proposer un guichet unique pour toutes les démarches.

Nous devons également proposer plus de programmes en anglais tout en enseignant le français langue étrangère, comme en Allemagne avec l’allemand, pour favoriser l’intégration post diplôme. La maitrise du français reste un élément clé pour intégrer une entreprise française mais il faudrait mieux valoriser l’anglais comme langue de travail dans celles-ci pour ne pas risquer de se priver de compétences.

Il faudrait également renforcer les partenariats avec les entreprises françaises pour faire mieux connaitre les succès des alumni internationaux. L’enseignement supérieur français a une excellent rapport qualité/prix mais il faut mieux le faire savoir.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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