Parce que le doctorat n’est pas encore assez reconnu en France, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (CDEFI) promeut depuis 2011 un parcours Compétences pour l’entreprise à destination des docteurs. Les explications de Jacques Fayolle, vice-président de la CDEFI et directeur de Télécom Saint-Etienne.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Quel est le but du programme Compétences pour l’entreprise ?
Jacques Fayolle : Nous formons des docteurs qui sont à la pointe de l’innovation française mais qui vont essentiellement suivre des carrières académiques. L’objet de notre parcours est d’accroître le pourcentage des jeunes docteurs qui se dirigent vers l’entreprise. Mais pour cela il faut d’abord que les entreprises comprennent mieux la valeur ajoutée que peuvent leur apporter des docteurs. Or, en France, dans le cas d’un docteur titulaire d’un diplôme d’ingénieur, on regarde d’abord l’école d’ingénieurs dont le docteur est diplômé avant de s’intéresser à son parcours et aux compétences scientifiques qu’il a acquises pendant son doctorat.
O. R : Si vous deviez citer cinq qualités qu’un docteur possède et pas le titulaire d’un master ou d’un diplôme d’ingénieur quelles seraient-elles ?
J. F : D’abord de posséder un fond scientifique sans commune mesure : le docteur a eu trois ans de plus pour adresser un sujet scientifique. Ensuite d’avoir acquis des compétences dans un monde complexe. Un docteur c’est un professionnel qui a appris à rendre des comptes, à gérer la propriété intellectuelle, à gérer un budget dans le cadre de projets financés par l’Union européenne ou l’Agence nationale de la recherche (ANR). C’est un professionnel qui sait travailler dans un contexte multiculturel, sait faire du reporting en anglais et s’est frotté à la mondialisation en participant à la veille mondiale sur l’innovation.
Un docteur est quelqu’un d’à la fois autonome, pour porter son projet et défendre son travail devant un jury, et de collectif, pour gérer ce projet dans un espace plus large. Enfin il a acquis des capacités de synthèse pour convaincre. Autant de compétences qui intéressent les entreprises bien au-delà du seul aspect scientifique. Tout l’objet du parcours est de pousser le docteur à démontrer toutes ses compétences auprès des entreprises françaises.
O. R : Votre démarche concerne tous les doctorats ou uniquement les doctorats réalisés par des ingénieurs ?
J. F : Tous les doctorants sont concernés, c’est pourquoi notre démarche est soutenue depuis 2011 par le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le parcours est d’ailleurs évoqué par Mme Najat Vallaud-Belkacem, en réponse aux recommandations de la Cour des Comptes sur l’insertion professionnelle des docteurs.
Il ne s’agit pas de créer une sorte de « bunker CDEFI » réservé aux doctorants issus des seules écoles d’ingénieurs, bien qu’ils représentent déjà 50 % des doctorants en sciences et technologies. Le savoir-faire que les écoles d’ingénieurs ont acquis peut bénéficier aujourd’hui à tous les doctorants, en chimie comme en sciences humaines, en informatique comme en économie en s’appuyant sur la proximité des écoles d’ingénieurs avec l’entreprise, comme le prouve le fort taux d’insertion professionnelle de nos jeunes diplômés dans le secteur privé (90 %).
O. R : Pratiquement comment intègre-t-on un parcours « Compétences pour l’entreprise » et que doit-on y valider ?
J. F : La candidature du doctorant doit être portée par une ou plusieurs écoles d’ingénieurs et une école ou collège doctoral labellisés. C’est aujourd’hui le cas de 26 écoles d’ingénieurs et de 30 des 80 écoles doctorales. Nous recevons de nombreuses candidatures à ces labellisations mais nous ne les acceptons pas si le parcours en entreprise n’est pas clairement exposé.
Ensuite, il faut valider huit des quinze compétences que nous avons listées – par exemple connaître le « fonctionnement de l’entreprise » – et avoir passé un minimum de temps en entreprise dans le cadre de son contrat doctoral ou de ses travaux de thèse et ceci quelle que soit la discipline. Ce parcours est copiloté avec un comité de suivi local, où sont aussi bien présents des professeurs que des cadres d’entreprise.
O. R : Quels sont les échos que vous en avez aujourd’hui ?
J. F : Nous avons mené une enquête en 2015-2016 sur les premiers doctorants sortis du parcours que 93% des 67 répondants recommandent. A 83%, ils indiquent que cela leur a permis de mieux se valoriser y compris pour leur salaire. Du côté des entreprises l’accueil est également excellent. Restent certains académiques qui sont plus circonspects vis à vis du monde de l’entreprise, d’où des difficultés à le mettre en place sur certains sites
O. R : Mais au global on forme à peu près autant de doctorats en France que dans les autres pays de l’OCDE ?
J. F : 14 000 nouveaux docteurs sont diplômés chaque année, un chiffre effectivement comparable aux autres pays de l’OCDE. Le problème est que leur insertion est trois fois plus difficile en France, où les chercheurs en entreprise sont à 54% des ingénieurs. Quand des entreprises font des propositions salariales très intéressantes à des jeunes ingénieurs, ce n’est pas facile pour un ingénieur de choisir une voie doctorale plus intéressante d’un point de vue scientifique mais moins d’un point de vue salarial. Résultat : 40% des doctorants dont nous parlons viennent de l’étranger, ce qui est un signe positif quant à l’attractivité de nos laboratoires mais démontre une carence sur l’attractivité du doctorat au niveau national et pose un problème de propriété intellectuelle en cas de retour des jeunes docteurs dans leur pays après leur doctorat.
O. R : Combien d’ingénieurs poursuivent en thèse chaque année ?
J. F : Globalement, ce taux est assez stable avec 6 à 7% des ingénieurs diplômés qui poursuivent en doctorat mais c’est beaucoup plus dans la chimie, la physique ou l’aéronautique par exemple avec près de 25% des promotions des ingénieurs dans ces spécialités qui continuent en doctorat. Cela varie selon l’appétence des écoles d’ingénieurs et du type de financement des doctorats.
A titre de comparaison, en 2014-2015, 9 % des étudiants en 2e année de l’ensemble des masters ont poursuivi en doctorat de sciences l’année suivante, et cette proportion est en baisse depuis 2008.
O. R : Les thèses sont-elles bien financées en France aujourd’hui ?
J. F : La démarche ne vient pas du doctorant lui-même, ce sont les enseignants-chercheurs qui montent des projets puis recrutent des doctorants après avoir éveillé leur intérêt. La plupart des ingénieurs qui poursuivent en doctorat trouvent des financements soit dans le cadre de contrats de site de l’Etat, soit dans des projets financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR), soit encore dans le cadre des instruments du Programme Investissement d’avenir (Labex ou Idex), soit enfin directement avec des contrats Cifre ou même des contrats bilatéraux avec des entreprises. Enfin les Instituts Carnot travaillent sur le ressourcement scientifique de la recherche fondamentale et financent également des travaux de recherche doctorale.
Au global, la part des doctorants ayant un financement dédié pour la thèse a augmenté entre les rentrées 2011 et 2014, passant de 67 % à 72 %. Néanmoins, le salaire médian reste bas, plus bas que celui perçu par des jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs (-6,5 % en moyenne).
O. R : Un doctorat aujourd’hui cela dure forcément trois ans ? A combien cela revient-il à la collectivité ?
J. F : La durée de référence du doctorat prévue par les textes de loi est de 3 ans. Dans les faits, les durées de doctorat sont fortement liées aux modalités d’encadrement et de financement ainsi qu’aux domaines scientifiques de recherche, mais la durée de la thèse à tendance à se réduire depuis 2010. Au total, 40 % des nouveaux docteurs ont soutenu leur thèse en moins de 40 mois en 2014.
Les doctorats en Sciences exactes présentent les durées les plus courtes et sont réalisés à 93 % en moins de 4 ans. Pour un diplômé d’écoles d’ingénieurs, un doctorat dure aujourd’hui en moyenne trois ans et trois mois et revient à l’employeur entre 120 000 et 150 000 euros en fonction du financement (public, privé ou mixte de type CIFRE, etc.).