Quel paradoxe ! Encensées dans le monde entier pour la qualité de leurs formations les écoles de commerce françaises n’en finissent pas de se poser des questions sur leur avenir. En cause : d’abord un modèle économique défaillant, avec pour les écoles consulaires, les fameuses ESC, des chambres de commerce et d’industrie (CCI) qui n’ont plus les moyens de les soutenir comme avant, pour d’autres un marché qui se restreint. Pour toutes la nécessité de se réinventer. Notamment en fusionnant ou en se rapprochant dans le cadre d’associations.
Rapprochements en vue
Quand on se sent un peu faible tout seul le mieux n’est-il pas de s’allier ? En 2009 le groupe Skema Business School est ainsi né de l’alliance entre l’ESC Lille et le Ceram Business School de Nice. Depuis les ESC Reims et Rouen ont annoncé leur union. Enfin deux nouveaux rapprochements sont en train de voir le jour : d’un côté entre les ESC Amiens, Brest, Clermont-Ferrand et Tours-Poitiers, dans le cadre de France Business School (FBS), de l’autre entre Euromed Marseille, Bordeaux École de Management (BEM) et l’ESC Pau. « Dans 10 ans, quatre ou cinq groupes éducatifs français seront au niveau mondial dans le management et nous voulons en faire partie. Mais il ne s’agit pas de se regrouper pour se regrouper. Ce que nous voulons c’est d’abord être les meilleurs sur notre territoire tout en étant visibles à l’international », explique ainsi Bernard Belletante, directeur général du Groupe Euromed Management.
Une visibilité qui passe par un nombre conséquent de publications de recherche, donc par un corps professoral conséquent avec des domaines d’excellence reconnus comme c’est par exemple le cas pour Bordeaux dans l’agro-alimentaire ou les vins. « Dès lors que la complémentarité nous paraissait évidente nous avons pu avancer. Et quand on me dit que Bordeaux et Marseille sont loin, permettez-moi de vous dire qu’une heure de vol, à l’échelle mondiale, ce n’est rien », insiste Bernard Belletante.
Mais pourquoi ces fusions ?
Les motifs qui président à ces rapprochements sont multiples. Longtemps maîtres du jeu, les écoles de commerce consulaires sont confrontées à une double concurrence. En France avec la montée en puissance de Dauphine, des IAE et de Sciences Po, mais aussi de certaines grandes écoles privées possédant un réseau d’implantation national, comme l’Inseec, sans parler d’écoles d’ingénieurs qui se battent parfois sur le même terrain. Enfin, la création de chambres de commerce et d’industrie régionales renforce encore un pôle parisien désormais rejoint par l’Essec. À l’international avec la montée en puissance d’institutions européennes mais aussi des pays émergents qui s’inspirent bien souvent du modèle français tout en ayant des moyens financiers souvent sans commune mesure.
« Notre masse salariale augmente constamment avec un véritable « mercato » des enseignants-chercheurs payés de plus en plus chers pour assurer de moins en moins d’heures de cours », se désole François Duvergé, qui a porté France Business School sur les fronts baptismaux après avoir présidé aux destinées de l’ESCEM Tours-Poitiers. Des coûts en hausse quand les entrées sont en baisse ou en péril avec la baisse de la fiscalité consulaire, des menaces sur la taxe d’apprentissage et des droits de scolarité qui atteignent des plafonds. Quant au nombre de candidats, il baisse ou stagne à tel point que ce sont maintenant sur les candidats étrangers que la Conférence des Grandes écoles (CGE) compte pour poursuivre son expansion.
Quel avenir pour les écoles ?
10 000 étudiants, 100 millions d’euros de budget telle est la « masse critique » nécessaire à laquelle François Duvergé estime qu’il est nécessaire d’accéder aujourd’hui pour une école d’avenir. Mais au-delà de la « masse critique » que doivent devenir les écoles ? Beaucoup regrettent leur uniformisation pour répondre aux critères des classements et des organismes d’accréditation. Le tout sous l’influence d’universitaires qui imposent la recherche académique comme critère d’évaluation principal, sur le modèle de la business school à l’américaine. « Un modèle aujourd’hui dépassé car trop académique », estime encore François Duvergé.
L’avenir alors ? Le développement de la personne, des soft skills, dans le cadre d’une approche par compétences semble une des voies à suivre. « Si dans nos entreprises certains se sentent si mal c’est parce qu’ils sont encadrés par des chefaillons mal formés. Des écoles comme FBS doivent y remédier », explique Isidore Fartaria, le président de France Business School.
Des fusions à géométrie variable ?
Fusionner ce n’est pas si facile. Les deux principaux rapprochements en cours en 2012 ont ainsi connu quelques péripéties. Ainsi l’ESC Pau est venue au dernier moment s’ajouter au périmètre initial de la fusion Euromed/BEM alors qu’elle devait initialement faire partie de France Business School. Une péripétie ? Pas seulement. D’abord parce que le périmètre de France Business School s’en est trouvé réduit ensuite parce que l’arrivée de l’ESC Pau dans la boucle marseillo-bordelaise risque de considérablement compliquer leur fusion. Si les deux premières écoles sont de valeur relativement similaires et membres du réseau Ecricome, l’ESC Pau se classe elle au bas de tous les classements. Comment des diplômes de valeur inégales vont-ils pouvoir se marier ? Qu’en sera-t-il des accréditations intrenationales ? (lire sur tous ces sujets l’entretien publié le 29 mai sur son blog par Bernard Belletante).
Dans un entretien à Educpros, Philip McLaughlin, le directeur de BEM, se réjouissait en tout cas de se rapprocher de Pau en indiquant que le rapprochement BEM-ESC Pau avait « toujours été dans l’air, ne serait-ce que parce que nous appartenons à la même région, et que nous dépendons de la même chambre régionale de commerce ». Il s’exprime également sur une vidéo postée sur Youtube dans laquelle il explique les raisons d’un rapprochement qui irrite plus d’un étudiant de BEM inquiet de voir son diplôme réduit à celui de l’ESC Pau…
Fusionner est-ce vraiment la panacée ?
Restant pour l’instant à l’écart de tout projet de fusion, Olivier Aptel, le directeur de l’ESC Rennes, pointe le peu d’intérêt de ces fusions en termes d’économie d’échelles : « Au mieux on travaille en commun sur la communication mais ce n’est rien par rapport aux coûts qu’engendrent ces fusions pour marier des cultures souvent très différentes ». Sans parler des frais de déplacements. Si le Skema a rejoint le modèle « sud-nord » d’une Edhec florissante il s’est inscrit également dans un schéma de déplacements coûteux…
En termes de diplômes non plus la fusion ne produira par des effets immédiats. Toujours sur Educpros, Philip McLaughlin expliquait ainsi que, « si la fusion sera effective en 2013, les diplômes resteront spécifiques à chaque site ». Il faut en effet passer par de nombreuses étapes « d’homogénéisation et de validation par le ministère avant d’arriver à un diplôme unique ». François Duvergé espère lui un diplôme FBS unique dès la rentrée 2013.
Au-delà des éléments financiers, Olivier Aptel craint que les écoles y perdent leur identité : « Nous faisons de la haute couture avec un suivi individualisé de chaque étudiant. Est-ce encore possible quand ils sont 10 000 ? ».
Olivier Rollot (@O_Rollot)
- Les écoles de commerce et leur avenir sont aujourd’hui un sujet majeur. L’AEF organise le 15 juin un colloque sur la thématique intitulé « Le modèle de financement et de gouvernance des écoles de management françaises est-il durable ? » avec l’Acfci. Plus d’infos sur son site.
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