Le débat s’est rapidement instauré sur la pertinence du coup de rabot auquel le gouvernement entend procéder sur les déductions fiscales des fondations. Le président de la Fondation ESCP Europe, Christian Mouillon, revient sur les enjeux et élargit le débat au financement de l’enseignement supérieur.
Olivier Rollot : Le gouvernement semble s’apprêter à baisser le taux de déductibilité des dons des « entreprises » de 60% à 40% au-dessus de certains seuils. Quel impact cela peut-il avoir sur l’enseignement supérieur et, singulièrement, les Grande écoles de management ?
Christian Mouillon : D’abord il faut rappeler qu’un mécénat fort est avant tout le marqueur d’une économie dynamique et généreuse. Une situation que nous n’avons pas en France. D’autant plus que le taux d’imposition est élevé. En France c’est parce qu’il y a des déductions fiscales qu’il y a des mécènes ! Si le taux de déductibilité baisse à 40% pour les entreprises qui donnent plus de 2 millions par an il devient très proche du taux de l’impôt sur les sociétés. Il n’y a donc plus d’incitation fiscale.
O. R : C’est potentiellement un nouveau coup porté au financement de l’enseignement supérieur ?
C. M : C’est le premier sujet que nous entendons traiter en connexion avec un sujet plus large qui est le financement même des Grandes écoles. Après la baisse des moyens alloués aux chambres de commerce et d’industrie, après la baisse de la taxe d’apprentissage, après la transformation de l’ISF en IFI, comment les Grandes écoles sont-elles supposées se financer ? Comment peuvent-elles remplir tous les objectifs que leur assigne le gouvernement. Comment favoriser l’égalité des chances si les fondations perdent les ressources avec lesquelles elles financent les bourses ?
O. R : Mais qu’apporte exactement le mécénat aux entreprises ?
C. M : Le mécénat donne d’abord l’opportunité aux entreprises de flécher leur impôt pour maîtriser où va leur argent. Plus précisément dans l’enseignement supérieur cela leur permet d’être proches de leurs futures recrues dans un monde de guerre des talents et alors que les jeunes sont de moins en moins volontaires pour les intégrer.
O. R : N’y a-t-il pas eu des abus dans l’utilisation des déductions ? Cela semble être la raison pour laquelle le gouvernement entend faire évoluer leur montant.
C. M : Aujourd’hui on remet en cause le travail de tout le monde sous prétexte d’abus qu’auraient pu commettre quelques-uns. Un don est quand même un coût pour l’entreprise ! La théorie selon laquelle une niche fiscale serait un cadeau aux contribuables ne tient pas. Si les niches fiscales existent c’est parce qu’elles permettent de réduire un impôt qui est excessif. Tout ce débat sur la niche fiscale est à côté de la plaque ! Il ne faut pas confondre mécénat et niche fiscale.
O. R : Les fondations type « Restos du cœur » semblent devoir pouvoir être exemptées de la réforme Pensez-vous que cela doive également être le cas pour l’enseignement supérieur ?
C. M : Bien sûr. Les fondations des Grande écoles consacrent une très grande partie de leurs moyens au financement de programmes de bourses « égalité des chances » financés par les entreprises. Nous donnons ainsi accès à des formations de qualité à des jeunes issus de milieux défavorisés, en situation de handicap ou pénalisés par des questions de santé ou de statut. Réduire les possibilités de mécénat reviendrait à remettre en question ces dispositifs, alors même que le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et le gouvernement font de l’égalité des chances une priorité face au défi de la cohésion nationale et de la marche vers une société plus inclusive.
O. R : Mais d’autres vont également le demander. Notamment dans la culture…
C. M : Ce qui me paraît parfaitement justifié.
O. R : Finalement la question que vous allez poser c’est celle du modèle de financement des Grandes écoles de management ?
C. M : Il n’y a aucune réflexion stratégique. En limitant les déductions fiscales personne ne se demande si on ne met pas en péril le fonctionnement des Grandes écoles de management, qui ne sont financées que par les frais de scolarité et les fondations. Il faut sans doute rouvrir le débat sur la loi Mandon pour faire évoluer le statut des EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire).
D’autant que le mécénat a ses limites théoriques qui sont la nécessité de répondre à l’intérêt général sans contreparties. Or les entreprises recherchent toujours un accès aux étudiants dans notre cas. Ce débat sur l’intérêt général est devenu suranné. Il faut définir un mécanisme qui permette aux entreprises d’obtenir des contreparties.
Il faut absolument réfléchir à comment assurer la pérennité du système alors qu’on ne parle ici que de 80 millions d’euros d’économie pour l’Etat pour tout le dispositif. En fait il faudrait amplifier la déduction fiscale au titre du mécénat compte tenu des besoins exponentiels de l’enseignement supérieur !