À l’ère des Moocs, du numérique, quand les jeunes générations veulent travailler autrement et les entreprises recruter des profils plus innovants, tous s’interrogent sur ce que doit devenir la pédagogie dans l’enseignement supérieur. C’est dans cet esprit que Grenoble EM vient par exemple d’éditer un Livre blanc intitulé « Portraits de l’École du Futur » Son constat : « Nous sommes arrivés aujourd’hui à la conjonction de progrès technologiques de différentes natures qui vont radicalement bouleverser des notions fondamentales dans l’enseignement tel que nous le connaissons aujourd’hui : le savoir, la pédagogie, la distance, la relation avec le professeur, l’évaluation, et la notion même de ce qu’est un cours ».
Repenser les modes d’acquisition du savoir
«Il faut éduquer aux processus d’apprentissage plutôt que d’apporter des contenus disponibles partout. Pour les enseignants, l’enjeu est de passer de la posture du maître sur l’estrade à celle du guide aux côtés de l’étudiant», résume de son côté François Fourcade, directeur scientifique du Centre d’innovation et de recherche en pédagogie de Paris (CIRPP) lors de l’Université d’été des enseignants de la CCI Paris Ile-de-France consacrée aux «grands défis mondiaux de l’enseignement» et d’abord à ceux liés à la pédagogie.
À l’image de ce qu’a développé la CCI Ile-de-France avec le CIRPP, des centres dédiés à la pédagogie voient le jour un peu partout dans l’enseignement supérieur. L’EM Normandie a lancé cette année son Observatoire de la pédagogie et des métiers de demain. Comme l’explique Dominique Roux, professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine, président de Bolloré Télécom, qui le préside, il aura pour objectifs de «recenser et décrypter les évolutions des métiers de l’entreprise et celles liées à la fonction managériale pour en tirer des implications au plan de la pédagogie».
Dans le cadre de leur école commune Idea, l’EM Lyon et l’École centrale de Lyon ont–elles créé il y a dix-huit mois un «learning lab» pour travailler aussi bien sur les nouvelles techniques d’apprentissage que les relations enseignants/enseignés. «Il faut créer un environnement d’apprentissage qui ne se résume pas aux heures de cours. Apprendre ce n’est pas seulement suivre 30 heures de cours, en suivre seulement la moitié mais avoir 150 heures d’apprentissage autour est bien plus efficace», assure Patrice Houdayer, directeur délégué de l’EM Lyon.
Repenser l’amphi
L’apprentissage ne finit pas à la sortie de la porte de l’amphi. Mais parce qu’il restera encore longtemps le moyen le moins dispendieux d’enseigner à beaucoup, l’enseignement en amphi doit évoluer. «Ce n’est plus possible de voir des enseignants sans interaction avec leurs étudiants dans leur amphi alors que tout le monde sait que l’attention d’un public ne dépasse pas les vingt minutes», interpelle Yvan Pigeonnat, enseignant et conseiller pédagogique de l’équipe PerForm de Grenoble INP.
Pour relancer régulièrement l’intérêt des étudiants pendant le cours, Grenoble INP ou l’université Paris-Descartes mettent donc aujourd’hui à disposition de leurs enseignants des boîtiers ou des applications sur smarphones pour interroger leurs étudiants. «Cela réveille l’amphi tout en permettant au professeur de savoir vite si ses étudiants suivent ou non. C’est mieux que de se prendre en pleine figure des copies dont les carences vous démontrent que vous n’avez pas su expliquer tel ou tel point», se félicite Frédéric Dardel le président de Paris-Descartes. «Il faut se méfier de la dérive de l’enseignant qui fait le même cours depuis très longtemps et ne se rend plus compte que les étudiants ne suivent pas», résume Yvan Pigeonnat.
Des salles de cours interactives
Pour mieux travailler, il faut aussi repenser la salle de cours. «Nos nouvelles salles sont en U et nos murs sont revêtus de revêtements qui permettent d’y projeter des informations, d’y écrire, d’y poser des documents, etc. Le tout en connexion avec les tablettes que vont avoir tous nos étudiants», explique Olivier Lamirault, responsable de ce que l’EM Normandie appelle sa «Smart École», son école connectée qui vient de voir le jour et dans laquelle au moins 20% du travail doit s’effectuer de façon collaborative entre les élèves: «Nous leur donnons les outils pour développer leurs projets et choisir des cours qui peuvent venir du monde entier pour composer leur cursus».
Des cours du monde entier, les fameux Moocs, mais aussi des cours donnés dans le monde entier. «C’est dommage ne pas donner de cours à nos étudiants en stages ou à l’étranger même s’ils ne peuvent pas être présents à l’école. Nous créons aujourd’hui les outils pour que tous puissent continuer à suivre des cours», explique Jean-François Fiorina, le directeur adjoint de Grenoble EM. «Il faudra pouvoir aller plus loin en permettant à des étudiants de se parler comme cote à cote alors qu’ils sont à Bangalore et à Santiago du Chili», prévient Patrice Houdayer dont le learning lab travaille déjà sur la création d’hologramme de communication.
Autoriser ou non le PC?
Beaucoup d’enseignants se posent la question de l’autorisation ou non de l’utilisation des PC ou tablettes par les étudiants pendant les cours. «S’ils s’en servent bien pour travailler, pourquoi les leur interdire ? Bien entendu, l’enseignant doit expliciter clairement les règles d’utilisation des ordinateurs dès la première séance et ne pas hésiter à les répéter», estime Stéphane Justeau, responsable de l’Institut de pédagogie et de soutien à l’enseignement (IPSE) de l’Essca.
Mais si les enseignants refusent encore souvent l’utilisation des PC par leurs étudiants en cours, ce n’est pas seulement parce qu’ils craignent qu’ils ne fassent qu’aller sur Facebook. C’est même parfois parce qu’ils craignent une contestation de cours pas toujours si bien remis à jour comme cela. «Lorsque l’on enseigne aujourd’hui, il faut savoir admettre qu’on n’a pas la réponse à tout. Il ne faut pas se formaliser si un étudiant vous le fait remarquer», conseille encore Stéphane Justeau.
Aider les enseignants
Il n’y a aucune chance de développer de nouvelles méthodes si les enseignants ne se les approprient pas. Or on commence juste à former les enseignants à la pédagogie en France alors que 90% des universités britanniques ou canadiennes ont depuis longtemps des structures pédagogiques. Mais encore faut-il d’abord accepter le regard critique de ses étudiants. «On ne peut pas se rendre compte tout seul si on a ou non de bonnes pratiques. Nous demandons donc aux étudiants d’évaluer leurs enseignants pour que ces derniers sachent ce qu’ils pensent de leurs cours. Après, s’ils voient qu’ils sont mal notés, s’ils sont volontaires, nous leur proposons de réfléchir à leurs pratiques pédagogiques», explique Yvan Pigeonnat.
Avec des résultats que tous jugent excellents dans un institut qui a toujours un intérêt tout particulier pour le sujet confirme Brigitte Plateau, l’administrateur général de Grenoble INP: «Toute notre communauté scientifique s’intéresse aujourd’hui aux méthodes d’apprentissage et comment les technologies peuvent rendre les étudiants plus actifs dans le cadre, par exemple, de projets interactifs». Un modèle qu’a aujourd’hui sans doute en tête la CCI Paris Ile-de-France quand Xavier Cornu, son directeur général adjoint enseignement, recherche et formation, annonce la création d’une Académie des enseignants et des acteurs éducatifs qui «soutiendra tous ceux qui le demandent» afin que les écoles de la CCI ne «perdent pas les longueurs d’avance qu’elles aujourd’hui vis-à-vis des jeunes et des entreprises». L’évolution des pratiques pédagogiques est, sans aucun doute, LE sujet des années à venir dans l’enseignement supérieur.
Olivier Rollot (@O_Rollot)