Delphine Manceau, directrice générale de Neoma BS
C’est une fusion logique : Neoma fusionne ses deux programmes postbac, le CESEM et le Global BBA. Toujours en pointe du recrutement des élèves en classes préparatoires, Neoma continue également à faire évoluer son programme Grande école. Autre priorité : le recours aux intelligences artificielles génératives (IAG) pour mieux former ses étudiants. Directrice générale de Neoma, Delphine Manceau répond à nos questions.
Olivier Rollot : Vous venez d’annoncer la fusion de vos deux programmes postbac, le CESEM et le Global BBA. Dans quel contexte s’inscrit cette annonce ?
Delphine Manceau : Le CESEM a été créé il y a 50 ans, en 1974, bien avant l’émergence des BBA. C’était à l’époque un programme pionnier, très novateur, très international avec un format 2+2 : 2 ans à NEOMA et 2 ans en double diplôme dans une université internationale. Nous avions par ailleurs un GBBA en quatre ans, incluant un séjour de 6 à 12 mois à l’international. Ces deux programmes coexistaient depuis la fusion, bénéficiant tous deux du grade de licence.
Or le label « BBA », programme en 4 ans tourné vers l’international, s’est affirmé au fil des années comme un véritable standard de marché. C’est pourquoi nous avons décidé de fusionner dans un même diplôme nos parcours GBBA et CESEM, sous l’appellation unique « Global BBA ». Notre objectif avec ce rapprochement est de créer un grand programme postbac emblématique, riche des points forts des deux cursus historiques de l’école. Les futurs étudiants auront le choix entre deux parcours. D’un côté, une voie générale, qui capitalisera sur la richesse du parcours Global BBA et de ses options, comme les échanges à l’international, le parcours en apprentissage, l’accès à différentes spécialisations. De l’autre, un parcours « Double diplôme CESEM », qui donnera accès aux 23 doubles diplômes du CESEM à travers le monde dans une logique d’immersion prolongée chez un partenaire international.
Avec cette fusion notre offre de formations postbac gagnera en lisibilité et sera davantage compréhensible pour les candidats et leur famille. Et nos diplômés bénéficieront de la reconnaissance et de la notoriété internationale du label BBA, devenu un standard mondial incontournable.
O. R : Quelles sont les autres grandes nouveautés de NEOMA cette année ?
D. M : Notre Programme Grande École continue de se transformer et s’ouvre à de nouvelles alliances. Les étudiants ont accès à de nouveaux doubles diplômes, en France et à l’international, notamment dans des domaines complémentaires au management comme l’ingénierie, la data ou l’intelligence artificielle. Par exemple, nous sommes très heureux de pouvoir offrir un double diplôme en ingénierie avec Tongji University, classée parmi les 10 meilleures en Chine, ainsi qu’un nouveau double diplôme axé sur la data avec Elon University, reconnue pour être l’une des institutions les plus innovantes aux États-Unis. Naturellement, nous nouons en parallèle des alliances avec des acteurs académiques français. Je pense notamment à notre nouveau double diplôme « Manager-Ingénieur », avec l’INSA de Rouen.
Nous avons également fait évoluer le PGE de l’intérieur. Notre parcours historique, le PEA (Parcours Entrepreneuriat ou Associatif), qui permet de concilier études et projets avec un emploi du temps adapté (cours le matin, engagement l’après-midi), devient le « Parcours Impact » et s’enrichit d’un nouveau « track sociétal », qui engage les étudiants dans une mission bénévole de 15 heures par semaine au sein d’ONG, et cela tout au long du M1.
Cette rentrée est également marquée par le lancement de deux nouveaux MSc qui deviennent aussi des spécialités du PGE : le MSc Artificial Intelligence for Business et le MSc Strategy, Organisation & Consulting. Notre portefeuille de MSc s’est considérablement enrichi ces dernières années. Je pense notamment à notre MSc Sustainability Transformations, lancé l’année dernière, et qui trouve bien son public avec plus de 35 étudiants en cette deuxième rentrée.
O. R : L’Intelligence artificielle (IA) revêt une importance de plus en plus stratégique dans les enseignements des business schools et plus globalement dans leurs activités. Qu’est-ce que cela représente pour NEOMA ?
D. M : NEOMA a très rapidement saisi le potentiel et l’impact de l’IA dans le secteur de l’éducation. Cette technologie marque une rupture tellement importante que nous avons choisi d’acculturer simultanément nos étudiants, nos professeurs et nos collaborateurs, en les formant non seulement aux possibilités offertes par l’IA, mais aussi à ses limites et ses biais. Cette démarche est loin d’être anecdotique : à ce jour, nous avons formé plus de 6000 personnes au sein de l’école.
D’ailleurs, ce dispositif d’acculturation à l’IA générative a été salué par l’AACSB, qui l’a sélectionné parmi les 26 innovations majeures dans le monde de l’éducation et du management dans le cadre de son prix « Innovations that Inspire ». C’est la 4e fois que nous obtenons ce prix, faisant de NEOMA l’école la plus primée en Europe.
Nous avons également décidé d’intégrer l’IA au cœur de notre offre de formation. A travers le lancement du MSc AI for Business, comme je l’ai mentionné précédemment, mais également dans notre offre de formation continue avec le Certificat Executive Generative AI for Business. Cette formation permet aux professionnels de développer des compétences pratiques pour intégrer efficacement l’IA générative dans leurs stratégies d’entreprise, tout en affinant leur pensée critique. Car il est essentiel de comprendre les biais, les limites et les implications éthiques de l’utilisation de l’IA pour en faire un usage responsable et optimal.
Ces thématiques ont été d’ailleurs au centre des discussions lors de la conférence AACSB dédiée à l’IA, que nous avons eu le plaisir d’accueillir sur notre campus de Paris tout récemment.
O. R : En matière de grandes mutations du secteur en France, la montée en puissance des officines privées est très largement citée. Comment analysez-vous ce phénomène et ses impacts?
D. M : Il est indéniable que la concurrence dans l’enseignement supérieur s’est intensifiée avec l’émergence de nouveaux organismes de formation qui délivrent non pas des diplômes visés par le ministère de l’Enseignement supérieur mais des titres RNCP reconnus par le ministère du Travail. Ils proposent en général des cursus en apprentissage et s’appuient sur les aides financières à l’apprentissage et sur les primes à l’embauche financées par les pouvoirs publics. Ce modèle financier leur permet d’afficher des coûts de scolarité particulièrement compétitifs, d’autant qu’ils n’ont pas à supporter les mêmes coûts que nos écoles liés à la présence d’un corps professoral permanent. Cette offre est très différente de celle des Grandes écoles qui consacrent beaucoup d’énergie et d’investissement aux sujets pédagogiques et académiques chers à l’enseignement supérieur.
Or, il est très difficile pour les familles de faire la distinction entre ces différentes catégories d’établissements. D’autant que ces organismes ne ménagent pas leurs efforts en matière de marketing et bénéficient d’une grande agilité liée, par exemple, à leur absence de Parcoursup, ce qui leur permet d’admettre des étudiants dans la semaine sans procédure déclarée au Ministère.
Si, pendant longtemps, nous prêtions peu attention à ces acteurs, il est clair désormais que les Grandes Écoles doivent regarder de près la montée en puissance de cette concurrence. Aujourd’hui, il arrive que certains candidats en mesure de rejoindre nos établissements d’excellence se laissent séduire par ces organismes. Plus que jamais nous devons unir nos efforts pour offrir aux familles et aux jeunes la plus grande transparence, indispensable pour faire son choix en toute connaissance de la nature différente des acteurs du marché. L’état doit aussi jouer son rôle de de régulateur et donner les clés pour distinguer les acteurs.
O. R : En tant que membre du board de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business), vous avez une vision privilégiée de la situation actuelle des business schools internationales. Comment se portent-elles ?
D. M : Le secteur connaît une profonde mutation et de vrais challenges, et ce dans de nombreux pays. Et je dois reconnaitre que nos Grandes Écoles françaises se défendent particulièrement bien dans ce contexte. Je note, par exemple, que nous avons une vraie longueur d’avance en matière de cursus hybrides, avec des offres solides mêlant le management à la technologie, la data ou l’IA. La demande pour de tels programmes est une première évolution profonde du secteur.
La santé mentale de la jeunesse, fragilisée par le COVID et inquiète face aux évolutions du monde et de la planète, est également une priorité pour tous les dirigeants de l’enseignement supérieur à travers le monde.
Ensuite, et peut-être surtout, la situation financière de l’enseignement supérieur est tendue dans de nombreux pays. Rien qu’aux Etats-Unis, plus de 500 écoles à but non lucratif ont fermé leurs portes au cours des dix dernières années et près d’un établissement sur 10 serait en difficulté financière. Plusieurs raisons expliquent ce constat comme la fragilisation de certains acteurs par la pandémie, la hausse des frais de scolarité ou encore la baisse de la démographie… La question du « retour sur investissement » face à des frais de scolarité très élevés se posent dans de nombreuses familles. Enfin, les tensions géopolitiques sont fortement ressenties sur les campus américains et de très grandes institutions ont été fortement déstabilisées au cours des derniers mois par la situation au Proche Orient.
Au Royaume Uni, également, les universités sont affectées par l’évolution démographique, mais aussi par la baisse des étudiants internationaux, qui résulte de plusieurs facteurs : le Brexit, un accès bien plus difficile aux visas, et la baisse émanant de certains pays asiatiques, notamment la Chine. Le gel des frais de scolarité décidé par les pouvoirs publics depuis de nombreuses années est également un frein à leur bonne santé. Environ la moitié des universités britanniques font actuellement face à un déficit budgétaire.
O. R : On l’a vu en France en cette rentrée avec une augmentation de 11%, les business schools françaises reçoivent toujours plus d’étudiants internationaux, bien plus que les autres établissements. Comment analysez-vous cette réussite ?
D. M : Cette hausse est une excellente nouvelle. N’oublions pas que les étudiants internationaux sont un vrai facteur de soft power et qu’ils restent attachés à la France et souhaitent continuer de travailler avec nos entreprises quand ils reviennent dans leur pays.
Cette dynamique s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, les Business Schools françaises jouissent d’une excellente réputation internationale. Le classement du Financial Times témoigne très bien de cette image d’excellence avec, dans son dernier classement des Masters in Management, 15 écoles de commerce françaises parmi les 50 meilleurs établissements mondiaux !
Il y a aussi la reconnaissance académique internationale : nos écoles affichent, pour bon nombre d’entre elles, la fameuse triple couronne, AACSB, EQUIS et AMBA. C’est un vrai marqueur de qualité pour les étudiants internationaux et une garantie que la formation identifiée répond aux meilleurs standards.
L’offre de programmes explique aussi notre succès. Les écoles françaises ont une grande capacité à faire évoluer leur offre en fonction des besoins du marché et des défis actuels comme l’intelligence artificielle ou la transition écologique. Si je prends l’exemple de NEOMA, nous avons lancé en 2 ans un cursus dédié à l’IA et un second à la Sustainability. Nous bénéficions également de l’attractivité de la France et de sa culture et de son savoir-faire à l’international. En délivrant des cursus en prise directe avec les domaines d’excellence tricolores tels que la gastronomie, le vin, le champagne ou encore le luxe, nous attirons de nombreux profils internationaux.
Enfin, la forte dimension internationale de nos écoles est également un levier d’attractivité indéniable pour les étudiants étrangers qui cherchent à acquérir une expérience globale. Tout comme la qualité de l’accueil que la France prodigue aux étudiants internationaux. Le label Bienvenue en France, qui souligne la qualité de l’accueil aux étudiants étrangers dans les établissements d’enseignement supérieur français, en témoigne.
Néanmoins, ne nous endormons pas sur nos lauriers et sur cette hausse de 11%. D’autres pays font des efforts considérables pour accueillir des étudiants internationaux et en attirent de plus en plus : l’Allemagne, la Turquie, les Pays-Bas, la Corée du Sud… La France doit travailler pour maintenir sa 6ème place par le nombre d’étudiants internationaux accueillis et attirer de plus en plus d’étudiants d’excellence émanant du monde entier.