Dès les année 1980 le Groupe IGS a été pionnier de l’apprentissage dans les métiers tertiaires. Le fondateur et délégué général du groupe, Roger Serre, revient avec nous sur les enjeux de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle dont on vient de connaître les arbitrages.
- Union d’associations à but non lucratif, le Groupe IGS accueille et place chaque année 13 000 apprenants, de bac-2 à bac+6.
Olivier Rollot : Vous êtes un des grands promoteurs de l’apprentissage depuis 45 ans, quel regard jetez-vous sur la réforme qu’entreprend en ce moment le gouvernement ?
Roger Serre : Globalement la réforme est fondée sur de bonnes intentions, dès lors qu’elle vise d’abord à servir les jeunes, les salariés et les demandeurs d’emploi en améliorant leur orientation, en les responsabilisant dans leur choix et en sécurisant leur parcours professionnel et leur engagement personnel. Concernant la taxe d’apprentissage, à l’origine, elle n’a pas été créée (puis améliorée par la loi Delors) pour financer les formations en apprentissage. C’était une « loi de liberté » pour les entreprises d’attribuer ce financement aux organismes publics ou privés de leur choix et une « loi d’encouragement » à une liaison directe emploi-formation. Il convient de garder et de développer cette philosophie pour réussir la réforme. Bien évidemment, il est bon de donner aux jeunes les mêmes avantages lorsqu’ils sont apprentis ou alternants, mais il ne faut pas confondre « apprentissage » et « professionnalisation par l’alternance ».
Depuis des années, le gouvernement souhaite 100 000 jeunes de plus en apprentissage. De fait, le succès est dû à l’accompagnement et l’interactivité pédagogique entre le centre de formation d’apprentis (CFA), le jeune et le tuteur en entreprise. Le problème n’est pas budgétaire, si le financement destiné aux CFA reste du même montant qu’avant la loi de 2014. Le vrai problème, si l’on veut augmenter le nombre d’apprentis, est d’améliorer le niveau des fondamentaux des jeunes et d’organiser une meilleure liaison entre l’orientation et la préparation à l’apprentissage. De fait, depuis la réforme de 2014, le nombre d’apprentis ne s’est pas accru si ce n’est dans les métiers tertiaires, interprofessionnels qui garantissent une mobilité et une employabilité plus grande ; de plus, à peine 60% de la taxe d’apprentissage prélevée auprès des entreprises a servi à l’apprentissage.
O.R : Confier aux branches professionnelles la gestion du dispositif va-t-il être une bonne chose ?
R.S : Les branches professionnelles sont évidemment les mieux placées pour connaître les compétences clés de leur cœur de métiers et contribuer à définir des programmes plus adaptés, en coopération avec les autres acteurs. Il s’agit bien d’établir des contenus correspondant aux besoins de l’emploi et de contrôler la qualité. En revanche, le nombre d’emplois transversaux ou interbranches ne cessent de croître dans les entreprises et la gestion du système, s’il s’agit de versement de fonds, doit tenir compte du poids de l’interprofessionnel.
Pourquoi ne pas convenir directement, entre centres de formation et entreprises, des conventions de développement qualitatif et quantitatif de l’apprentissage et de la professionnalisation ?
O. R : On va également passer à un paiement des formations au contrat et non plus globalement par Centre de formation d’apprentis (CFA). Qu’en dites-vous ?
R. S : Chaque entreprise devrait verser sa contribution à un OPCA (organisme paritaire collecteur agréé) / OCTA (organisme collecteur de taxe d’apprentissage) de son choix qui « remboursera » ensuite ses dotations selon un forfait qui sera sans doute le même pour toute la France. Le tout est que le forfait soit suffisant pour couvrir les coûts de formation et les besoins d’investissement.
Mais ce que je voudrais surtout entendre, quand on parle apprentissage, c’est autre chose que des réflexions d’argent ou de pouvoir. L’apprentissage, c’est avant tout une pédagogie de transfert du beau geste. C’est d’abord l’amour des métiers. On ne parle jamais de la pédagogie nécessaire pour favoriser l’emploi et, je n’hésite pas à le dire, le bonheur des individus. Nous formons, chaque année, au sein du Groupe IGS, 4 500 maîtres d’apprentissage pour assurer une liaison directe entre celui qui sait faire et les jeunes auxquels on donne l’amour d’un métier. L’accompagnement n’est pas valorisé alors qu’il est l’essentiel.
Notre métier c’est aussi de faire aimer les métiers ! Nous avons même formé 600 bouchers en cherchant des profils qui, dans les 14 000 entretiens que nous faisons passer, correspondaient aux profils recherchés. Nous gérons également vingt universités d’entreprise pour les aider à expliquer leurs métiers.
O. R : La réforme, en cours, concerne également la formation professionnelle. Que pensez-vous des projets du gouvernement en la matière ?
R. S : Le point très positif est qu’on va donner plus de souplesse dans la signature des contrats dans le cadre du compte personnel de formation (CPF). Ce dernier donne 150 heures de formation tous les six ans que les syndicats ne veulent pas voir traduites en argent pour éviter que les formations les moins chères soient favorisées.
Le gouvernement pensait de son côté que le salarié pourrait abonder la formation au-delà de ses droits. Il faudrait encore qu’un salarié puisse obtenir des prêts à taux zéro pour se former. Peut-être cela va-t-il finir par se développer comme quand j’ai inventé les prêts étudiants en 1971 à l’Essec. Il faudrait pour cela créer une sorte de « compte changement de vie » pour que chaque salarié puisse se prendre en charge avec un abondement de l’État. Il serait appuyé sur un emprunt à 0%. Dans nos organismes de formation nous voyons en tout cas de plus en plus de personnes – 25% de plus en quatre ans – qui souhaitent financer eux-mêmes leur formation. Parce qu’ils veulent être libres de se former comme ils le souhaitent ou parce qu’ils ne veulent pas en parler à leur entreprise.
O. R : Parlons du Groupe IGS. A ses débuts vous n’abordez que la formation continue. Aujourd’hui vous êtes un acteur global de la formation.
R. S : Un groupe comme le nôtre est d’abord un fournisseur de ressources humaines aux organisations. Notre métier c’est d’être des « accompagnateurs ». Nous faisons passer 14 000 entretiens d’orientation par an. Cette année nous avons trouvé un contrat d’alternance – apprentissage ou professionnalisation – à 4 800 jeunes tout juste bacheliers. Nous sommes capables de les placer en un mois et demi en moyenne grâce à nos relations avec les entreprises. Nous les orientons, plaçons, formons pour préparer un diplôme d’État ou une formation certifiée par le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Et après leur apprentissage, nous nous sentons encore la responsabilité de leur trouver un emploi. Nous sommes présents dans l’ensemble de la chaîne mais nous n’avons pas participé à la concertation sur le sujet lancée par le gouvernement…
Aujourd’hui, le Groupe IGS forme des jeunes de bac-2 à bac+6 dans le cadre d’une fédération d’associations qui ne touchent aucune subvention et sont tout juste équilibrées financièrement. Notre force, c’est de partager des ressources, des locaux, des méthodes en s’appuyant sur des personnels merveilleux. Nous sommes également un groupe pluridisciplinaire avec des écoles de ressources humaines, de commerce, de communication, etc. Autant d’étudiants que nous fédérons au sein du projet HEP Education (Humanisme, Entreprenariat et Professionnalisme) pour, j’ose encore le dire, leur apprendre à être heureux.
O. R : « Apprendre à être heureux » !
R. S : Oui. Parce qu’il faut faire découvrir aux jeunes ce qu’ils aiment faire et les accompagner. Il faut être libre de « zigzaguer » entre différents projets en ayant la confiance en soi. Nous sommes face à une génération ouverte qui rencontre un grand décalage entre ses aspirations et les normes qu’on veut lui imposer.
Je le dis : le bonheur s’enseigne ! Et cela doit faire partie d’un projet pédagogique. C’est ce que nous devons apporter à nos 8 000 apprentis et alternants, dont le coût de la formation est entièrement pris en charge, comme à nos 4 000 étudiants qui ne déboursent jamais plus de 8 000€ par an.
Nous devons créer un programme qui conjugue humanisme et entreprenariat. Les vrais entrepreneurs, ce sont les artistes, ceux qui prennent le risque d’acheter une toile, des pinceaux, de la peinture sans savoir s’ils ne vendront jamais une œuvre.
O. R : Comment peuvent évoluer les pédagogies dans un univers où de plus en plus de cours sont accessibles sur Internet ?
R. S : Il faut une pédagogie de l’« encouragement » au-delà des cours disponibles sur Internet. Le digital doit permettre de donner plus de temps aux professeurs pour accompagner les étudiants. La relation entre le professeur, l’étudiant et le tuteur est essentielle.
On peut former à tout en sélectionnant et en accompagnant les projets personnels. Quand nous avons lancé le Groupe IGS en 1975, nous voulions déjà mettre l’homme au centre. Nous n’avons jamais voulu nous contenter d’appliquer des techniques comme le font les écoles de commerce. Le projet du Groupe IGS a toujours été de réconcilier la gestion et le social, d’où le sigle IGS qui signifie Institut de Gestion Sociale. Nous avons même été à la base de la création du bilan social qui est ensuite entré dans la loi.
O. R : C’est ensuite que vous créez une école pour former les professionnels des ressources humaines.
R.S : Nous avons donc créé la première école de formation de responsables de ressources humaines en 1978. A l’époque, cela n’avait même rien de naturel. Dans les années 70, c’était souvent des anciens militaires, en tout cas des personnes très expérimentées, qui devenaient directeurs des ressources humaines, pas des jeunes. Aujourd’hui notre réseau d’anciens compte 17 000 professionnels des ressources humaines qu’on retrouve dans absolument toutes les entreprises.
O. R : C’est après que vous créez les premières formations en apprentissage dans le secteur tertiaire.
R. S : C’est une belle histoire qui commence quand le préfet d’Ile-de-France lance une étude sur le chômage des filles. La micro-informatique et la bureautique commencent à se développer, et nous lui proposons de lancer des formations en apprentissage dans les métiers du tertiaire. Sollicitée, l’une des principales fédérations professionnelles refuse. A l’époque, les CFA dépendent du ministère de l’Education nationale, nous y allons. Nouveau refus. Mais notre préfet insiste et le ministre d’alors, Christian Beullac, ancien directeur de Renault qui connaissait bien l’apprentissage, finit par nous dire que, sans nous le permettre, il ne peut pas nous l’interdire. Mais attention, « éviter » de parler de bureautique, cela n’existe pas dans les programmes, mais de secrétariat. Et voilà comment pendant 17 ans, de 1980 à 1997 nous avons été le seul CFA de métiers tertiaires en Rhône-Alpes et en France.