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Les soft skills ça s’apprend !

A l’heure de la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA), alors que les entreprises veulent recruter des jeunes prêts à s’investir immédiatement dans des projets, que doit-on leur enseigner ? « Notre métier ce n’est plus de diplômer des gens – et je doute qu’il l’ait été un jour – notre métier c’est de doter des femmes et des hommes des compétences nécessaires pour qu’ils soient acteurs d’une vie économique et sociale », analyse le directeur de l’emlyon BS, Bernard Belletante. Si peu imaginent encore qu’un cursus en management ne doit se focaliser que la transmission de connaissances, l’enseignement ce qu’on appelle en anglais des softskills – et en français des « compétences douces » (ou plutôt « humaines ») ou encore des « savoirs comportementaux » -, est tout sauf une évidence pédagogique. Car comment apprend-on à bien se comporter ? Comment acquiert-on des manières policées, à bien se comporter en toutes situations, dans tous les pays, peut-on acquérir le sens de l’humour, de l’empathie, le sens de l’innovation… ?

Autant de qualités humaines qui feront largement la différence une fois dans l’entreprise. « Nous constatons aujourd’hui une très forte demande des entreprises. Sur le plan technique, il n’y a pas de grande différence entre deux jeunes diplômés sortant d’une grande école. Mais, sauront-ils passer le bon message ? Seront-ils capables de travailler avec leurs collègues, d’être leader ? Travailler sur ces compétences humaines et émotionnelles, c’est se donner toutes les chances de progresser. Ce sont bien ces compétences comportementales qui feront la différence », comment le directeur de Toulouse BS, François Bonvalet.

Prendre goût au travail en groupe

La bonne maîtrise du travail en équipe est sans doute aujourd’hui la première qualité qu’attendent les entreprises des jeunes qu’elles recrutent. Et il importe de la stimuler dès le début du cursus. Depuis trois ans la rentrée des étudiants d’Audencia, tout juste sortis de leur classe prépa, se fait ainsi sous le signe de l’innovation managériale. L’idée des « Talent Days » : répondre en groupe aux défis des entreprises pendant deux jours et présenter ses idées sur scène. Pas de quoi désarçonner Blandine, tout juste issues d’une khâgne, et Lucille, d’une prépa ECS et toute leur équipe : « Nous savions que nous allions vite être mis dans le bain du travail en groupe comme de l’oral et cela s’est très bien passé avec d’autres élèves que nous ne connaissions absolument pas. Avec un vrai esprit de camaraderie ! ».

Travail en groupe chez Neoma BS

Du côté de Skema BS, quelques 8000 étudiants de tous les programmes se sont confrontés début 2017 à un défi créatif visant créer une offre de service innovante dans trois secteurs : edtechs, smartcity et cyber-sécurité, en duo avec les élèves ingénieurs de l’ESIEA (école d’ingénieurs) et de l’Université de Nice Sophia Antipolis. Puis les 1000 primo entrants du programme Grande École ont pris part à un défi créatif multi-campus en format hackathon durant lequel ils devaient collaborer et co-construire des solutions innovantes en réponse à des besoins réels des territoires avec les étudiants de l’ESIEA.

Devenir créatif et innovant

Au-delà du comportement, de l’altérité, c’est souvent le sens de l’innovation que les écoles de management entendent développer. « Ce que les entreprises attendent de nos diplômés c’est qu’ils les « bougent ». Qu’ils aient des idées novatrices, tant en termes d’innovation que de management, pour les aider à entre dans un monde de plus en plus technologique dans lequel il faut également maîtriser les données géopolitiques », assure le directeur adjoint de Grenoble EM, Jean-François Fiorina. Un tout nouveau séminaire d’une semaine dit d’« initiations entrepreneuriales) va ainsi bientôt voir le jour à TBS pour « booster l’esprit entrepreneurial et la créativité » des étudiants. Des challenges leur seront soumis auxquels ils devront répondre en groupe coachés par des experts et enseignants. Ils travailleront sur le projet et présenteront au jury leur proposition à l’aide d’un prototype (maquette, site web ou vidéo, par exemple) en mettant en avant des plans d’action concrets.

Ces challenges, travaux en groupe, études de cas sont d’autant plus efficaces qu’elles réunissent des étudiants de tous les pays. Ce qui n’est pas si évident que cela… « Nous soutenons une association pour faire en sorte que tous les étudiants mélangent bien leurs talents dans le cadre des parcours européens », détaille le directeur générale d’ESCP Europe, Frank Bournois, bien obligé de constater que « si on écoutait seulement les Français, ils préfèreraient rester entre eux, au point de repousser le plus possible le moment où ils se rendront sur nos autres campus ou ailleurs dans le monde ! » Or à ESCP Europe, ce n’est pas possible : on ne peut rester plus de deux semestres sur un même campus. Un moyen très efficace pour développer les soft skills liés à la connaissance de l’autre et à l’altérité.

Travailler avec d’autres profils

Les étudiants de l’ICN se mêlent aux autres étudiants d’Artem

Travailler en équipes avec d’autres étudiants de son école c’est bien, le faire avec des étudiants étrangers de la même filière c’est mieux, être capables de monter des projets avec des étudiants d’autres cursus c’est encore mieux. Avec l’alliance Artem qui la lie à Mines Nancy et à l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, l’ICN BS est depuis longtemps au cœur de cette problématique. 20% des cours de son programme grande école sont déjà communs avec ceux des Mines. Tous les vendredis après-midi les étudiants des trois écoles se retrouvent autour de projets communs. « Et l’étincelle naît souvent à la marge de chaque discipline quand les étudiants des autres écoles s’en emparent pour en repousser les frontières. Ils dépassent des frontières et pourront demain apporter beaucoup aux entreprises qui les recruteront », se félicite la directrice de l’ICN, Florence Legros.

Des expériences comme celle-là on en retrouve également à Audencia – dans une autre alliance qui la lie à Centrale Nantes et à l’école d’architecture – ou à Télécom EM qui partage son campus avec Télécom SudParis. Depuis 17 ans les deux écoles organisent chaque année un Challenge Projets d’Entreprendre® commun pour les étudiants de deuxième année des deux écoles. Pendant une semaine ils travaillent en commun sur des projets. « Certains choisissent d’intégrer la majeure entrepreneuriat en 3ème année et peuvent ensuite intégrer notre incubateur commun. Ils créent des entreprises comme Recommerce, le leader européen de la collecte de téléphones portables recyclés ou Auticiel, spécialisé dans les applications destinées aux personnes atteintes de troubles cognitifs et mentaux », rappelle le directeur de Télécom EM, Denis Guibard.

L’apport des événements étudiants

L’organisation d’événements étudiants est une autre occasion d’apprendre, non seulement à travailler en groupe, mais aussi avec des entreprises qui en sont les sponsors. « Diriger une association c’est un véritable apprentissage du management par la pratique avec une équipe de 24 étudiants qu’il faut gérer de novembre à septembre pendant 2 h à 2 h 30 par jour », confie Jérémy Paillusson, qui dirige l’association Triathlon Audencia La Baule. Tout juste sortis de prépas les responsables des postes clés (président, trésorier, responsable communication…) doivent en effet gérer un budget qui dépasse les 1,3 M€ pour le Triathlon Audencia La Baule ou encore 750 000€ pour l’Altigliss de Grenoble EM.

Pour les deux événements rien ne serait possible sans le soutien de sponsors tels KPMG, Société Générale, SNCF, Airbus, Cap Gemini, Lidl, etc. Autant de sponsors qu’il faut savoir gérer… « Je prends personnellement en charge la recherche des partenaires (etc.) sachant que certaines ne font que faire participer leurs personnels quand d’autres sont présentes tous les jours, comme Huewei, pour nouer des contacts avec les étudiants », remarque Jérémy Paillusson qui a largement choisi Audencia dans l’espoir d’organiser son Triathlon. Lui comme pour tous les autres membres des associations « savent que sur un CV cela fait la différence d’avoir participé à un événement d’une telle ampleur » selon les mots du responsable de la « discipline sport » d’Audencia, Hervé Delaunay.

Apprendre à aider les autres

Parmi les apports essentiels aujourd’hui sur un CV avoir vécu une expérience humanitaire ou associative figure en bonne place. Étudiants des Grandes Écoles comme anciens manifestent d’ailleurs également un intérêt particulier pour les missions qui apportent du sens ainsi que pour l’économie sociale et solidaire (ESS) selon le Baromètre IPSOS –BCG – CGE Qu’attendent les étudiants et anciens élèves des grandes écoles du marché du travail?. Si la connaissance du secteur de l’ESS reste à améliorer (56% des étudiants ne voient que vaguement ce dont il s’agit), l’engouement pour ces métiers est très fort : un étudiant sur deux aimerait y travailler, une proportion qui atteint même deux anciens élèves sur trois.

Dans ce contexte les écoles mettent de plus en plus en avant la possibilité pour les étudiants, pendant leur cursus, de remplir des missions humanitaires. Le programme Humacité du groupe Sup de Co La Rochelle BS attire ainsi nombre d’étudiants qui veulent réaliser une mission citoyenne obligatoire au service d’associations ou d’ONG. Une dimension « responsable » depuis longtemps apanage de l’école « La RSE (responsabilité sociale des entreprises) fait partie des grandes spécificités de La Rochelle. Nous avons été la première école à développer un master de gestion de l’environnement en 1999 », commente son directeur, Bruno Neil. En France même des associations comme Zup de Co recrutent chaque année des milliers d’étudiants pour accompagner les jeunes issus des quartiers populaires. « Les étudiants et les jeunes en service civiques qui nous accompagnent sont décisifs pour mener à bien notre mission. Une façon constructive de rendre à la société ce qu’elle leur a donné tout en vivant une expérience riche d’enseignements. C’est une action citoyenne et solidaire qui peut même leur apporter des crédits ECTS », confie le président de l’association, François-Afif Benthanane.

La culture générale c’est aussi une soft skill !

La culture générale est au carrefour des connaissances et des soft skills. Parce qu’elle permet l’altérité, donne confiance en soi, vous met à l’aise en toutes circonstances, en tous pays. « La culture générale c’est ce qui permet d’écouter, de voir des systèmes de valeur différents. C’est plus quelque chose qu’on porte vers l’autre que quelque chose qu’on récite », assure Bernard Belletante.

Un aspect de la formation de la filière française en management, particulièrement en classe préparatoire, reconnu dans le monde entier comme l’explique le président de l’APHEC, Alain Joyeux : « La valeur ajoutée d’un diplômé français c’est sa culture générale, c’est à dire sa capacité à croiser les approches de différentes disciplines pour analyser les problèmes. La classe préparatoire est ce plus qui donne un bagage général, ni technique, ni financier…, permettant finalement à un futur manager de comprendre d’autres cultures quand il travaillera en Asie, en Argentine, etc. De croiser des approches économiques, historiques, philosophiques pour bien analyser la situation dans laquelle il va se trouver ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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