Thomas Jeanjean (Photo CCI-A Potignon)
C’est un acteur majeur de l’enseignement supérieur. Plus de 44 000 étudiants en formation initiale, dont près de 15 000 apprentis, et 30 000 apprenants en formation continue sont formés aujourd’hui au sein des quatorze écoles de la Chambre de commerce et d’industrie Paris-Ile de France. Directeur général adjoint en charge de l’Education, Thomas Jeanjean revient avec nous sur les grandes questions d’actualité et en détail sur celle de ses écoles.
Olivier Rollot : Questions d’actualité d’abord. La qualité des formations, notamment celles proposées en apprentissage, suscite beaucoup de débats. Un projet de label pour l’enseignement supérieur privé était en discussions au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) avant la dissolution. Où en est-on ?
Thomas Jeanjean : Le nouveau gouvernement a annoncé son souhait de relancer les échanges. Au sein de la chambre nous sommes très favorables à ce que les familles puissent mieux se retrouver dans l’ensemble des formations. Le système manque aujourd’hui complétement de visibilité. Qui, hors les spécialistes, connait la différence entre un diplôme national de licence et une licence, un diplôme gradé ou visé ? Cette complexité rend le système peu lisible et il faut absolument aider les jeunes et leurs familles à comprendre le financement des établissements dans lesquels ils veulent s’inscrire. Il faut pouvoir comprendre la nature des acteurs, publics et privés, qui facturent ou pas des frais de scolarité. On peut être public comme Sciences Po et payant et non lucratif et gratuit car financé par l’apprentissage. Mais quand on demande aux familles ou à la collectivité de vous financer il faut pouvoir garantir qu’on sépare bien le bon grain de l’ivraie.
O. R : La pérennité des financements de l’apprentissage est aujourd’hui en question. Quelle est la position de la CCI Paris-Ile de France à ce sujet ?
T. J : Nous sommes conscients de la nécessité d’une forme de rééquilibrage, alors que le montant des fonds consacrés à l’apprentissage a doublé depuis 2018, tout en regrettant de voir que l’approche est purement comptable. Cela vaut vraiment la peine de dépenser 1000€ de plus par jeune pour les amener vers l’emploi.
Dans les 20 milliards d’euros du financement de l’apprentissage un tiers est constitué par le financement des CFA (centres de formation d’apprentis), un tiers par les primes à l’embauche et un dernier tiers par les allégements de charges et d’impôts. Demander un effort aux CFA c’est risquer de dégrader la qualité de leurs prestations. S’il faut le faire c’est en mesurant leur qualité. On nous rétorque que mettre en œuvre des critères qualitatifs est compliqué mais on sait où travaillent les apprentis ! On fait bien des classements des lycées en calculant leur plus-value, pourquoi pas pour les CFA ? Je suis favorable à la création d’un « Eduscore » pour noter chaque formation de manière simple et immédiatement compréhensible de A à E. Ce score prendrait en compte la qualité du recrutement, les reconnaissances des formations et la qualité de l’insertion professionnelle.
O.R. Les primes à l’embauche ont-elles été pour certaines entreprises un effet d’aubaine ?
T.J. : Il faut en tout cas préserver les aides au TPE et PME. Et surtout il faut bien prendre en compte l’ouverture sociale qu’a pu apporter l’apprentissage pour de nombreux jeunes. Sans ces financements beaucoup de jeunes n’auraient pas pu accéder à l’enseignement supérieur.
Il faut aussi mieux faire comprendre aux entreprises ce qu’est l’apprentissage et ce que cela leur apporte. Certaines pensent qu’il s’agit d’une période de pré recrutement et sont forcément déçues quand elles constatent que seulement un tiers seulement des apprentis restent dans leur entreprise. Il faut qu’elles comprennent que cette période sert aussi à faire vivre leur marque employeur et que beaucoup d’apprentis reviennent dans leur entreprise de formation ensuite. L’apprentissage est un investissement à long terme pour les entreprises. Il permet aussi à certains secteurs qui avaient du mal à recruter de le faire.
O. R : La chambre de commerce et d’industrie Paris-Ile de France compte 14 écoles. Si vous voulez bien nous allons les évoquer en commençant par les écoles de management sous tutelle de la chambre. Comment se portent HEC, Essec et ESCP ? Quelle est aujourd’hui leur trajectoire de croissance ?
T. J : Nos trois écoles sont dans une trajectoire de croissance et on atteint ou vont atteindre prochainement un budget de 200 millions d’euros. Une croissance qui s’est largement faite en augmentant le volume de nos étudiants en formation initiale, avec notamment de nouveaux bachelors, et en majorant le prix de nos formations. Aujourd’hui les trajectoires de croissance se dessinent plutôt sur le formation continue et de nouveaux partenariats alors que la démographie s’annonce en baisse.
Le développement de la formation continue est aujourd’hui un sujet commun à toutes les écoles. Une école ne propose pas que des diplômes. Elle délivre également des certifications, des micro-certifications et peut monter des partenariats sur mesure avec de grandes entreprises pour former leurs salariés.
O. R : Les classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG) semblent retrouver des couleurs après des années plus ternes. Vos trois écoles de management vont-elles augmenter leur recrutement en classe préparatoire en 2025 ?
T. J : Les initiatives prises par les écoles et la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) ont été profitables à la filière. De même que l’abandon des projets de nouvelle réforme de ces classes. Il semble bien que nous assistions à une remontée des inscriptions mais la Direction des admissions et des concours (DAC) n’a pas encore collecté toutes les inscriptions de l’année.
C’est dans cet esprit de confiance pour l’avenir de la filière que nos trois écoles vont augmenter leurs promotions cette année. Cela s’y prête après des années plus difficiles qui ont vu le recrutement des CPGE stagner voire baisser.
O. R : La CCI Paris Ile-de-France est également tutelle de deux école d’ingénieurs : l’Esiee Paris et l’Esiee-IT. Comment se distinguent-elles l’une de l’autre ?
T. J : L’Esiee Paris a un statut juridique particulier : c’est une école consulaire logée au sein d’une université, Gustave-Eiffel, avec une gouvernance partagée dans un conseil d’établissement qui a les attributs d’un conseil d’administration. C’est un cadre exigeant qui fonctionne plutôt bien et permet à l’école de se développer grâce à la densification des relations avec le monde universitaire.
Esiee-IT a quant à elle un statut d’EESC et dépend à 100% de la chambre tout en étant associé à la Comue CY Cergy Paris Université. Elle est née de la fusion en 2020 de l’Itescia avec les programmes ingénieur dispensés par l’Esiee à Pontoise et dispense à la fois un diplôme d’ingénieur et des programmes techniques à bac+5 tout en possédant également une Coding Factory.
O. R : Nous avons évoqué vos Grandes écoles de management et d’ingénieur mais l’excellence est également reconnue par la Conférence des Grandes écoles (CGE) pour deux autres de vos écoles dans les arts digitaux et la cuisine. Ce sont des écoles qui requièrent de gros investissements. Quel est leur modèle économique ?
T. J : FERRANDI et GOBELINS sont effectivement affiliées à la Conférence des Grandes écoles sous un statut qui ne compte aujourd’hui que quatre écoles. Il faut en effet délivrer un grade de master avec des activités de recherche pour être membre de plein exercice de la CGE ce qui est plus difficiles dans les arts digitaux et la cuisine. Pour autant ces deux écoles possèdent tous les atouts d’une Grande école en termes de réseaux et de réputation.
Leur modèle économique est en train de se caler alors qu’elles demandent des frais de scolarité plus faibles que les écoles de management tout en requérant des plateaux techniques très onéreux. Nous devons trouver un point d’équilibre dans des écoles qui n’ont pas l’habitude de facturer leurs formations au juste prix.
O. R : La chambre est forcément d’abord celle de l’Ile-de-France. Pouvez-vous développer facilement vos marques ailleurs en France ? Notamment sans que les autres CCI en prennent ombrage.
T. J : FERRANDI possède déjà des implantations à Bordeaux et Rennes. Sup de V déploie des programmes un peu partout en France. Ces déploiements se font en général en collaboration avec les CCI locales concernées. Être la CCI Paris Ile-de-France n’est pas un frein lors que le marché local peut absorber les diplômés et nous le faisons en accord avec les CCI locales. Ce maillage territorial fin n’est cependant pas généralisable à toutes nos écoles techniques, ce serait probablement beaucoup plus compliqué pour GOBELINS dont le modèle pédagogique est très particulier.
O. R : C’est unique : la CCI Paris Ile-de-France forme en fait du CAP au doctorat !
T. J : Oui et avec des taux de sélectivités très surprenants tant l’exigence est forte dans certaines de nos formations qui peuvent recruter dès avant le bac. Les équipes de écoles font un vrai travail de sélection pour identifier les profils qui possèdent à la fois les fondamentaux techniques et les soft skills nécessaires notamment quand ils sont apprentis.
O. R : Avec quels résultats d’insertion dans le monde du travail ?
T. J : Nous menons chaque année une enquête dans nos écoles avec la même méthode que la Conférence des Grandes écoles. Six mois après leur diplomation 90% de nos élèves sont en emploi sachant que, parmi les autres, un certain nombre sont en poursuite d’études. Un résultat qui n’est pas l’apanage des écoles de management, par exemple le taux d’insertion atteint 92% à FERRANDI. Toutes nos écoles techniques ont des taux d’emploi excellents.
O. R : Dans le périmètre que vous dirigez il n’y a pas que des écoles. Il y a également la DAC que vous avez citée et d’autres activités ?
T. J : La DAC est l’opérateur du concours d’entrée post prépas dans les école de management BCE. Nous gérons également le dispositif Join a School in France (ex SAI) pour favoriser le recrutement international des écoles. La CCMP (Centrale de cas et de médias pédagogiques) est le premier éditeur français d’études de cas d’entreprises. Nous gérons également le TEF, le test d’évaluation de français, qui est reconnu en France comme au Canada pour l’immigration ou acquérir la citoyenneté. Enfin, la CCI opère plusieurs CFA tant pour nos écoles que pour d’autres institutions (comme la Sorbonne Nouvelle, l’ENSTA ou Centrale Supélec par exemple).
O. R : Quand vous évoquez les IA vous parlez bien de toutes vos écoles. Même votre école de gastronomie et de management hôtelier, FERRANDI, est aujourd’hui impactée par les IAG ?
T. J : Le geste technique ne va pas changer mais la commercialisation dans le restaurant va évoluer. Il y a aussi des travaux sur la personnalisation du goût et des arômes avec Ies IA au sein de l’ISIPCA, notre école de Parfum, Arôme et Cosmétiques. Même sur les questions sensorielles les IA ont un impact !
O. R : Menez-vous des formations sur les IA dans l’ensemble de vos écoles ?
T. J : Hors les trois écoles de management qui sont autonomes en la matière, nous avons lancé le plan ExploreIA pour aider l’ensemble de nos collaborateurs à créer un prompt ou entrer en contact avec des prestataires spécialisés. Tout le monde mérite d’être formé quand on sait qu’on utilise dix ou vingt fois mieux les IA après avoir suivi une formation.
O. R : La question de l’expérience étudiante et de sa qualité se pose de plus en plus pour l’enseignement supérieur. Comment les écoles de la chambre se sont-elles emparées du sujet ?
T. J : Qu’est-ce qu’un étudiant heureux ? Comment passe-t-on de l’étudiant satisfait, bien dans son emploi, qui gagne bien sa vie, à l’étudiant ambassadeur de sa formation ? C’est une question qui se pose dans toutes nos écoles avec tout un travail de fond à faire pour savoir ce que doit ou pas faire l’école pour ses étudiants. Aujourd’hui de plus en plus d’écoles créent des dispositifs pour prendre en charge la santé et les problèmes psychologiques de leurs étudiants. Ce sont de nouvelles attentes. De nouvelles responsabilités auxquelles il faut pouvoir répondre.
Les CCI organisent les Nuits de l’orientation Cette année encore, le réseau des CCI propose aux jeunes et à leur famille d’aborder la question de l’orientation professionnelle. L’édition 2024 se déroule du 4 novembre au 7 décembre dans le cadre du Mois de la Découverte des Métiers. Collégiens, lycéens, étudiants et adultes en reconversion, peuvent venir découvrir des métiers préparer tranquillement leur avenir professionnel. A Paris la Nuit de l’Orientation aura lieu le 7 décembre prochain à la CCI Paris IDF, avenue de Friedland. Pour plus d’infos : La Nuit de l’orientation | CCI Paris Ile de France