C’est une école particulière au sein de la communauté des écoles de management : Institut Mines Télécom Business School forme des managers au sein d’une communauté d’écoles d’ingénieurs et partage même son campus avec l’une d’entre elles. Son directeur, Denis Guibard, revient avec nous sur les spécificités de son école.
Olivier Rollot : Comment définiriez-vous le modèle d’Institut Mines Télécom Business School ?
Denis Guibard : Nous sommes d’abord une école ouverte à la diversité dans laquelle les boursiers ne payent aucun droit de scolarité. Nous sommes ensuite une école de management au sein d’un groupe composé d’écoles d’ingénieurs de premier plan. D’autant que nous partageons notre campus avec Télécom Sud Paris avec laquelle nous avons longtemps formé une seule école et aujourd’hui encore un seul BDE. En résumé nous sommes une école de management qui a la culture d’une école d’ingénieurs. Une école de management qui forme des managers qui parlent le langage des ingénieurs. C’est très important pour les entreprises et c’est natif chez nous.
Aujourd’hui nous voulons aller plus loin dans la création de programmes communs avec les autres écoles de l’IMT.
O. R : Le campus d’Institut Mines Télécom Business School est à Evry. N’est-ce parfois un peu difficile d’y faire venir des étudiants ? Sans parler de la formation continue ?
D. G : En étant à Evry nous nous inscrivons dans une logique de territoire qui nous permet à la fois de posséder un beau campus et de permettre à nos étudiants de se loger facilement.
Il est effectivement difficile de faire venir des professionnels à Evry. C’est pourquoi nous délivrons nos cours de formation continue à Paris, près de la Bourse. Si on oublie HEC et l’Essec la plupart des autres écoles sont d’ailleurs implantées dans les centres villes des métropoles.
O. R : Cet été Institut Mines Télécom Business School n’a pas rempli toutes les places qu’elle proposait aux élèves de classes préparatoires. Comment l’analysez-vous ?
D. G : Nous avions anticipé un non-remplissage. Ces résultats sont la conséquence d’une politique délibérée de l’école de renforcer sa sélectivité en remontant significativement ses barre d’admissibilité et d’admission. En tenant compte de la décroissance forte du nombre d’étudiants en classes préparatoires et du nombre de places de plus en plus élevé proposé dans les écoles du haut du tableau il fallait accepter de recevoir moins d’étudiants pour garder la qualité de notre recrutement.
O. R : Les barres d’admission et d’admissibilité de beaucoup écoles sont-elles trop basses ?
D. G : Elles sont de plus en plus basses alors qu’on voit que beaucoup d’écoles ont un taux d’admissibles sur leurs candidats qui dépasse les 90%. Comment le dispositif est-il censé être sélectif si on dépasse les 90% ?
O. R : En 2023 la baisse des effectifs recrutés en 2021 dans les classe préparatoires économiques et commerciales générales (ECG) va mathématiquement faire chuter le nombre de candidats…
D. G : Au-delà de la dixième place le flux va être forcément moins fort. A moins que les écoles du haut du tableau baissent leur nombre de places. Si nous voulions vraiment nous placer dans la logique collective de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) il devrait y avoir à court terme une réduction du nombre de places proposées par les écoles du haut du tableau. Aujourd’hui on évoque seulement la suppression des cinq places de « sécurité » que les écoles prennent au-delà de leur recrutement pour compenser les désistements. C’est une mesure cosmétique.
O. R : En créant des bachelors, les écoles de commerce ne sont-elles pas responsables de ce moindre intérêt pour les classes préparatoires ?
D. G : Les écoles ont contribué au contournement des classes préparatoires. Vous parlez de bachelors mais il y a aussi les admissions sur titre.
O. R : Comment Institut Mines Télécom Business School va-t-elle réagir pour sécuriser ses recrutements les années à venir ?
D. G : Nous ne sommes pas dans une logique d’augmentation du nombre de nos étudiants dans le programme Grande école mais plutôt de diversification avec l’ouverture de plus en plus de places sur d’autres voies d’accès. Nous allons beaucoup travailler sur la création de doubles diplômes ingénieur/manager au sein des écoles de l’Institut Mines Télécom (IMT) comme des écoles partenaires de l’IMT. Et en priorité Télécom Sud Paris avec laquelle nous partageons le même campus. Cela correspond aux caractéristiques de l’école et de la montée en puissance du management des technologies.
Nous avons également de la marge dans le recrutement des étudiants internationaux.
Le recrutement en admissions sur titre va évoluer avec la création du bachelor universitaire de technologie (BUT), à bac+3, qui va restreindre le recrutement après un bac+2.
Avec ce double mouvement de baisse des recrutements à bac+2, un certain nombre d’écoles vont avoir une articulation plus proche du LMD avec une majorité d’étudiants intégrant leurs programmes en trois ans en deuxième année, c’est-à-dire en première année de master.
O. R : Que peuvent faire les classes préparatoires pour séduire de nouveau les lycéens ?
D. G : Sans changement radical de perception des classes préparatoire aux grandes écoles chez les lycéens cela va devenir un problème structurel. Face à la concurrence des bachelors et de l’international les classes préparatoires ne retrouveront pas le rythme de la croissance si elles ne se renouvellent pas. Or les classes préparatoires sont perçues comme un système hyper sélectif dont le seul but est de préparer à un concours. Leur vraie image, leur capacité à former des jeunes ouverts, à l’esprit vif, est peu mise en avant.
Si les classes préparatoires, dont certaines sont menacées de fermeture, sont conduites à être moins sélectives, on entrerait dans un dispositif qui est en train de s’affaiblir au global.
O. R : Ce mouvement que nous vivons dans les écoles de management est-il reproductible dans les écoles d’ingénieurs ?
D. G : Comme les écoles de management il y a longtemps déjà, les écoles d’ingénieurs sont en train de créer à la fois plus de bachelors et plus de parcours en cinq ans après le bac. Elles voient aussi de très bons élèves préférer des écoles à l’étranger comme l’EPFL en Suisse. Ce sont autant de voies de qualité qui permettent d’éviter la classe préparatoire si son image n’évolue pas. Dans les dix ans la spécificité française qu’est la classe préparatoire risque de disparaitre progressivement ou de rester élitiste pour le top 5 des écoles.
O. R : L’apprentissage connait un succès exponentiel dans l’enseignement supérieur. Or Institut Mines Télécom Business School est l’école dont les apprentis du programme Grande école sont les moins financés par France Compétences. Est-ce que cela évolue cette année alors que France Compétences revoit ses barèmes ?
D. G : Nous avons effectivement le niveau de prise en charge le plus bas des écoles de management avec 7000€ par an et par contrat. Pour atteindre le vrai coût de notre formation nous collectons du reste à charge auprès des entreprises. Mais cela nous contraint dans la croissance des contrats d’apprentissage alors qu’ils sont plébiscités par les étudiants.
L’écart entre les coûts contrat des formations équivalentes des écoles de management, qui va de 7 000€ à 17 000€, est injustifié. L’apprentissage est un système intéressant et vertueux qui est écorné par un effet d’aubaine dont bénéficient des écoles externes à la Conférence des Grandes écoles (CGE). Ce qui met à mal tout le système. Aujourd’hui certains ajustements de financements qu’effectue France Compétences ne me choquent pas pourvu qu’on ne mette pas en danger des établissements.
O. R : Comment expliquez-vous que des écoles qui proposent les frais de scolarité les moins importants, comme Institut Mines Télécom Business School (7 750€ par an) ou l’EM Strasbourg (8 900€ par an), ne fassent pas le plein cette année ?
D. G : La valeur prix peut être une explication : on se méfie de ce qui semble bon marché. Et pourtant nous offrons à nos diplômés une insertion professionnelle exceptionnelle. Tant en termes de rapidité d’insertion que de rémunérations le programme Grande école d’Institut Mines Télécom Business School se situe dans le top 10 des écoles. Même chose en bachelor, MSc, etc. où nous nous situons à d’excellents niveaux.
En revanche nous ne pouvons pas investir dans la communication au même niveau que beaucoup d’écoles.
O. R : Vous présidez la commission Développement durable et responsabilité sociétale de la Conférence des Grandes écoles (CGE). Comment jugez-vous la motivation des étudiants sur ces questions ? Sont-ils aussi concernés qu’on le dit ?
D. G : Aujourd’hui nous sommes principalement concentrés sur les questions de transition écologique. Sans généraliser à tous, nous avons aujourd’hui des étudiants très actifs qui prennent énormément la parole sur les sujets de développement durable avec notamment, depuis 2018, le collectif Pour un Réveil Ecologique. Je travaille beaucoup avec les plus compétents des étudiants mais il faut bien avoir conscience que tous les étudiants ne sont pas militants au même niveau.
O. R : L’enseignement supérieur suit ce mouvement ? Sait-on former aujourd’hui les diplômés au développement durable ?
D. G : Il ne faut pas exclure un peu de greenwashing dans certaines écoles qui veulent suivre le mouvement. Ce n’est pas le nombre de ruches sur le toit d’une école qui fait la différence. Ce qu’il faut c’est sensibiliser les étudiants avec de plus en plus de cours pour irriguer partout les enjeux de responsabilité sociale et environnementale. Ce que nous voulons promouvoir aujourd’hui c’est la création d’un socle de compétences commun à tous les étudiants acquis dès bac+2. Il faut pour cela former les formateurs aux compétences à apporter aux entreprises dans les trois piliers du développement durable.
On ne peut plus aujourd’hui former des diplômés qui ne savent pas ce qu’est une analyse de cycle de vie d’un produit ou l’éco-conception. Nos diplômés doivent comprendre les points d’impact et comment intervenir. Nous devons rapidement faire évoluer les maquettes de cours tout en formant les enseignants-chercheurs à l’enseignement de ces nouvelles compétences.
O. R : Un sujet d’actualité. A combien estimez-vous le surcoût énergétique que vous allez devoir débourser en 2023 ?
D. G : Sur le campus commun à nos deux écoles à Evry nous estimons le surcoût à 300 ou 400 000€ sur 2022 et sans doute le double en 2023. Nous ferons les mêmes économies que tous les établissements publics. Il faut savoir que l’essentiel de nos bâtiments date des années 1970 et sont très peu efficaces énergétiquement. Les fonds de France Relance nous ont déjà aidé mais nous avons besoin de fonds exceptionnels pour aller plus loin. Sans le soutien de notre tutelle ou de l’Etat nous n’avons pas les moyens de réaliser seuls rColapidement la nécessaire rénovation énergétique de nos campus. Nous allons prioriser nos propres investissements pour accélérer notre plan de sobriété et nos actions en faveur de la transition écologique.