POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

De la crise écologique à la crise énergétique : comment l’enseignement supérieur s’adapte

L’un des tableaux que publie l’université de La Rochelle sur son bilan carbone

Elle est la première à le faire : l’université de La Rochelle publie son premier bilan carbone. Son objectif : parvenir à un bilan neutre en 2050. Une vraie gageure quand elle fait partie de cet immense patrimoine universitaire français construit dans les années 1990 et dont la Cour des comptes souligne, dans son dernier rapport sur « L‘immobilier universitaire. Du défi de la croissance à celui du transfert de propriété », que « la performance énergétique d’ensemble est médiocre, alors même que ce poste de dépense est croissant du fait des augmentations tarifaires et du développement du numérique ». Le ministère de l’Enseignement supérieur estime à 7 Md€ le coût de réhabilitations du patrimoine universitaire, dont 75 % serait en lien avec la transition énergétique et environnementale. France Universités, pour sa part, porte cette estimation à 15 Md€.

Généralisation de l’enseignement des enjeux de transition écologique et de développement durable dans l’enseignement supérieur. A la suite du rapport remis par le climatologue Jean Jouzel et le professeur Luc Abbadie, Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, a annoncé le 20 octobre la généralisation de l’enseignement des enjeux de transition écologique et de développement durable dans l’enseignement supérieur.

Toutes les formations déjà existantes devront ainsi évoluer pour intégrer les enjeux de la transition écologique alors que des enseignements spécifiques à la transition écologique devront être apportés aux étudiants au plus tard en 2025. Un socle de compétences à acquérir va être défini, et servira de boussole pour la création de ces nouveaux enseignements. De plus des nouvelles formations seront proposées aux étudiants pour former aux nouveaux métiers de la transition écologique en mobilisant les ressources de l’appel à manifestations d’intérêt « compétences et métiers d’avenir » de France 2030. L’intégration des enjeux environnementaux devra ainsi dépasser les contenus de formation et irriguer la stratégie globale des établissements ».

 Horizon 2050. 28 ans pour parvenir à la neutralité carbone. C’est l’engagement de l’université de La Rochelle. Les mesures engagées, qui concernent la sensibilisation et l’appropriation des enjeux de la transition écologique et de l’impact carbone, passent d’abord par la formation de l’équipe présidentielle et des directions à ces enjeux et une formation accrue des étudiantes et étudiants à cette transition. De plus chaque laboratoire de l’Université de la démarche va être sensibilisé à la démarche Labos 1points5. Soutenu par l’ADEME, INRAE et le CNRS, le groupement de recherche Labos 1point5 a en effet pour ambition de « fédérer la recherche française sur la question de son impact environnemental ». Il regroupe aujourd’hui plus de 2 000 chercheuses et chercheurs provenant de toutes les disciplines. « Aujourd’hui on se pose beaucoup de questions et cela nous permettra d’évoluer alors que la dépense énergétique n’était pas jusqu’ici un sujet majeur dans les laboratoires. Là nous devons réfléchir vite alors qu’on parle même de coupures électriques. Mais si le temps des coupures dépasse celui des batteries des onduleurs comment les maintenir ? », s’interroge le président de l’université Gustave-Eiffel, Gilles Roussel.

A l’image de La Rochelle, l’Université Catholique de Lille s’est engagée depuis 2013 dans un programme, le Live TREE, destiné à accélérer la transition énergétique et environnementale du quartier Vauban-Esquermes où elle est implantée. « En dix ans nous avons réduit de 80% les émissions de carbone des bâtiments de notre ilot historique en recourant au chauffage urbain et en les rénovant. Aujourd’hui cet ilot historique est un véritable démonstrateur de nos ambitions écologiques », se félicite son président, Patrick Scauflaire, dont l’université a signé l’Accord de Grenoble pour « accélérer la transition socio-écologique de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ». Cet automne l’université catholique de Lille organise une convention universitaire pour le climat avec des membres de la faculté, des étudiants, le personnel et des partenaires pour établir comment cette mobilisation peut perdurer et comment elle doit impacter ses usages.

De son côté l’Université Lyon 1 a mis en place un comité de Plan de Sobriété Énergétique (PSE) qui s’est réuni pour la première fois le lundi 10 octobre. Ce comité a pour missions « d’étudier l’évolution de la situation, d’anticiper l’impact des potentiels délestages en cas de pénurie d’énergie et de proposer des actions concrètes, sur la base de l’évolution des consommations pour réduire à court, moyen et long termes, nos consommations d’électricité, de chauffage urbain et de gaz ».

Une nécessité que prend également en compte l’Ecole polytechnique dans le cadre de son Plan climat. Un travail collectif entre les professeurs, les élèves et les personnels que résume ainsi son président, Eric Labaye : « Nous avons fixé 10 objectifs réalisables à 5 ans pour transformer en profondeur les comportements et contribuer à l’avènement d’une prospérité responsable et soutenable. Nous allons ainsi développer un campus démonstrateur de la transition en nous assurant que 50% de nos commandes sont effectuées sous des critères d’achats responsables. Notre responsabilité, c’est aussi de réduire de 20% nos émissions dans les cinq années à venir. Pour cela, nous allons passer à une mobilité douce sur notre campus ».

Des enseignements dédiés et au-delà ? Alors que la création d’un socle commun à tous les étudiants en matière d’enseignement de la transition environnementale est en projet, les enseignements dédiés se multiplient. En 2022, l’université Lyon 1 a ainsi créé un tout nouvel enseignement « Climat & Transitions » (également disponible en ligne) pour ses étudiants en sciences qui s’articuleautour de six thèmes complémentaires, en se concentrant sur leurs aspects scientifiques : le climat,l’Anthropocène, l’énergie, l’exploitation des milieux naturels et les pollutions, la biodiversité etl’environnement, l’agriculture et l’alimentation.

L’école d’ingénieurs Icam s’est également lancée dans une profonde refonte de ses programmes pédagogiques afin « d’infuser les valeurs de l’écologie intégrale dans toutes les disciplines enseignées aux élèves ». « L’écologie intégrale est une conception de l’écologie qui intègre les aspects environnementaux, économiques, sociaux, culturels et les aspects de la vie quotidienne. Elle est inséparable de la notion de bien commun et implique la justice entre générations », explique Carole Marsella, directrice générale déléguée enseignement supérieur et recherche de l’Icam. A partir de la troisième année, ce sont jusqu’à 200 heures directement en lien avec l’écologie intégrale pour les élèves ingénieurs qui choisissent la majeure dédiée nouvelle créée « Énergétique et sciences du vivant ».

En septembre 2023, emlyon et Centrale Lyon ouvriront quant à elles le BScin Data Science for Responsible Business sur leurs campus de Lyon-Ecully. Ce programme postbac, situé au carrefour du monde des affaires et des nouvelles technologies, vise à « former des étudiantes et des étudiants capables de mettre la science des données et l’IA au service d’entreprises responsables pour un développement plus durable ». « Le Bachelor of Science allie les meilleurs enseignements en sciences de l’ingénieur et en management pour une formation à la hauteur des enjeux socio-environnementaux », explique Isabelle Huault, présidente du directoire et directrice générale d’emlyon business school quand Pascal Ray, son homologue de Centrale Lyon, assure que « la formation hybride que nous avons conçue ensemble apporte non seulement des compétences techniques et des savoir-faire managériaux indispensables, mais transmet également les outils et les comportements qui permettront aux jeunes diplômés d’agir en acteur visionnaire, engagé et responsable ».

Une démarche qu’on retrouve plus largement dans l’ensemble des ENS note l’Etudiant dans son article Comment les ENS développent des parcours pour répondre au défi de la transition environnementale. Accréditée par la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique pour envoyer une délégation d’étudiants observateurs lors des sessions de négociations internationales, l’ENS Paris va même envoyer sept étudiants suivre la COP27  à Charm el-Cheikh du 6 au 18 novembre.

Dans une tribune publiée par The Conversation et intitulée Transformer les programmes des écoles et universités deux professeurs de management de SKEMA Business School, Yoann Guntzburger et Marine Hadengue, demandent qu’on aille au-delà de la création de cours en engageant les cursus dans une approche « transformative ». Pour eux il ne faut plus seulement « intégrer le développement durable en ingénierie ou en management, mais plutôt enseigner l’ingénierie et le management pour le développement durable ». Pour eux la transition nécessaire des modèles d’enseignement supérieur demande un « réel changement de paradigme, basé non seulement sur de nouvelles compétences, mais également sur une transformation profonde des narrations, des valeurs, des métaphores et des symboles qui structurent de façon explicite ou implicite les modèles actuels ».

  • Dans le cadre de sa grande enquête HappyIndex®AtSchool 2022, l’agence ChooseMyCompany s’est penchée sur les établissements supérieurs qui se distinguent en matière de RSE : dans les universités, l’ICP/Campus de Reims, IAE France et l’Un Paris Dauphine-PSL se démarquent ; dans la catégorie écoles de commerce,Burgundy School of Business occupe la première place suivie par Audencia et l’emlyon ; côté écoles d’ingénieurs, les trois premières places du classement reviennent àl’ENSAIT, EUROCOM et ISIFC ; EMA SUP, Excelia Digital School et IA Schooloccupent le top 3 de la catégorie écoles spécialisées.

L’épineuse question de la mobilité. C’est aujourd’hui le poste de dépenses carbone  le plus important : 30% des émissions de gaz à effets de serre (GES) de l’université de La Rochelle concernent aujourd’hui les déplacements domicile-campus des membres du personnel et des étudiants et 15% sont dues aux déplacements professionnels. Mais comment les réduire, notamment en région où la voiture est une quasi-obligation pour beaucoup ? Sans parler d’une mobilité internationale devenue un passage obligé dans les formations les plus reconnues.  A l’Essec les déplacements des étudiants pour leurs stages ou échanges internationaux représentent ainsi 64% de l’empreinte carbone globale. L’école entend diminuer ces émissions de CO2 de 25% d’ici 2025 avec trois leviers d’action : l’adaptation de son offre de mobilité internationale, une politique d’incitation aux déplacements bas‐carbone et la sensibilisation des étudiants aux pratiques de mobilité responsable. « L’Essec subventionnera jusqu’à 100€ par an leurs trajets en train, en bus ou en covoiturage en Europe lorsqu’ils se rendent sur leur lieu d’échange ou de stage », explique Anne-Claire Pache, associate dean à la stratégie et à l’engagement sociétal, pour laquelle la mobilité internationale reste forcément un élément central.

Une nécessité que défend également Patrick Scaufflaire : « Nous n’entendons pas arrêter les mobilités internationales qui sont jusqu’à maintenant une sorte de Graal de l’expérience étudiante grâce aux rencontres multiculturelles qu’elles apportent. Il n’en va pas moins falloir réfléchir à leur impact carbone. Les soucis écologiques tout autant que les expériences menées pendant la pandémie vont faire bouger les lignes ».

Des étudiants particulièrement motivés. Ces nécessités environnementale et financière rejoignent la prise de conscience des étudiants. Le 24 juin 2022, la moitié des polytechniciens présents dans l’amphithéâtre Arago de l’Observatoire de Paris pour leur remise de diplôme a tourné le dos à la vidéo enregistrée de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies et parrain de la promotion, dont ils avaient déjà refusé qu’il crée un laboratoire sur leur campus. En se prononçant depuis contre un partenariat entre leur école et LVMH (lire l’article du Monde Derrière la contestation du partenariat entre Polytechnique et LVMH, une nouvelle génération d’étudiants), les élèves de l’Ecole polytechnique sont aujourd’hui les hérauts de cette prise de conscience. Un sujet sur lequel revient l’Usine nouvelle dans son article Comment les entreprises tentent d’attirer les jeunes diplomés de la «génération Anthropocène».

Depuis la création début 2019 de Youth for Climate en France les enjeux sociaux et environnementaux sont au cœur des préoccupation de générations qui voient leur avenir obéré par les changements climatiques mais aussi sociétaux qui en découlent. Des personnalités particulièrement impliquées dans le sujet comme Jean-Marc, Jancovici, la paléoclimatologue Masson-Delmotte ou encore l’économiste Gaël Giraud, sont ainsi les « Nouvelles rock stars des amphis » selon Le Monde. Comme le fait remarquer l’Edhec dans son étude l’impact sociétal devient aujourd’hui « un critère clé dans le choix de leur employeur » pour 77% des étudiants en école de management comme le commente Manuelle Malot, la directrice de l’EDHEC NewGen Talent centre : « Trois étudiants sur quatre choisiront leur premier emploi en fonction de son impact sociétal. C’est considérable… une déferlante sans doute encore sous-estimée par les recruteurs puisque ces jeunes n’intègreront réellement le marché de l’emploi que dans 2 ou 3 ans ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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