Depuis cet été, Jean Charroin, ancien directeur adjoint d’Audencia Group, dirige le groupe d’enseignement privé IDRAC qui comprend aussi bien des écoles de commerce (implantées à Amiens, Bordeaux, Grenoble, Lille, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Toulouse et surtout Lyon où elle possède le grade de master) que d’architecture, de tourisme ou de communication.
Olivier Rollot : Comment passe-t-on d’une grosse structure comme Audencia, classée parmi les meilleures sur son marché mais implantée dans une seule ville, à un groupe comme Idrac présent partout en France ?
Jean Charroin : Le groupe IDRAC repose effectivement sur un réseau national de 10 campus de tailles très différentes pour un total de 6000 étudiants. Le campus de Lyon est le plus imposant avec près de 3000 étudiants et sa croissance n’est pas terminée puisque nous allons construire une extension de 7500 m2 à l’horizon 2017 pour notre programme grande école et la formation continue. Nous avons aussi de beaux projets pour le campus de Nantes.
Cette organisation multisite crée inévitablement un esprit différent. De la formation initiale à l’Executive Education en passant par l’alternance, le Groupe IDRAC développe en permanence les dispositifs permettant une interaction optimale avec les entreprises de ses territoires d’implantation.
O. R : Vous êtes également implantés à l’étranger ?
J. C : Nous avons des campus associés en Irlande, Espagne et en République Tchèque. C’est un véritable atout pour le développement de nos bachelors que de maîtriser notre offre de formation à l’étranger grâce à un partenariat étroit avec des institutions locales tout en maîtrisant la chaîne pédagogique. Sur chacun de ces campus la totalité des cours est dispensée en anglais. Nos étudiants en bachelor peuvent ainsi suivre un premier semestre international sur un campus associé et un second dans le cadre d’un échange Erasmus.
O. R : Mais ce qui vous caractérise le plus c’est d’être une école de l’alternance !
J. C : 50% de nos étudiants suivent effectivement leur cursus en alternance. IDRAC Business School présente donc une réelle oportunité pour de nombreux étudiants qui souhaitent poursuivre des études de management jusqu’au niveau Bac+5. A ce titre, IDRAC Business School est certainement l’une des écoles de management françaises qui œuvre le plus en faveur de la diversité sociale grâce à ce dispositif professionnalisant. La contribution d’IDRAC Business School est inédite tant par son déploiement géographique que son impact sociétal.
O. R : Qu’est ce qu’on vient chercher à l’Idrac ?
J. C : IDRAC Business School est une école généraliste qui offre tout un portefeuille de formation du Bac+2 au Bac+5. Il faut cependant opérer une distinction. Nos étudiants viennent surtout pour se former au commerce et au marketing dans nos cursus Bac+2 et Bac+3. Deux options s’offrent alors à ces étudiants, la poursuite d’études ou l’entrée sur le marché du travail dans des fonctions de middle management dans des PME et des ETI. En revanche, le programme Grande Ecole et les parcours d’expertise en Bac+4 et Bac+5 accordent davantage de place aux métiers du chiffre et du conseil. Pour les diplômés de ces cursus nous visons des fonctions d’experts, de cadres ou de dirigeants dans des entreprises de toutes tailles (PME, ETI et grands groupes).
O. R : Comment comptez-vous faire évoluer vos programmes ?
J. C : Nous redéfinissons en ce moment même la maquette de notre programme Grande Ecole qui présente un réel potentiel de développement quantitatif et qualitatif. Même si nous avons fait une belle rentrée post-bac avec un effectif croissant de mentions « Bien » et « Très Bien » grâce à l’obtention du grade de master en 2014. Il importe désormais d’envisager une augmentation significative du nombre d’étudiants recrutés afin d’atteindre une taille critique qui nous permettra de mettre en place de nouvelles méthodes pédagogiques nécessitant des investissements. Cette taille critique nous l’avons déjà en bachelor (400 étudiants par promotion) ou dans nos bac+4/5 (600) mais pas encore dans le cycle Grande Ecole. Or, le programme Grande Ecole est une référence académique incontournable en France et un élément de reconnaissance à l’étranger où les masters en management sont au cœur de grands classements internationaux. De ce point de vue, IDRAC Business School est dans une configuration proche de bon nombre d’institutions étrangères dans lesquelles les effectifs du cycle bachelor excèdent ceux du cycle master.
O. R : Plus précisément quels grands changements allez-vous apporter au programme grande école ?
J. C : La quatrième année va être entièrement restructurée. Il n’est pas rare que les entreprises reprochent généralement aux jeunes diplômés des écoles de commerce de manquer de transversalité. C’est pourquoi, cette première année de cycle master ne va plus se dérouler selon un schéma disciplinaire classique mais sur la base du cycle de vie d’une entreprise : les quatre demi semestres vont correspondre respectivement au lancement, à la croissance, à la maturité puis à la revitalisation. Ainsi, dans la phase de lancement, les étudiants vont par exemple débuter par toutes les problématiques juridiques, financières ou stratégiques liées à la création d’une entreprise ou d’une nouvelle activité puis seront abordées dans un second temps les enjeux de la croissance tels que la gestion du besoin en fonds de roulement ou l’animation des équipes commerciales face à la conquête de parts de marché, etc. Ainsi, nos professeurs seront amenés à travailler ensemble en s’affranchissant des frontières disciplinaires.
O. R : On en parle beaucoup aujourd’hui : où en êtes-vous en formation continue ?
J. C : Nous réalisons un chiffre d’affaires d’un million d’euros (sur un total de 45 M€) et nous travaillons aujourd’hui avec des branches professionnelles pour développer des titres de niveaux I et II dans une logique d’« encapsulage ». Nous avons déjà des classes dédiées avec l’Institut National de la Relation Client et allons poursuivre les efforts dans ce domaine afin d’atteindre un revenu de deux millions d’euros avant 2020.
O. R : Vos professeurs sont prêts à travailler sur toutes ces dimensions ? Ils doivent déjà faire beaucoup de recherche pour obtenir des accréditations.
J. C : Effectivement, nous allons consacrer davantage de moyens et de temps à la recherche. Inévitablement, cette orientation va se traduire par des évolutions dans le management du corps professoral. Pour autant, je ne souhaite pas initier des dérives trop souvent observées dans d’autres institutions. C’est pourquoi, l’accent sera mis prioritairement sur les revenus contractuels générés par les activités de recherche et non pas uniquement sur le niveau des publications. Si la course aux étoiles permet de grimper dans les classements, elle ne garantit en rien la pérennité économique d’une institution. Or, le rôle d’un dirigeant est de concilier ces deux objectifs de plus en plus difficilement atteignables de concert dans la conjoncture actuelle. Quant à l’accompagnement des mutations pédagogiques, la mobilisation des enseignants s’effectuera sur la base du volontariat. Au final, nous ciblerons prioritairement deux labels internationaux d’ici 2020 : AMBA et EPAS.
O. R : Faut-il faire évoluer l’évaluation même des professeurs aujourd’hui ?
J. C : Il faut pouvoir évaluer le travail des enseignants en dehors du traditionnel face à face étudiant. Un professeur est avant tout responsable d’un « effort étudiant » correspondant à l’acquisition de concepts et de compétences professionnelles. Ainsi, pour un montant de crédits ECTS donnés, un professeur doit pouvoir se dire qu’il n’est pas jugé sur les seules heures de face à face mais sur un effort étudiant global qui comprend tous les dispositifs d’apprentissage possibles : face à face lors de cours magistraux ou de TD, plateforme électronique, auto-évaluation… L’innovation ne découlera pas seulement du recours aux nouvelles technologies mais également des technologies invisibles évoquées par Michel Berry.
O. R : Vous avez effectivement un profil particulier : ingénieur de formation vous avez d’abord longtemps travaillé dans l’industrie avant de rejoindre l’enseignement.
J. C : Si la dimension académique est quasi-incontournable pour diriger une institution d’enseignement supérieur, il n’en reste pas moins qu’une expérience industrielle antérieure constitue un réel atout pour gérer des entités de tailles diverses et multi-marques. Je retrouve d’ailleurs à l’IDRAC des process d’assurance qualité très bien conçus qui me rappellent ceux que j’avais connus dans l’industrie. Enfin, je ne peux m’empêcher d’établir des analogies stratégiques entre ces deux mondes. La recherche de signes de qualité (labels, certifications, accréditations) favorise la différenciation stratégique. Pour autant, il n’est pas rare de voir des entreprises courir à leur perte en sous-estimant les conséquences financières de telles stratégies. Ad augusta per angusta.