La Commission des titres d’ingénieur (CTI) et la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) viennent de livrer leurs nouveaux verdict sur la délivrance du grade de licence aux bachelors des écoles d’ingénieurs et de manaement . L’occasion de rencontrer la présidente de la Cefdg, Mathilde Gollety, qui nous livre sa vision et ses projets pour son institution.
Olivier Rollot : Il y a très exactement un an que vous avez pris la présidence de la Cefdg. Une institution que vous connaissiez déjà pour en être membre depuis 2020. Quel regard jetez-vous aujourd’hui que vous dirigez la commission depuis un an ?
Mathilde Gollety : En tant que membre de la commission, je connaissais effectivement le travail des rapporteurs et l’enjeu du travail de la commission pour les écoles. J’ai été très impressionnée par l’engagement bénévole conséquent des membres et par le climat de bienveillance qui règne au sein de la commission. Elargie à 26 membres depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la commission propose aujourd’hui une évaluation enrichie par le parcours et le profil de ses nouveaux membres. Dans ce contexte, mon rôle est d’animer ce collectif et d’écouter toutes les parties prenantes pour parvenir à des décisions qui font consensus, en gardant à l’esprit le respect du référentiel et le souci de l’équité.
C’est un travail d’animation passionnant et ce que nous faisons au sein de la commission est utile pour les familles et les étudiants. Nous venons d’ailleurs de publier sur notre site une vidéo qui présente de manière pédagogique le travail de la commission. J’espère qu’elle permettra d’accompagner les familles et les étudiants dans leur décision quand ceux-ci souhaitent postuler à un programme de formation en management porté par une école privée. L’octroi de visa et ou de grade universitaire est un signal extrêmement fort pour attester de la qualité des programmes.
O. R : Qu’est-ce que l’extension des membres de la Cefdg de 16 à 26 a changé ? En amenant des représentants des milieux économiques aux côtés des personnalités académiques, cela permet-il de sortir d’un côté relativement endogène qu’avait jusqu’ici la Cedfg ?
M. G : La Cefdg n’a jamais été un organisme endogène car les instances, en charge de la nomination de ses membres, ont toujours été très diverses. La commission a pour spécificité d’être sous la double tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) et du ministère de l’Economie des Finances et de la relance. Les représentants du monde socio-économique ou des syndicats y apportent une autre vision, celle des employeurs et des salariés, même si le président doit forcément être un universitaire.
Ce que nous cherchons, c’est à respecter la plus grande équité possible entre les programmes portés par l’enseignement supérieur public comme ceux délivrés par des établissements privés, même si au sein de la commission nous proposons des évaluations conférant grade de licence ou conférant grade de master, ce qui est une différence subtile mais qui permet de conserver les spécificités des programmes portés par les écoles de management.
O. R : Dans ce contexte comment évoluent les missions de la Cefdg ?
M. G : Depuis que je suis arrivé à la présidence de la Cefdg nous avons effectué un travail considérable sur le positionnement de la commission. Sa taille a augmenté et nous sommes maintenant hébergés dans les locaux du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) pour nous doter de moyens supplémentaires tout en engageant avec le Hcéres une réflexion visant à alléger le poids de l’évaluation pour les établissements. L’évaluation doit d’abord être considérée comme une source de dynamique et de progrès continu, les écoles étant attachées aux compétences respectives de chaque instance d’évaluation.
O. R : En 2021 la Cefdg a pour la première fois délivré le grade de licence. Quels critères avez-vous privilégie pour retenir 16 des 36 dossiers qui vous avaient été présentés ?
M. G : En concertation avec le Hcéres et la CTI, nous avons fait un travail d’acculturation aux pratiques respectives de chaque instance d’évaluation, en nous appuyant bien sûr sur l’arrêté du 27 janvier 2020 relatif au cahier des charges des grades universitaires de licence et de master. A titre d’exemple, et sans être exhaustif, nous nous attachons notamment à mesurer l’impact de la recherche. Nous nous intéressons aussi au pourcentage de chercheurs publiant qui font cours. Nous nous assurons que des cours d’initiation à la recherche sont effectivement dispensés dans le programme. C’est d’ailleurs souvent ce critère qui a conduit des écoles a représenté leur dossier lors de la seconde campagne Grade de licence car ces cours d’initiation n’étaient pas clairement spécifiés dans la maquette pédagogique. Enfin la politique de site pouvait parfois faire défaut alors que le MESRI demande que l’offre de formation, sur un territoire donné, soit visible et en relation avec les acteurs locaux.
O. R : La recherche est au cœur de vos exigences ?
M. G :La recherche est nécessaire pour construire les talents de demain. Elle doit irriguer directement les programmes de formation. Son impact est effectivement au cœur de nos réflexions, et on le mesure certes par des publications dans des revues scientifiques, mais aussi grâce à la galaxie de produits scientifiques et de valorisation de la recherche.
En sciences de gestion, nous produisons une recherche qui doit être au service des entreprises. Nous construisons des savoirs actionnables, utiles pour les entreprises. Cela ne doit pas être une recherche « hors sol » dont j’ai plus de mal à voir le sens. C’est aussi pour cela qu’il faut certes valoriser des publications scientifiques, réservées à un public averti, mais aussi s’attacher à les vulgariser et les faire connaitre aux acteurs socio-économiques.
O. R : Dans leur dernier rapport sur La place de la recherche dans les grandes écoles et les écoles d’ingénieurs, les inspecteur de l’Igésr suggèrent que les Phd que remettent les écoles soient évalués par la Cefdg. Qu’en pensez-vous ?
M. G : Ce n’est pas pour le moment dans le périmètre de la Cefdg dont la mission est de délivrer des visas et/ou des grades de licence et de master pour des programmes de formation portés par les écoles. De plus c’est une question complexe car il y a différentes voies pour réaliser une thèse, la voie classique de réalisation d’un travail de recherche pendant 3 ans, souvent directement à l’issue d’un master (le candidat se dédie entièrement à ce travail), la voie des thèses professionnelles permise par la VAE, un dispositif porté par la Fnege ou encore des DBA (Doctorate of Business Administration). Dans ce dernier cas, il s’agit souvent d’une envie de la part de professionnels de réfléchir d’un point de vue plus académique à leurs pratiques professionnelles. Il faut à mon avis distinguer le DBA, d’un doctorat post master qui mobilise trois à quatre ans de travail à temps complet.
O. R : La Cedfg consacre aujourd’hui une grande partie de son activité à la démarche compétences dans les écoles. Comment procédez-vous pour l’évaluer ?
M. G : C’est un travail considérable dont nous sommes fiers car le sujet est complexe. Il découle de la loi de 2019 sur la Liberté de construire son avenir professionnel. Les écoles sont depuis longtemps engagées dans cette démarche, notamment par le biais des accréditations internationales. Les fiches RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) sont le reflet de l’identité métier des formations qu’elles portent. Les blocs de compétences, qui constituent dorénavant ces fiches RNCP, permettent d’améliorer la visibilité de l’offre de formation auprès des acteurs socio-économiques. Avec le concours des conseillers scientifiques du MESRI, le réseau des IAE, et France Compétences, la Cefdg a réalisé une importante réflexion pour expliquer de manière la plus pédagogique possible ce qui était attendu des écoles.
O. R : Mais celles-ci ont été surprises de constater que vous leur demandiez d’entrer dans le référentiel des IAE (institut d’administration des entreprises).
M. G : C’est au motif du principe d’équité que j’évoquais tout à l’heure. Pour les programmes conférant grade de licence ou grade de master, il faut que les futurs employeurs aient la garantie que les compétences acquises soient les mêmes que celles développées au sein des programmes universitaires. Mais j’ai beaucoup insisté auprès des écoles pour qu’elles construisent leurs propres fiches RNCP. Chaque école peut construire sa fiche comme elle l’entend. Et c’est le travail d’évaluation de la CEFDG de s’assurer que les compétences de la fiche RNCP du programme de formation porté par l’école correspondent à celles que l’on retrouve dans un programme national de licence ou de master. Nous ne sommes pas du tout dans une démarche d’uniformisation. Cela viendrait à tuer toute la créativité dont sont capables les écoles et cela n’est pas le but.
O. R : La Covid-19 a profondément fait évoluer la pédagogie depuis deux ans. Comment les programmes peuvent-ils encore s’adapter ?
M. G : La pandémie a accéléré de manière incroyable la digitalisation des enseignements. Le distanciel a donné aux écoles des idées de programmes qui vont nécessairement amener une évolution des référentiels d’évaluation. Mais c’est encore trop tôt pour en parler, alors que des groupes de travail vont être mis en place. La Cefdg est garante de la qualité de l’enseignement et nous devons nous assurer du bon suivi pédagogique des étudiants dans le cadre d’un programme 100% à distance. De plus une diminution du face-à-face pédagogique implique une évolution du service attendu des enseignants-chercheurs. C’est un autre vaste sujet.
O. R : Comment avez-vous géré la baisse des séjours à l’étranger dans les référentiels de diplômes ?
M. G : Nous avons laissé aux écoles la possibilité de s’adapter au cas par cas. L’internationalisation at home, avec des cours à 100% en anglais, a parfois été la seule solution pour réaliser les séjours obligatoires à l’étranger
O. R : Les étudiants, comme la société, sont de plus en plus attentifs aux dimensions responsabilité sociétale et environnementale (RSE) de leur enseignement. La Cefdg peut-elle placer ces préoccupations au cœur de ses évaluations ?
M. G : C’est un sujet très certainement à venir et que je porterai avec énergie mais sans militantisme. Le rôle des formations en management est de former les leaders de demain au monde qui nous attend. Il faut donc les former aux transitions environnementales et sociétales. Beaucoup de choses ont déjà été réalisées au sein des écoles, mais aussi au sein des universités d’ailleurs, pour répondre aux injonctions des étudiants.
Mais il faut aussi pouvoir dispenser des formations solides académiquement. Comment définir cette qualité dans un référentiel ? La liberté académique est importante et nous n’imposerons rien, pas plus de passer par un atelier Fresque du Climat que de suivre tel ou tel enseignement. Nous y réfléchissons au sein de la commission, et à nouveau la diversité des profils des membres de la commission apporte une richesse qui nous conduira certainement à faire évoluer notre référentiel sur cette dimension. La dynamique des écoles sur ce sujet est formidable. Maintenant il faut que toutes s’engagent dans cette voie.
O. R : La question des déplacements est fondamentale. Les écoles ont fondé leur modèle sur les séjours à l’étranger mais leur impact carbone est très important !
M. G : C’est un vrai sujet pour les écoles d’être en accord avec ce qu’elles prônent académiquement dans leurs pratiques. Mais partir à l’étranger donne aussi une ouverture fondamentale pour progresser dans les entreprises et s’imprégner des meilleures pratiques qui peuvent être déployées de par le monde. Les écoles doivent donc compenser ces déplacements en investissant pour protéger la planète.