Caroline Roussel
En 2024, l’Iéseg School of Management fête ses 60 ans tout en rénovant et en ouvrant de nouveaux bâtiments à Lille comme à Paris. L’occasion de rencontrer sa directrice générale, Caroline Roussel, pour évoquer sa stratégie alors que le recrutement postbac dans l’enseignement supérieur arrive à maturité.
Olivier Rollot : Les années de croissance ininterrompues du nombre de bacheliers intégrant ensuite l’enseignement supérieur sont derrière nous. Comment envisagez-vous le développement de l’Iéseg dans les années à venir ?
Caroline Roussel : Dans le contexte de contraction démographique que vous évoquez, le maintien de la qualité pédagogique de nos programmes et de l’expérience étudiante reste notre priorité. C’est la clé pour recruter ! Cette année, nous avons 7 000 candidats pour 1 150 places, nous voulons maintenir ce haut niveau de sélectivité.
Nous avons aussi engagé une réflexion sur notre portefeuille de programmes existants et ceux que nous souhaitons développer ou adapter pour toujours mieux répondre aux attentes des entreprises. Les compétences attendues évoluent fortement, comme les attentes des jeunes. Demain, voudront-ils continuer sur un programme en 5 ans, ou vont-ils plutôt choisir un modèle plus aligné sur le modèle international avec un bachelor en 3 ans, suivi d’une expérience professionnelle et d’une reprise d’études en MBA ou en Master spécialisé ? Il faut en tout cas apporter plus de flexibilité en proposant aux étudiants des parcours à la carte.
O. R : Plus précisément allez-vous ouvrir de nouveaux bachelors thématiques après celui en Management and Tech Design ? De nouveaux masters ?
C. R : La création d’autres bachelors thématiques est en cours de réflexion. L’Iéseg se positionne sur l’interdisciplinarité, forte de son expertise en management et économie, et s’associe avec des écoles partenaires qui ont une expertise complémentaire, dans les technologies, en ingénierie, en sciences politiques, etc. Raison pour laquelle nous avons décidé de lancer le bachelor Management and Tech Design avec Rubika à la rentrée prochaine.
D’autres programmes sont étudiés pour répondre tant aux besoins des entreprises que de nos étudiants. Mais il faut avant tout trouver le bon partenaire qui partage notre vision et nos valeurs. Cela peut prendre autant de temps que la conception des programmes. Avec Rubika, nous travaillions déjà ensemble depuis cinq ans.
Au niveau Master, nous allons lancer à la rentrée 2024, au sein de notre Programme Grande École, un Master en Data Analytics & Visualisation en apprentissage, en partenariat avec Le Wagon. Nous travaillons déjà en étroite proximité au sein du MBA – Parcours Leadership and Coding et dans le Programme Grande École, où le Wagon propose des cours de web development, data sciences, et programmation.
O. R : Ces dernières années les écoles postbac ont ouvert de nombreux campus en France. Peut-on envisager l’ouverture de nouveaux campus de l’Iéseg en France ?
C. R : Nous n’avons pas l’objectif à court terme d’ouvrir un nouveau campus, que ce soit en France ou à l’international. Nous venons d’effectuer un important travail de modernisation et d’extension de nos campus de Lille et Paris – La Défense. A Lille, ce sont 12 000 m2 supplémentaires que nous avons ouvert (en plus d’avoir rénové entièrement et agrandi notre campus historique, de plus de 8 000 m²) et, à La Défense, pas moins de 6 500 m2 additionnels.
Nos campus de Lille et Paris sont très complémentaires, car nous avons des étudiants qui se projettent mieux sur un campus et d’autres sur l’autre. Pour les étudiants internationaux, Paris reste l’emblème de la France et nous y sommes connectés aux entreprises de La Défense. Lille est une ville à taille humaine, avec un tissu économique très dynamique, et qui attire également énormément d’étudiants internationaux grâce à sa proximité avec le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. Aucun campus ne cannibalise l’autre.
L’important pour nous est d’assurer une expérience étudiante aussi engageante et de même qualité sur chaque campus. Nous y parvenons avec des services supports présents sur chaque campus et une vie associative étudiante commune, avec des événements inter campus réguliers.
O. R : Et l’Iéseg pourrait-elle un jour ouvrir un campus à l’international ?
C. R : Ce n’est pas notre stratégie car nous sommes convaincus que l’internationalisation doit être présente dans le quotidien de chaque étudiant qui vit et étudie dans un environnement international sur nos campus à Lille et à Paris. Un autre axe, complémentaire, est le développement de partenariats stratégiques à l’international, comme avec l’International Triple Bachelor in Business que nous venons de créer avec HEC Montréal et Rabat Business School. Les étudiants y suivront un cursus généraliste durant les trois premières années, avant de se spécialiser lors de la quatrième.Après une période de stage obligatoire, les étudiants se verront alors diplômés des trois institutions.
Étudier dans trois pays aussi riches culturellement permettra à chacun de s’ouvrir, de gagner en maturité et en « soft skills » interculturels qui sont aujourd’hui très demandés en entreprise, partout dans le monde. De plus, chaque étudiant bénéficiera d’un accompagnement personnalisé et de toute l’aide nécessaire dans les démarches administratives pour leur proposer l’expérience étudiante de la meilleure qualité possible.
O. R : L’apprentissage est devenu le nouvel alpha et oméga de beaucoup d’écoles. Qu’en est-il à l’Iéseg ?
C. R : Aujourd’hui, 11% de nos étudiants suivent leur cursus en apprentissage, soit 900 alternants. Nous le développons progressivement afin de nous assurer de la qualité des candidatures, même si nous avons eu 40% de demandes en plus en 2023. Notre objectif est d’atteindre les 15% d’apprentis d’ici trois ans. Nous n’irons pas au-delà, car il existe un certain nombre d’incertitudes sur les niveaux de prise en charge (NPEC) et leur possible baisse et dans le même temps, certaines entreprises, y compris les plus importantes, rechignent à financer le Reste à Charge (RAC). Nous devons répondre aux demandes des entreprises tout en vérifiant le niveau des étudiants et en gardant un équilibre économique.
L’apprentissage dans le Programme Grande École est organisé sur les deux années de master avec un rythme de trois semaines en entreprise et une semaine en cours. Nous nous rendons compte que ce sont deux années extrêmement exigeantes, pendant lesquelles les étudiants occupent un vrai poste pratiquement à temps plein tout en validant leur diplôme. Les semaines de cours sont très denses, car ils suivent le même enseignement que les autres étudiants qui, eux, ne sont pas en alternance, alors que souvent les entreprises continuent de les solliciter durant les semaines où ils devraient normalement se concentrer sur leurs études.
Nous devons donc être vigilants sur la capacité de nos apprentis à assumer ce rythme intense. Pour éviter les échecs, nous faisons passer des entretiens de motivation en français mais aussi en anglais car les étudiants doivent avoir la capacité à suivre les cours en anglais et à atteindre un minimum de 880 au TOEIC pour être diplômés). Trouver une entreprise n’est pas suffisant pour continuer en alternance ou intégrer l’école en admission parallèle : il faut aussi que ce soit cohérent avec le projet professionnel de l’étudiant, sa capacité de travail et d’organisation, son niveau académique.
O. R : L’expérience étudiante est également une dimension de plus en plus importante dans les écoles. Que représente-t-elle pour l’Iéseg ?
C. R : Notre directrice des études et de l’expérience étudiante, Armelle Dujardin-Vorilhon, est très attentive à ce sujet, qui est d’autant plus important que nous accueillons, à l’Iéseg, des étudiants parfois mineurs, qui viennent tout juste d’obtenir leur bac. Des étudiants qui vont vivre chez nous la transition entre la fin de l’adolescence et l’âge adulte. Nous passons donc beaucoup de temps à les accompagner pour que cette prise d’autonomie se passe au mieux : qu’ils apprennent à bien s’alimenter, à travailler en groupe, à gérer leur stress, à comprendre les attentes académiques et les nouvelles méthodes de travail, etc. Avec le cours « Managing Diversity in vivo », des étudiants en cycle master coachent un petit groupe d’étudiants de cycle bachelor, les accompagnent et répondent à leurs questions. Ainsi, chaque étudiant de Bachelor a un référent parmi les étudiants de Master avec lequel il échange régulièrement.
Vous l’avez évoqué, nous avons également rénové et étendu nos bâtiments en créant de nouveaux lieux de vie et des espaces communs tels que les couloirs équipés de mobiliers et de cabines pour s’isoler et faire des visios. Le jour où nous avons ouvert le bâtiment Village, à Lille, tous ces espaces ont immédiatement été occupés par nos étudiants, ce qui montre que la conception des bâtiments répond à leurs attentes sur la vie de campus. Le tout en conservant toujours des salles de classe qui ne dépassent pas les 40 étudiants pour une pédagogie interactive et de façon à ce que les étudiants s’identifient à leur groupe plus qu’à une large cohorte.
La vie associative est également un vecteur crucial de la vie étudiante. On y apprend énormément en mode projet et en gérant des budgets qui peuvent parfois dépasser les 100 000 euros et des équipes de plusieurs dizaines d’étudiants.
Cette expérience passe enfin par le logement. Nous avons fait le choix d’être propriétaires et de gérer une résidence étudiante, Concordia, sur Lille. Nous avons également des accords avec l’Université catholique de Lille pour y réserver des places à nos étudiants, de même sur La Défense.
O. R : On parle beaucoup de la souffrance psychologique des étudiants depuis le Covid. Que fait l’Iéseg pour en préserver ses étudiants ?
C. R : Depuis le Covid, à la demande de nos étudiants, nous avons dû augmenter de manière conséquente le nombre de créneaux (que l’école finance) des psychologues, à Lille comme à Paris. En parallèle, des responsables pédagogiques font un premier bilan trois ou quatre mois après la rentrée avec les étudiants du cycle bachelor pour signaler d’éventuelles difficultés détectées par le taux d’absentéisme ou les notes insuffisantes. L’enseignement en groupes de taille limitée permet également une proximité entre enseignant et étudiants et facilite l’accompagnement.
O. R : C’est la question depuis un an : quelle importance revêt aujourd’hui l’Intelligence artificielle (IA) dans vos programmes ?
C. R : L’IA est aujourd’hui un outil de la vie professionnelle comme personnelle qu’utilisent tous nos services. Il nous faut former et démystifier l’IA, ce que nos professeurs ont vite saisi. Nous avons construit une formation sur l’utilisation de l’IA générative à tous nos collaborateurs, conçue par la Direction de la Pédagogie. Nous sommes également partenaires de la Cité de l’IA, initiative du Medef Lille Métropole, et nous y participons de manière active afin de participer à cette dynamique autour de l’intelligence artificielle.
O. R : Cette année, le concours commun de recrutement, le concours Accès, dont fait partie l’Iéseg en compagnie de l’Essca et l’Esdes, évolue. Qu’en attendez-vous ?
C. R : Depuis cette année, nous avons décidé de prendre en compte les dossiers scolaires des candidats , et nous avons mis en place les « grands admissibles » qui, au vu de leur dossier, passent directement aux épreuves orales sans avoir à passer les épreuves écrites. Cela correspond à un double objectif. D’abord, avoir une vision plus dynamique des années de formation. Le concours a la vertu de mettre tous les candidats à égalité un jour donné, mais il ne valorise pas leur travail sur le long terme.
Ensuite, amener davantage de féminisation dans nos écoles alors que ce ne sont plus que 40% des jeunes femmes d’une classe d’âge qui a étudié les mathématiques jusqu’au bac aujourd’hui dans la filière générale, contre 60% avant la réforme. Par ailleurs, trop de jeunes femmes, qui ont pourtant bien le niveau voulu en mathématiques pour intégrer l’Iéseg, ont tendance à s’autocensurer lorsqu’il s’agit d’un concours. Nous pensons que la prise en compte du dossier scolaire va avoir un effet positif.
O. R : La question de la qualité des écoles privées et de la création d’un nouveau label est très importante pour les écoles de la Fesic dont vous faites partie. Quelle est votre position à ce sujet?
C. R : Le problème est d’abord de bien informer les jeunes et les familles sur la valeur des formations. Y a-t-il des professeurs permanents, de véritables campus, un personnel d’encadrement pour accompagner les étudiants sur les choix de stage, d’apprentissage ? Les familles doivent bien mesurer la différence entre un diplôme reconnu par le MESR et un titre RNCP et les conséquences qu’il peut y avoir par exemple sur la poursuite d’études.
Nous possédons déjà en France tous les labels nécessaires à la reconnaissance de la qualité des formations. L’enjeu d’un nouveau label serait d’amener plus de lisibilité pour les familles et de donner de la visibilité sur un certain nombre de points de repères de qualité. Mais il ne faut pas que cela pénalise les écoles qui présentent déjà toutes les garanties d’une formation de qualité.