Fondée en 1821 pour former des conservateurs du patrimoine, l’École des chartes fait partie des plus anciennes grandes écoles françaises. En 2014, elle a déménagé de son site historique de la Sorbonne pour s’installer rue de Richelieu, en face du bâtiment de la Bibliothèque nationale de France (Bnf) qui accueille nombre de ses diplômés archivistes paléographes. Sa directrice, Michelle Bubenicek, nous explique les enjeux particuliers d’une école d’excellence.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : L’École des chartes a un prestige inversement proportionnel à la taille de ses promotions : seulement 20 diplômés par an !
Michelle Bubenicek : Nous ne pouvons former plus d’élèves qu’il y a de postes à pourvoir – certaines années nous en avons formé le double. À l’origine, l’École a été créée pour conserver les « trésors de l’écrit » suite aux confiscations révolutionnaires. Aujourd’hui, les itinéraires des « chartistes » sont très divers. Ils deviennent conservateurs des bibliothèques, du patrimoine ou encore enseignants-chercheurs. Parce que nous leur délivrons une culture générale étendue, certains de nos diplômés passent aussi le concours de l’Éna. Mais ils sont d’abord privilégiés pour certains postes dans les départements spécialisés de la Bnf (manuscrits, estampes, etc.), dans les archives départementales, municipales ou encore les bibliothèques universitaires ou les ministères. Depuis l’époque moderne, chaque ministère a un service d’archives dédié et c’est au conservateur de décider, avec le ministre, ce qui, dans ses archives, relève de la vie publique ou de la vie privée.
O. R : Les nouvelles dimensions numériques de l’écrit, des Big Data, font-elles partie des compétences d’un archiviste paléographe aujourd’hui ?
M. B : Bien sûr. L’écrit est avant tout numérique aujourd’hui et il faut pouvoir constituer des fonds numériques pour des administrateurs ou des auteurs contemporains qui ont travaillé sur des .pdf annotés, qui ont envoyé des e-mails, des SMS, eu des conversations sur les réseaux. Il faut pouvoir constituer ces fonds et les restituer aux chercheurs. Aujourd’hui, certains de nos élèves sont de véritables « geeks » très doués pour l’encodage. Avec les outils numériques on peut réaliser très rapidement des analyses de textes qui auraient demandé des années auparavant ! Nous souhaitons que la formation de tous nos élèves soit de plus en plus liée à ces aspects. Comment conserver pendant des siècles des archives enregistrées sur des logiciels qui deviennent très vite obsolètes ? C’est un enjeu global de conservation de la mémoire qui devient d’une urgence extrême.
O. R : Comment intègre-t-on l’École des chartes ?
M. B : Les élèves intègrent l’École après réussite au concours d’entrée, préparé durant deux ans dans une des trois classes préparatoires spécifiques, ou une khâgne spécialité Chartes dans une dizaine de Cpge littéraires de très haut de gamme. Certains passent jusqu’à quatre ans en prépa dans la mesure où il est possible de présenter le concours trois fois. En 2016, nous avions 220 candidats pour 20 places. Autant de garçons que de filles et 31,5% de boursiers. L’École des chartes est plus mixte socialement que beaucoup de grandes écoles.
O. R : Combien de temps dure en tout le cursus ?
M. B : Notre cursus dure quatre ans au terme desquels nos élèves reçoivent le diplôme d’« archiviste paléographe ». Il leur faut pour cela avoir soutenu une thèse spécifique. Depuis le début des années 1990, ils poursuivent ensuite durant 18 mois dans une école d’application comme l’Institut national du patrimoine (Inp) ou l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Énssib). Leur cursus dure donc au minimum huit ans.
O. R : C’est un cursus très long et astreignant !
M. B : Nous accueillons des jeunes gens remarquables pour un parcours en effet très exigeant. Pour autant, je voudrais aujourd’hui alléger un peu une scolarité qui a fini par comprendre trop d’heures de cours au fur à mesure des nouvelles compétences que nous avons voulu apporter à nos élèves. Mais nous délivrons également beaucoup de stages, dès la deuxième année du cursus, dont un stage à l’étranger de trois mois dans une grande institution culturelle.
O. R : C’est l’étalon mondial de la reconnaissance académique. Vos élèves peuvent-ils obtenir en plus un doctorat ?
M. B : C’est possible à partir de cette année selon deux modalités. Les élèves qui ont réalisé les meilleures thèses d’École peuvent obtenir des allocations doctorales de 18 mois pour mettre leur travail au niveau d’un doctorat. Une fois en poste, ils peuvent également obtenir un « doctorat sur travaux », dans le cadre de leur travail de conservateur. C’est important car cela les encourage à entretenir leurs compétences en recherche au-delà de leurs compétences techniques.
O. R : Vous délivrez d’autres diplômes que celui d’« archiviste paléographe » ?
M. B : Nous délivrons depuis 10 ans un master dédié au numérique qui forme à toutes les techniques de constitution et d’analyse de bases de données dans le domaine du patrimoine et des sciences humaines et sociales. Pour étudier encore mieux toutes les conséquences de la numérisation, nous ouvrons également un master, dit d’« humanités numériques » au sein de la ComUE Psl, à la rentrée prochaine avec l’Éphe, l’Éhess et l’Éns. Nous pensons également en ouvrir un autre consacré à l’archivage numérique. Les diplômés de ces masters sont à 100% employés tout de suite tant il est urgent pour les institutions d’embaucher des garants de leur mémoire.
O. R : Cela n’a pas été trop difficile de quitter vos locaux historiques de la Sorbonne ?
M. B : Pour certains oui mais c’est aussi un retour aux sources pour nous de revenir rue de Richelieu dans des locaux beaucoup plus adaptés où nous pouvons donner tous nos cours. De plus, nous allons pouvoir rassembler tous nos fonds documentaires, jusque-là dispersés, au sein du site Richelieu de la Bibliothèque nationale. C’est d’autant plus important qu’avoir un accès libre à notre bibliothèque fait partie des principaux avantages dont bénéficient nos élèves. Ils n’ont pas à choisir un livre et à le recevoir des mains d’un bibliothécaire comme partout ailleurs, ils peuvent flâner, regarder, s’inspirer…
O. R : Vous êtes associé à la Communauté d’universités et d’établissements (ComUE) Paris Sciences et Lettres (Psl). Allez-vous être bientôt pleinement membre ?
M. B : C’est l’intérêt de l’École de se rapprocher d’institutions qui nous ressemblent – comme l’Éns, l’Éphe ou l’Éhess -, qui ont fait le choix d’une stratégie commune dans le respect de leurs identités. Nous n’imaginons pas disparaître après quasiment 200 ans d’existence ! Le tout est de trouver un modèle juridique qui permette à un bouquet de très grands établissements de continuer à fonctionner pleinement, tout en nouant des partenariats privilégiés, et en développant une stratégie commune. Je présente en ce moment aux conseils et aux communautés de l’École le texte auquel nous avons abouti avec les autres membres de Psl, une assemblée générale aura lieu à la mi-mars, puis les conseils donneront leur avis en juin.
O. R : Que vous apporte Psl ?
M. B : C’est très enrichissant de travailler avec toutes sortes d’établissements et de faire émerger des projets transversaux. À la rentrée universitaire 2016, nous avons par exemple créé un master d’« histoire transnationale » avec l’Éns pour considérer l’histoire mondiale au-delà du cadre strictement européen. C’est l’un des seuls masters qui traite cette problématique en France et il a tout de suite attiré 20 étudiants.