ECOLE D’INGÉNIEURS

« Un site se porte mieux si un établissement de l’IMT en fait partie »

Directeur général de l’Institut Mines-Télécom (IMT), ancien président de la Conférence des grandes écoles, Philippe Jamet est en train d’imposer un nouveau modèle d’organisation de l’enseignement supérieur. Le regarde aiguisé sur nos écoles et nos universités d’un homme habitué à surmonter les difficultés.

Olivier Rollot : Le classement 2017 des écoles d’ingénieurs de « L’Usine nouvelle » place trois des dix écoles membres de l’IMT dans les cinq premières (Télécom ParisTech 4ème puis Mines ParisTech et l’IMT Atlantique ex-aequo). C’est un résultat qui doit vous réjouir.

Philippe Jamet : Bien sûr ! Même si ce classement est réputé assez volatil, si on se souvient des biais méthodologiques de l’édition précédente. De plus un certain nombre d’écoles, comme les écoles Centrale de Lyon et Paris, ont préféré ne pas répondre. Nous sommes en tout cas heureux de voir l’impact positif qu’a eu leur fusion pour Mines Nantes et Télécom Bretagne qui forment depuis le début 2017 l’IMT Atlantique, ainsi que pour l’autre école fusionnée, IMT Lille Douai. Télécom ParisTech fait également une belle percée qui marque la reconnaissance de l’importance du digital dans l’offre généraliste des écoles des Télécom aujourd’hui.

O. R : Pourquoi faire fusionner vos écoles ?

P. J : Avoir 1500 ou 2000 élèves par école est selon moi un bon point d’équilibre et nous y parvenons avec des fusions qui ont déjà donné naissance à l’IMT Atlantique et à l’IMT Lille Douai. Des rapprochements sont également à l’étude en Ile-de-France, entre Télécom ParisTech et Télécom SudParis, et Rhône Alpes-Auvergne. Au-delà de la taille, ces rapprochements permettent également de rénover l’offre des écoles, au carrefour entre numérique et sciences et technologies de l’ingénieu

O. R : Dans IMT il y a MIT (Massachussetts Institute of Technology). Est-ce votre ambition de constituer un institut qui ait une réputation d’excellence équivalente ?

P. J : Avec l’IMT nous créons un grand institut national de technologie qui s’appuie sur une fédération d’écoles agiles et autonomes. C’est très différent d’un MIT concentré à Boston.

O. R : Combien d’étudiants comprend l’IMT aujourd’hui ?

P. J : Environ 12500, 13500 avec Mines Nancy, et nous avons tout un cercle d’écoles affiliées dont certaines pourraient devenir associées. Ces 12 écoles comptent 8000 étudiants supplémentaires. Certaines sont membres de nos instituts Carnot, d’autres participent à des projets communs comme Sigma Clermont.

O. R : Un rapprochement se profile entre l’IMT Atlantique et l’Ensta Bretagne. Peut-on imaginer une fusion ?

P. J : C’est aujourd’hui un partenariat stratégique qui n’exclut pas d’aller un jour plus loin, mais l’objectif principal est pour l’instant de renforcer l’excellence collective des écoles de deux grands ministères techniques dans un grand Ouest en pleine reconfiguration.

O. R : Et où en est le rapprochement CPE Lyon / Mines Saint-Etienne ?

P. J : Il est resté un peu en suspens durant la préparation du projet Idex porté par l’Université de Lyon. Nous allons maintenant reprendre les discussions et conclure rapidement. Il nous faut trouver un bon équilibre pour bien positionner les deux écoles sur les questions d’industrie et d’innovation tout en favorisant leur pleine participation à la dynamique d’excellence du site Lyon-Saint-Etienne

O. R : Aujourd’hui les droits de scolarité des écoles membres de l’IMT sont de 2150€ par an. CentraleSupélec vient de passer les siens à 3150€. Pensez-vous suivre ce mouvement ?

P. J : Ce n’est pas à l’ordre du jour si on excepte notre école de management, Télécom EM, qui est dans un environnement différent de nos écoles d’ingénieurs. A titre personnel, j’estime raisonnable et souhaitable une contribution des familles à hauteur de15% du coût réel d’une formation supérieure qui ouvre sur un emploi de qualité.

O. R : Les droits de scolarité sont-ils plus importants pour les étudiants étrangers ?

P. J : S’ils sont extra-communautaires, les droits sont majorés de 2000€. Dans la pratique, de nombreux étudiants impliqués dans des accords d’échange ou issus des CPGE ne sont pas affectés.

O. R : Les étudiants étrangers, notamment du Maghreb, représentent une part importante du recrutement des écoles des Télécom et leur nombre continue à progresser dans notre enseignement supérieur. Ce n’est plus le cas des étudiants chinois dont le nombre régresse globalement. Pourquoi selon vous ?

P. J : C’est tout simplement parce que les universités chinoises montent en gamme et nous concurrencent. Nous n’en restons pas moins compétitifs en proposant des formations quasi gratuites avec des cursus en anglais qui se généralisent. Les grandes écoles continuent d’ailleurs à attirer de plus en plus d’étudiants étrangers – dont des Chinois qui comprennent bien la qualité de nos formations – avec notamment le développement des masters internationaux ou des mastères spécialisés.

O. R : Selon vous que doivent faire nos institutions d’enseignement supérieur pour améliorer leur place dans le monde ?

P. J : Il y a plusieurs virages à prendre. En commençant par considérer que notre marché intérieur n’est pas une rente de situation et que le vivier des CPGE, qui fonde l’excellence des grandes écoles, n’est qu’en très légère croissance. Ensuite il faut prendre des virages éducatifs en mariant les publics, en recourant plus à l’enseignement à distance, en ouvrant le temps avec la formation tout au long de la vie (FTLV) et l’espace pour des formations de plus en plus mobiles.

Là où on passait 24 à 36 mois dans son école en trois ans il y a encore 10 ans on n’en passe plus que 18 aujourd’hui. Les campus deviennent des lieux de passage ce qui nous permet de dépasser la dimension immobilière. Il faut justement penser à une meilleure utilisation de nos espaces sur le modèle des universités américaines qui marient très bien formation initiale et formation continue.

O. R : L’IMT lance à la prochaine rentrée un bachelor en 3 ans postbac à Saint-Etienne. Qu’en attendez-vous ? Les bachelors ne vont-ils pas concurrence les CPGE à terme dans les écoles d’ingénieurs comme c’est déjà le cas en management ?

P. J : Les entreprises recherchent des cadres polyvalents formés en 3 ans. Des profils « technico-commerciaux » susceptibles d’intégrer tout de suite des ETI et PME et d’y accompagner les évolutions multiples liées au numérique. Nous avons donc souhaité, de manière prudente, expérimenter ce nouveau marché qui n’a pas vocation devenir massif dans nos activités.

Ce niveau bachelor recouvre d’ailleurs des réalités très différentes. Pour notre part nous voulons recruter des bacheliers STI2D – de l’ordre de 20 à 30 par an – sans mordre sur le marché des CPGE. Du côté de l’Ecole polytechnique il s’agit d’un bachelor international en anglais, plus académique, débouchant sur des poursuites d’études qui est lancé.

O. R : Pourquoi ne pas avoir choisi un format bac+4 à l’américaine ?

P. J : Aux Etats-Unis les études secondaires sont plus courtes d’un an. En France le succès des licences professionnelles a montré que le format bac+3 technologique était bien identifié par les employeurs.

O. R : On parle beaucoup d’une baisse du niveau en science des bacheliers. Le ressentez-vous dans vos écoles ?

P. J : 60% des étudiants recrutés dans nos écoles ont obtenu une mention très bien au bac et 90% au moins une mention bien. L’érosion des exigences dans le secondaire impacte surtout les élèves de moindre niveau, moins les très bons. Les effets d’une éventuelle érosion du niveau ne sont pas clairement perceptibles dans nos écoles.

O. R : Passons à des questions plus « politiques ». Comment se positionne l’IMT, et sa dimension nationale, au milieu des communautés d’universités et d’établissements (Comue) de site ?

P. J : Nous faisons partie de huit Comue qui ont obtenu trois Idex et deux Isite. Il est tout à fait possible pour un établissement de contribuer localement tout en ayant une stratégie nationale. On peut être très proche de sa famille tout en vivant en très bonne intelligence avec ses voisins ! Un site se porte mieux si un établissement de l’IMT en fait partie et lui apporte tout son réseau. Dans les Hauts de France nous sommes en train d’expérimenter avec l’IMT Lille Douai une organisation dans laquelle l’école bénéficie de la gouvernance conjointe de l’université Lille 1. Nous expérimentons tout en ayant souvent le sentiment que sortir des frontières standard n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur.

La marge de progrès des ComUE est de rénover les principes de gouvernance, afin de les rendre plus flexibles et efficients. Les écoles de l’IMT, par construction, ne peuvent pas s’inclure dans des schémas de gouvernance qui seraient rigides, binaires ou complexe.

O. R : C’est un point sur lequel beaucoup de présidents d’université se sentent floués. Un établissement comme le vôtre est-il plus autonome aujourd’hui qu’avant la loi de 2013 sur l’enseignement supérieur ?

P. J : Ni plus, ni moins. Notre établissement se sent à l’aise avec son statut et évolue, en faisant preuve de volontarisme et de rigueur de gestion, dans un environnement institutionnel en reconfiguration et un contexte budgétaire contraint.

O. R : Vous n’avez pas le sentiment qu’autonomie rime avec contrôles accrus du HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) ou de l’Agence nationale de la recherche (ANR) ?
P. J : Les EPSCP (Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel) comme le nôtre sont très administrés car l’Etat leur délègue des moyens publics et y investit énormément, en ressources récurrentes comme en moyens compétitifs (Idex). Il est légitime à s’interroger sur l’emploi pertinent et efficient de ces ressources. Après il faut trouver un équilibre entre ce nécessaire contrôle et une concurrence accrue qui impose de prendre des risques. Le gouvernement doit veiller à nous donner de la souplesse et ne pas censurer a priori nos velléités entrepreneuriales.

O. R : La nécessité de donner aux établissements une plus grande autonomie dans la gestion de leurs ressources humaines est souvent mise en avant. Qu’en pensez-vous ?

P. J : Le dialogue entre les managers de l’enseignement supérieur et leurs personnels échappe encore trop aux établissements. Mais pour le développer il faut aussi que la confiance existe en interne et que nous améliorons nos compétences en ressources humaines, surtout sur le management intermédiaire.

Nous devons aussi travailler à l’équilibre entre la liberté de l’enseignant-chercheur et sa solidarité stratégique avec son établissement. Un établissement d’enseignement supérieur, c’est un projet, pas seulement le gite et le couvert. Cela va être une de nos priorités pour assurer la cohésion de nos établissements, soutenir leurs efforts et favoriser l’engagement de leurs personnels.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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