Réélu en 2024 à la direction d’une des grandes business schools américaine, la Darden School of Business de l’Université de Virginie, Scott Beardsley revient avec nous sur le modèle des business schools.
Olivier Rollot : Vous venez d’être réélu à la direction d’une grande école de commerce américaine, la Darden School of Business de l’Université de Virginie. Quelles grandes évolutions avez-vous constatées dans les écoles de commerce américaines après près de dix années à leur tête ?
Scott Beardsley : Au cours de la dernière décennie, les écoles de commerce américaines ont connu des évolutions majeures, notamment sous l’impact des nouvelles technologies, de l’importance accrue de l’apprentissage tout au long de la vie, ainsi que de la durabilité et de la responsabilité sociale.
L’essor de l’automatisation, des robots, de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle (IA) transforme les industries tout en soulevant des défis éthiques et de leadership. Si l’IA offre la promesse de résoudre des problèmes complexes et d’augmenter les capacités humaines, son développement doit s’inscrire dans une démarche éthique. Les écoles de commerce ont un rôle clé : elles doivent préparer les étudiants à un leadership responsable et à la création de valeur dans un monde transformé par l’IA.
À Darden, nous répondons à ces enjeux grâce à notre nouvel Institut LaCross pour une IA éthique en entreprise, lancé en 2024 après un don historique de 100 millions de dollars. Les écoles de commerce doivent devenir des hubs pour le perfectionnement et la transformation des compétences afin d’accompagner les professionnels dans un monde de plus en plus marqué par l’IA.
Par ailleurs, à mesure que l’IA redéfinit le marché du travail, l’apprentissage permanent prend une importance cruciale. Je suis convaincu que, si elle est utilisée de manière responsable, l’IA façonnera un avenir où l’éducation sera plus interactive, personnalisée et en adéquation avec l’évolution du paysage numérique. À Darden, nous nous engageons également à analyser l’impact des nouvelles technologies sur le bien-être humain.
Depuis dix ans, les écoles de commerce américaines ont également intensifié leurs efforts en matière de responsabilité sociale. À Darden, pionnière en éthique des affaires depuis près de 70 ans, nous avons établi des normes mondiales sur la manière dont les valeurs façonnent le monde des affaires. Nous avons été les premiers à intégrer l’éthique dans le programme de MBA. Les idées novatrices du professeur Ed Freeman sur la théorie des parties prenantes ont d’ailleurs été développées à Darden. Récemment, il a reçu un doctorat honorifique de HEC Paris.
Les entreprises exercent un impact significatif sur la société et l’environnement. Leur responsabilité sociale implique de répondre aux besoins de toutes les parties prenantes : employés, clients, actionnaires, fournisseurs, communautés et environnement. Les écoles de commerce, notamment aux États-Unis, s’efforcent aujourd’hui de promouvoir la durabilité, les pratiques éthiques et l’inclusion en formant des leaders capables de construire un avenir plus équitable et durable.
O. R : Comme dans la plupart des pays occidentaux, les générations à venir d’étudiants américains sont moins nombreuses qu’elles ne l’étaient ces dix dernières années. Comment allez-vous maintenir votre niveau de recrutement ? Ou même accroître le recrutement ?
S. B : Le nombre de candidatures que nous recevons atteint des niveaux sans précédent. Nous avons notamment constaté une hausse des candidatures internationales, car le marché de l’emploi aux États-Unis est très solide et notre taux d’employabilité est exceptionnel.
Selon le Baromètre de la confiance Edelman 2024, les entreprises représentent l’institution la plus fiable pour garantir que les innovations soient sûres, comprises et accessibles. La société s’appuiera de plus en plus – non moins ! – sur les leaders d’entreprises pour contribuer à résoudre les problèmes les plus complexes au monde, rendant ainsi la formation de leaders éthiques pour les affaires plus urgente que jamais.
La meilleure stratégie pour maintenir un haut niveau de recrutement réside dans l’excellence. Je suis convaincu qu’il y aura toujours une demande pour les meilleures écoles tant que nous répondrons aux besoins en constante évolution des nouvelles générations d’étudiants. Nous devons nous assurer qu’ils sont préparés à l’avenir et aux évolutions technologiques. Cette génération d’apprenants souhaite avoir le choix sur la manière, le moment et l’endroit où elle apprend. Nous répondons à cela en proposant de nouveaux formats de nos programmes de diplômes et en élargissant notre portefeuille d’options non diplômantes. À Darden, nous avons étendu notre présence à la fois à Charlottesville et à la région de Washington, D.C. Nous sommes d’ailleurs la seule école figurant parmi les cinq meilleures à être implantée dans le Commonwealth et à servir la capitale fédérale.
Il y a également un élément relationnel important dans le recrutement – avec les employeurs et avec notre réseau. Les relations peuvent offrir un avantage considérable dans un marché compétitif, et de nombreuses entreprises parmi les plus grandes du monde recrutent à Darden.
En résumé, nous allons innover. Nous offrirons aux étudiants davantage d’options de programmes dans plus d’endroits. Darden se concentre sur l’apprentissage centré sur les étudiants, et nous sommes particulièrement bien placés pour préparer les étudiants au succès sur le marché du travail.
O. R : On le sait : le niveau des frais de scolarité dans les grandes universités américaines est très élevé. Pouvez-vous nous indiquer ce qu’il en est dans votre école de commerce et quelles bourses peuvent être accordées ?
S. B : Depuis que je suis devenu doyen de Darden, j’ai toujours dit que l’éducation devrait être « un vecteur permettant à des étudiants talentueux de venir de n’importe où – et d’aller partout ». C’est ce qui m’a amené à Darden et c’est ce en quoi je crois.
Certes, un MBA constitue un investissement significatif, mais les données sur les salaires démontrent clairement qu’il offre un excellent retour sur investissement, notamment d’un point de vue financier. Pour ceux qui aspirent à une carrière riche de sens et à fort impact, il n’y a, selon moi, pas de meilleur investissement que celui que vous faites dans votre avenir avec un MBA, qui vous ouvrira un monde de possibilités.
Le coût total — y compris le logement et la pension — d’un MBA de deux ans dans une école de commerce d’élite aux États-Unis dépasse les 200 000 dollars. Darden ne figure pas parmi les 10 écoles les plus chères aux États-Unis, et nous entendons bien que cela reste le cas.
Nous cherchons à attirer les étudiants les plus talentueux de toutes les régions du monde et de tous les horizons pour créer une communauté inclusive et diversifiée. Ma mission est de m’assurer que les étudiants admis à Darden — tous admis sur la base du mérite — disposent de multiples opportunités pour les aider à financer le coût de leur éducation dans notre établissement.
Nous proposons une gamme de bourses au mérite, ainsi que des bourses spécifiques à certaines régions, catégories démographiques ou expériences professionnelles, afin de garantir que les contraintes financières ne freinent pas les étudiants talentueux désireux rejoindre nos programmes.
Par exemple, dans le contexte du programme Batten Scholars, nous offrons une variété de bourses d’études pour les innovateurs, les entrepreneurs et les technologues désireux de faire avancer le monde. Nous veillons à ce que tout étudiant, quelle que soit son pays d’origine, puisse emprunter la totalité de ses frais de scolarité à Darden.
Depuis le début de notre campagne, nous avons créé 92 nouvelles bourses et, à l’approche de la phase finale, récolté plus de 600 millions de dollars. Mobiliser les ressources nécessaires pour continuer à soutenir nos étudiants restera une priorité pour l’école tout au long de mon mandat de doyen et au-delà.
O. R : Beaucoup d’étudiants français vous rejoignent-ils ? À quel niveau ? Encouragez-vous des étudiants internationaux à venir effectuer un PhD dans votre école de commerce ?
S. B : En tant que citoyen américain et français, et père d’enfants français, je pense que nous n’avons pas autant d’étudiants français que je le souhaiterais, et j’encourage les futurs dirigeants d’entreprises français à postuler. Cependant, nous comptons des étudiants, des anciens élèves et des professeurs français, et ils apprécient hautement leur expérience ici. L’un des membres de notre conseil d’administration, Guillaume Cuvelier, ancien élève de Darden, est un « chasseur alpin » et un entrepreneur très accompli. Notre fondateur, Thomas Jefferson, était un grand francophile. Il a vécu en France et entretenait une amitié proche avec le Marquis de Lafayette. Notre campus à Charlottesville est jumelé avec la ville de Besançon.
Et, oui, en effet, nous encourageons les étudiants internationaux à poursuivre un doctorat à Darden. Notre programme doctoral propose des expériences d’apprentissage et une formation méthodologique indispensables pour mener à bien des recherches académiques de haut niveau. Ce programme se distingue par son approche interdisciplinaire, et la promotion 2024-2025 présente des intérêts couvrant plusieurs domaines du monde des affaires et de la gestion. Avec des programmes en stratégie, éthique et entrepreneuriat, ainsi qu’en analyse quantitative, Darden offre une exploration approfondie de chaque domaine tout en fournissant une vision plus large du monde des affaires et des marchés.
O. R : Vous avez un profil particulier pour avoir longtemps travaillé chez McKinsey avant de vous réorienter vers l’enseignement supérieur. Est-ce un profil à privilégier pour diriger une école de commerce ?
S. B : Je reconnais que mon profil est unique pour un doyen d’une grande école de commerce, et je crois qu’après dix ans, je suis toujours le seul « doyen atypique » d’une école de commerce classée parmi les 20 meilleures au monde. J’ai écrit un livre intitulé Higher Calling sur l’ascension des leaders non traditionnels dans l’enseignement supérieur. J’ai constaté que les compétences que j’ai acquises chez McKinsey, notamment la gestion dans un environnement de gouvernance partagée, se sont révélées particulièrement utiles et pertinentes.
J’ai un profond respect pour l’éducation et le monde académique. Ce fut un honneur d’être nommé doyen de Darden après une carrière en tant que partenaire senior chez McKinsey. Je n’ai pas suivi la voie académique traditionnelle, mais je viens d’une famille d’éducateurs et j’ai moi-même expérimenté le pouvoir transformateur de l’éducation. Après 26 ans passés chez McKinsey, j’étais profondément motivé à me réinventer et à suivre ma passion pour l’enseignement. Mon sentiment général est celui de la gratitude, et je pense et espère que les compétences que j’apporte à ce rôle ont été utiles.
O. R : Comment jugez-vous les écoles de commerce françaises ? Sont-elles considérées comme concurrentes des grandes écoles de commerce américaines ?
S. B : Je tiens en haute estime les écoles de commerce françaises. La plupart d’entre elles sont quelque peu différentes, car elles proposent souvent des programmes d’un an.
INSEAD est une véritable institution mondiale. Avec des implantations en France, à Singapour, Abou Dhabi et San Francisco, INSEAD est présente partout dans le monde. HEC Paris a récemment conclu une campagne de financement qui a permis de récolter plus d’argent que toute autre institution d’enseignement supérieur en France. Et il y en a bien d’autres.
Les écoles françaises accomplissent de grandes choses. Et, oui, toutes les écoles sont des concurrentes amicales, car nous partageons le même objectif : recruter des étudiants qui correspondent le mieux à nos valeurs institutionnelles et à nos objectifs. Comme nous sommes désormais classés parmi les cinq meilleures écoles de commerce américaines, nos principaux concurrents sont des écoles basées aux États-Unis, comme Harvard, Dartmouth, le MIT et Northwestern.