Les seize écoles d’ingénieurs de Lyon-Saint Étienne, habilitées par la commission des titres d’ingénieurs, membres, associées ou non, de l’Université de Lyon (Insa Lyon, Mines de Saint-Etienne, Centrale Lyon, CPE Lyon, Polytech Lyon, etc.) viennent de créer l’« Alliance des Écoles d’Ingénieurs de Lyon Saint-Etienne » (AEILyS). L’instigateur de cette alliance et directeur de Centrale Lyon, Frank Debouck, explique comment elles veulent ainsi coordonner leurs projets au cœur de la nouvelle région Auvergne Rhône-Alpes.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Quel est votre objectif avec cette alliance ?
Frank Debouck : AEILyS sera une alliance placée sous le signe de la fédération et de la collaboration au sein de laquelle chaque établissement gardera ses spécificités et sera considéré à égalité. Les projets seront impulsés par les écoles et seront menés conjointement afin de soutenir l’Université de Lyon et son projet d’Idex dans lesquels a également été créé une Fédération de recherche en ingénierie et technologie. L’idée m’est venue en décembre dernier et toutes les écoles d’ingénieurs de Lyon et Saint-Etienne, publiques comme privées, en formation initiale comme en formation continue, postbac ou post prépa, intégrées dans des universités, ont tout de suite été enthousiastes.
O. R : Mais toutes ces écoles ne sont pas associées à la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Université de Lyon. Cette alliance est elle alors liée à l’Idex ?
F. D : Quasiment toutes les écoles sont dans la Comue sauf l’Institut d’optique, qui est une antenne de l’école située à Paris Saclay, et le Cesi qui est national. Mais cette alliance est, de toute façon, indépendante de l’Idex. Toutes les écoles d’ingénieurs doivent être associées au collège d’ingénierie car il ne faut pas que cohabitent plusieurs cercles. Le Cesi et le Cnam réalisent des actions en formation continue que ne peuvent pas mener les autres écoles. Certes il existe une petite concurrence entre les écoles mais elles ont d’abord toute leur richesse.
O. R : Quels projets allez-vous maintenant monter ensemble dans le cadre de votre alliance ?
F. D : Beaucoup d’idées sont en cours. Nous allons déjà mettre à disposition de tous les membres les MOOC comme les SPOC (small private online course) réalisés. Nous réfléchissons à comment orienter plutôt vers telle ou telle école les candidats à la VAE (validation des acquis de l’expérience) en fonction de leur projet. Des parcours croisés d’étudiants entre les écoles peuvent voir le jour. Et, au-delà des écoles, avec les universités : les Comue ont une dynamique mixte universités/ grandes écoles qui permet de créer des synergies.
O. R : Les rivalités grandes écoles / universités c’est vraiment dépassé ?
F. D : Avec l’Idex, avec l’Université de Lyon c’est dépassé. Nous pensons aujourd’hui d’abord à l’intérêt général. De la même façon que Paris Saclay bénéficie du nom de l’Ecole polytechnique, je suis fier d’amener celui de l’Ecole centrale de Lyon – créée en 1857 ! – à l’Université de Lyon. Mais il est vrai que nous n’aurions surement pas pu monter un tel projet il y a encore dix-huit mois. Tous les directeurs et présidents des universités et écoles membres de la Comue se voient chaque mardi matin et la confiance s’est construite peu à peu dans un projet fédératif qui n’est pas une fusion. Je crois plus aux bancs de poissons très agiles qu’aux grands paquebots !
O. R : L’Ecole Centrale de Lyon est également membre du Collège des Hautes études Lyon Sciences(s), le CHEL(S). Comment allez-vous articuler ces deux alliances ?
F. D : Le Collège des Hautes études Lyon Sciences(s) a une autre finalité : celle de regrouper aussi bien des écoles scientifiques que de sciences humaines et même le Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon. Ensemble nous voulons élargir le regard sur la connaissance de nos étudiants avec par exemple des modules de cours partagés. Il faudrait que d’autres CHEL(S) se mettent en place mêlant médecine, droit, etc. Une bonne formation se doit demain d’être multidisciplinaire.
O. R : Les regroupements sont régionaux mais aussi nationaux. Comment travaillez-vous avec le Groupe des Ecoles centrales ?
F. D : C’est un double équilibre entre le site et des regroupements nationaux qu’on retrouve aussi dans les écoles des Mines ou les Insa. La Comue et le Groupe sont deux cartes gagnantes que nous jouons. Vous savez : l’enseignement supérieur sait développer et faire fonctionner des modèles compliqués pour peu que la volonté soit là.
O. R : Le développement international est-il aujourd’hui au cœur de votre projet ?
F. D : Avec le Groupe des Ecoles Centrale nous sommes présents dans le monde entier, en Inde, en Chine, au Maroc. Avec le groupe, avec la Comue, avec l’alliance, nous voulons occuper une place de premier plan en Europe. Le modèle saint-simonien des écoles Centrale, cette vision du bien être des individus dans la société, doit rayonner pour qu’un étudiant étranger mette la France et le monde dans le domaine des possibles d’un choix d’établissement d’enseignement supérieur. Nos effectifs comportent aujourd’hui 25% d’étudiants étrangers si on compte les doctorants et 20% sans. Notre ambition est de faire vivre un campus international dans les cinq ans avec notamment l’atout d’être proches de marques renommés à l’international comme l’EMLyon ou l’Institut Paul Bocuse. Toutes doivent garder leurs marques et profiter de leur faible taille qui leur donne l’atout de l’agilité.
O. R : Vous êtes très proche de l’EMLyon avec notamment un learning lab commun. Où en est votre collaboration ?
F. D : Nous sortons cette année nos premiers étudiants en double diplômes ingénieurs/managers et managers/ingénieurs. Avec les alumni des deux écoles nous avons monté un partenariat qui va permettre à des étudiants qui veulent créer des start up dans le numérique de se rendre dans un incubateur de la Silicon Valley. Ce sont les alumni des deux écoles installés aux Etat-Unis qui financent tout le projet. Toujours avec l’EM nous pensons nous implanter à Paris au sein du Cargo, un lieu d’innovation en passe de voir le jour, pour, y monter des projets éducatifs.
O. R : Vos étudiants sont des créateurs d’entreprise ?
F. D : De plus en plus. Dans les cinq ans après leur sortie de l’école 5% créent une entreprise et nous voulons faire monter ce chiffre comme nous voulons augmenter le nombre de doctorants.
O. R : Le doctorat n’a pas toujours bonne presse en France. A Centrale Lyon il se développe ?
F. D : La mondialisation valorise le doctorat alors qu’effectivement ce n’est pas naturel de se lancer dans un doctorat en France. Mais cela l’est déjà plus chez nous en raison de notre force implication dans la recherche. The Times Higher Education nous a ainsi classés à la cinquième place mondiale pour la part des publications scientifiques impliquant l’industrie. Alors qu’aujourd’hui ce sont 14% de nos diplômés qui continuent en doctorat nous souhaiterions donc passer à 20%.
O. R : Après leur diplôme beaucoup de vos étudiants partent travailler à l’étranger ?
F. D : 30% de nos jeunes diplômés trouvent leur premier emploi à l’étranger et, si on veut faire carrière aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne, etc. le titre de docteur, le PhD, donne de l’autorité. Je ne veux donc pas que, dans dix ou vingt ans, nos étudiants viennent nous dire qu’on ne les avait pas prévenus. Et qu’ils le fassent tout de suite. Un doctorat il faut le faire après son diplôme d’ingénieur, pas à 35 ans !