Les communautés remplacent les PRES, le Haut conseil de l’évaluation l’Aeres, les CPGE seront payantes et devront recevoir plus de bons bacheliers, les IUT plus de bacs technos, les STS plus de bacs pros, les grandes écoles seront toutes sous cotutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les stages tous rémunérés (lire le détail de ces mesures ci-dessous) mais cela valait-il vraiment le coup de se donner autant de mal pour ça? «Il fallait bien réfléchir à améliorer ce qui avait été fait en 2007 sans être dans la rupture totale», expliquait avant le vote Khaled Bouabdallah, l’un des vice-présidents dans la CPU, dans un entretien qu’il m’avait accordé.
Oui mais fallait-il pour cela passer par des Assises, une loi, des centaines d’heures de discussion pour, finalement, accoucher d’un texte qui entérine très largement la LRU ? Sans doute que oui et ce sera à mettre au crédit du gouvernement d’avoir pris le temps d’écouter les acteurs de l’enseignement supérieur pour porter un texte finalement assez équilibré mais qui aura divisé la gauche : les groupes écologistes et Front de gauche ont voté contre. La discussion débutera maintenant le 18 juin au Sénat où on sait que l’avenir de l’Aeres sera particulièrement débattu. A suivre…
Pas de problème pour les communautés
Sans doute le plus discuté pendant la préparation de la loi, l’article sur les «communautés d’université et d’établissement» a été approuvé sans modification substantielle. Seul le mot «rattachement» a été remplacé par «association» pour que les grandes écoles qui se joindront aux communautés ne se sentent pas contraintes. Geneviève Fioraso va pouvoir donc appliquer sa mesure phare en ajoutant, annonce-t-elle, un «D» à l’acronyme qui passerait ainsi de «CUE» à «CUDE». Plus chic effectivement même si elle pense que de toute façon ce sera le terme «université» (de Lyon, Bordeaux, etc.) qui sera in fine employé.
Prépas : fin de la gratuité
Contre l’avis de la ministre de l’Enseignement supérieur et la Recherche, les députés ont adopté des dispositions prévoyant la fin de la gratuité des frais de scolarité en classes préparatoires. Une mesure que conteste absolument Sylvie Bonnet, présidente de l’Union des Professeurs de classes préparatoires scientifique UPS, considérant que «ce n’est pas un amendement symbolique, c’est un amendement punitif, construit sur des idées reçues qui ont la vie dure». Et de rappeler que pour l’UPS, les classes préparatoires «ne créent pas les inégalités, elles héritent de celles générées par le système d’enseignement primaire et secondaire».
Prépas : des places réservées aux meilleurs bacheliers
L’idée de réserver des places aux bons bacheliers a été approuvée par le gouvernement avec un amendement qui précise en substance que «sur la base de leurs résultats au baccalauréat, les meilleurs élèves de chaque lycée bénéficient d’un droit d’accès dans les formations de l’enseignement supérieur où une sélection peut être opérée. Le pourcentage des élèves bénéficiant de ce droit d’accès est fixé chaque année par décret. Le recteur d’académie, chancelier des universités, réserve dans ces formations un contingent minimal de places au bénéfice de ces bacheliers et prévoit des critères appropriés de vérification de leurs aptitudes».
C’est ainsi une des promesses du candidat Hollande qui est tenue sans qu’on sache trop comment les prépas vont pouvoir s’organiser pour recevoir ces très bons bacheliers qui n’avaient pas l’intention d’aller en prépa et qui en auront maintenant le droit. La mesure semble de toute façon assez symbolique… mais un symbole cela peut coûter cher à appliquer. Sans oublier qu’il provoque un vif énervement chez beaucoup d’universitaires qui ont, encore une fois, l’impression qu’on leur réserve les bacheliers de moins bonne valeur.
Des garanties pour les IUT
Ce fut un des points forts du débat tant on sentit que les élus locaux présents à l’Assemblée tenaient à défendre «leurs» IUT. Face à un Patrick Hetzel omniprésent dans l’hémicycle tout au long des débats, Geneviève Fioraso a donc pris solennellement l’engagement devant les députés de prendre un décret pour garantir moyens des IUT dans le cadre de leur université de rattachement. «Il est temps de redonner aux IUT la place qu’ils méritent», a-t-elle-même déclaré en précisant qu’elle ne lierait pas la signature de «contrats d’objectifs et de moyens» entre chaque université et son IUT au respect des objectifs réitérés d’un pourcentage de bacheliers technologiques. Son plus important problème sera plutôt de garantir ces moyens dans le respect de l’autonomie des universités alors que la «charte de bonne conduite» signée avec la précédente ministre n’avait pas eu les résultats escomptés partout.
Fin des stages non rémunérés
C’est un autre effet collatéral de la loi: contre la volonté du gouvernement les députés ont voté la fin des stages non rémunérés, quelle que soit leur durée, explique Le Figaro. La ministre préférait en effet attendre le projet de loi de Michel Sapin sur l’emploi qui devait s’emparer du sujet car «cette mesure a un coût pour les administrations et notamment les hôpitaux». Au nom «devoir d’«exemplarité de la fonction publique», les députés ont souhaité eux faire prévaloir «l’équité» selon Jean-Jacques Vlody, député PS de la Réunion, entre la fonction publique et l’entreprise où la gratification est obligatoire. En 2013, rappelle Le Figaro, «le montant minimal de cette gratification est fixée à 436,05€ par mois. Jusqu’à aujourd’hui, les entreprises pouvaient cependant décider de ne pas en verser lorsque les stages n’excédaient pas deux mois». Si cette mesure est finalement appliquée elle risque en tout cas de considérablement réduire le nouveau d’entreprises qui auront recours à des stagiaires et poser ainsi des problèmes insolubles à tous ceux pour lesquels ces stages sont obligatoires. A suivre…
L’anglais est passé
Après un débat animé, qui a quelque peu occulté l’essentiel de la loi, l’article 2 sur l’enseignement des langues étrangères a été voté avec néanmoins un amendement stipulant qu’il devait y avoir des «nécessités pédagogiques» pour qu’un cours soit dispensé dans une autre langue que le français. Au Québec où, on l’imagine, il y a toujours beaucoup de résistances à offrir des cours en anglais, des règles très précises ont été établies. A HEC Montréal, pour qu’un cours soit offert en anglais et/ou espagnol, il doit ainsi obligatoirement être également offert en français. HEC Montréal se présente d’ailleurs comme une école francophone mais multilingue (français, anglais, espagnol) dans son enseignement.
Des docteurs à l’ENA
Alors que la semaine dernière Geneviève Fioraso s’était opposée à un amendement prévoyant une revalorisation des carrières des docteurs dans la fonction publique, les députés ont voté pour que les docteurs puissent postuler à l’Ecole Nationale d’Administration par concours interne. Un sujet sur lequel reviennent en détail les journalistes du Monde sur leur blog Le grand amphi.
Nouveau statut des écoles de management : le grand oublié de la loi
Certains directeurs d’écoles escomptaient bien que le nouveau statut des écoles de management, l’école d’enseignement supérieur consulaire(EESC) portée par la chambre de commerce et d’industrie France, ferait l’objet d’un amendement dans la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. Cela paraissait peu envisageable à ceux qui estimaient au contraire qu’y introduire une sorte d’«amendement HEC» rendrait peu lisible la loi. Aux ministères de l’Artisanat comme de l’Enseignement supérieur, l’explication est en tout cas la même confie Educpros: «La négociation se poursuit [avec les CCI] pour parvenir à un projet de texte cohérent, il était trop tôt pour faire passer un amendement dans le projet de loi ESR».
Les amendements « anti-Pessoa » sont passés
Sans s’en cacher c’est spécifiquement à l’université privée portugaise Fernando-Pessoa que s’est attaqué le député Jean-Yves Le Déaut avec deux amendements: le premier oblige l’ensemble des formations privées de santé aient l’obligation minimale à «conclure une convention avec un établissement public de santé, soumise à l’approbation du ministre de la Santé», le second stipule que ne «peuvent être reconnus au titre d’une équivalence de parcours ou d’une validation des acquis de formation les années de formation suivies dans un établissement situé sur le territoire national et non reconnu par l’État» comme «les certificats ou diplômes délivrés par un organisme ou un établissement situé sur le territoire national et non reconnu par l’État, ou non accrédité ou non habilité par l’État à délivrer des diplômes nationaux ou des diplômes d’ingénieur, ou qui ne sont pas visés par arrêté du ministre en charge de l’Enseignement supérieur». Clair mais sans doute difficile à mettre en œuvre et sujet à des interprétations. La ministre a ainsi dû déjà inclure un sous amendement excluant les écoles de commerce du champ d’application restrictif du second amendement.
Au tour du Sénat
Maintenant qu’elle a été votée par l’Assemblée nationale, la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche va passer au Sénat. Alors que le texte ne sera en discussion que le 18 juin, des auditions contradictoires y sont déjà menées par la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication avec, par exemple, Didier Houssin, pour l’Aeres, et Emmanuel Saint-James, président de «Sauvons la recherche» cette semaine.
Le gouvernement ayant choisi d’utiliser la «procédure accélérée», une seule lecture du texte a lieu devant chaque chambre pour un vote définitif qui interviendra avant la fin de la session parlementaire. Ce qui n’indique pas qu’elle seront forcément d’accord pour voter exactement le même texte. Dans ce cadre, l’article 45 de la Constitution de la Vème République établit qu’après une seule lecture par chaque assemblée, «le Premier ministre ou, pour une proposition de loi, les présidents des deux assemblées agissant conjointement, ont la faculté de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucun amendement n’est recevable sauf accord du Gouvernement. Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ».
Olivier Rollot (@O_Rollot)