2006 : création de l’Aeres et des PRES ; 2007 : loi LRU ; 2013 : loi Fioraso et création des Comue ; 2017 : les établissements d’enseignement supérieur français chutent ou stagnent dans quasiment tous les classements internationaux (à l’exception des écoles de management, peu intégrées dans les regroupements). Comme le souligne Patrick Fauconnier dans son livre Universités : innover ou sombrer « en France 80 universités, 300 grandes écoles, 20 grands établissements et 40 grands organismes travaillent en ordre totalement dispersé et se regardent en chiens de faïence » Une analyse que ne renie sans doute pas la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal qui, tout en rouvrant le chantier des Comue et autres regroupements pour expérimenter de nouvelles formes de gouvernance, affirme qu’ils ne doivent « pas se replier sur eux-mêmes » car le gouvernement ne « veut pas d’associations molles incapables de créer des projets communs ». Dix ans après la promulgation de la loi LRU, la planète enseignement supérieur française s’interroge une fois de plus sur son organisation…
Des « coquilles » trop compliquées !
« Nos systèmes de Comue sont trop compliqués. Etre un établissement réactif dans ses décisions, notamment avec le milieu des entreprises ou des partenaires étrangers, suppose qu’il n’y ait pas de multiples instances de décision. C’est bien plus simple pour un établissement fusionné possédant une seule personnalité juridique comme le sont les établissements de rang international qui sont plutôt le modèle pour le jury des Idex. » L’analyse du président de l’Université de Bordeaux, Manuel Tunon de Lara, en rejoint bien d’autres qui ne voient pas comment les Comue peuvent fonctionner.
Sans s’engager complètement sur ce terrain Frédérique Vidal a ouvert la voie à bien des questionnements en regrettant, lors de la dernière assemblée générale de la Conférence des grandes écoles, qu’on ait créé des « coquilles standards » au lieu commencer par porter des projets pour « imaginer ensuite les synergies entre les établissements sans toucher aux marques ». Elle demande donc qu’on « teste des outils de gouvernance ». C’est dans cet esprit que le rapport de Jean-Richard Cytermann, sur la Simplification des instruments de coordination territoriale et articulation avec les initiatives d’excellence devrait bientôt trouver une expression légale et laisser la faculté aux établissements de définir de nouvelles formes d’association ne conduisant pas forcément à la fusion.
« La vraie question à se poser c’est celle de la mission. Sinon cela sert à quoi de créer un objet administratif supplémentaire ? La France a besoin d’établissements dont le principal sujet de préoccupation soit, non pas le nombre de m2 gérés, mais ce qui est généré en termes d’emplois, ce qu’on appelle ailleurs des « universités de technologie » comme la TU à Munich par exemple », constate Laurent Carraro, directeur général d’Arts et Métiers (Ensam) jusqu’à la mi 2017 et un temps président de la Comue Hesam, qui regrette : « Les Comue qui pourraient revendiquer ce modèle – Paris-Saclay ou Grenoble par exemple – en sont loin car elles n’ont pas été conçues dans cet objectif. Elles ont repris des modèles de gouvernance universitaires parce que devenir des universités sous-tend leur projet ».
Pas de Comue sans Idex ?
Ah que les Comue auraient été belles sans les psychodrames des Idex… à moins qu’elles n’aient même pas vu le jour sans l’aiguillons des financements du Commissariat général à l’investissement (CGI). Président de la Comue Université Grenoble Alpes, lauréate d’un Idex, Patrick Lévy livre son analyse : « Il y avait une ambiguïté dans la loi de 2013. Le jury IDEX a une vision univoque de ce que doit être une université intégrée en demandant un ensemble très cohérent en termes de gouvernance. Mais par essence les communautés dépendent avant tout de ce qu’on met dedans. Elles répondent à une tradition universitaire tout en ayant un rôle politique. C’est difficile pour certaines d’entre elles de répondre à la politique très affirmée du Commissariat général à l’investissement qui demande qu’elles se conforment à un standard international des universités. D’autant que l’Etat n’était longtemps pas clair sur ses intentions ».
Laurent Carraro n’a pas connu le succès aux Idex. Il se souvient des errements politiques du gouvernement à ce sujet : « D’abord les regroupements d’universités, essentiellement les Communauté d’universités et d’établissements (Comue), et les initiatives d’excellence (IDEX) se présentent comme des sujets différents. Puis on les mélange. Puis on constate que c’est une impasse et on sépare de nouveau les sujets. Nous ne pouvons pas avoir que des champions du monde capables d’obtenir des Idex ! Quelle est la vision ? Qu’est-ce que les politiques attendent de notre enseignement supérieur ? ».
Mais que peuvent devenir les Comue ?
L’analyse est de nouveau celle de Manuel Tunon de Lara : « Je ne vois aucun avenir à notre Comue ni à la plupart des Comues en général. A moins qu’elles aient un projet de création de nouvel établissement avec un effet transformant. On ne peut pas bâtir des Comue tout en conservant des établissements autonomes en leur sein. Les Comue sont rapidement une complication quand elles prennent une dimension réglementaire uniforme et prétendent gérer nos relations avec l’Etat ». Ce que les établissements voisins de son université traduisent par une volonté de mainmise de l’université sur tous les acteurs et notamment Bordeaux INP.
Président d’une Comue qui compte en son sein Grenoble INP, Patrick Lévy a une autre vision : « Cela a demandé beaucoup de travail pour créer une identité commune sans perte d’identité pour chacune des composantes. La marque Université Grenoble Alpes est ainsi une marque portée en commun, notamment à l’international. Sciences Po Grenoble est l’école de sciences politiques de l’Université Grenoble Alpes, etc. Nous ne nous sommes jamais dits que nous voulions une seule marque mais une hiérarchie de marques. Si l’Université Savoie Mont Blanc ne fait pas partie du projet IDEX, elle est en revanche dans la Comue. De même que Grenoble EM qui vient, d’être associée à la Comue ce qui nous permet de regrouper tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche du territoire ».
Quelle place pour les grandes écoles ?
La Comue de l’université de Frédérique Vidal, Nice Côté d’Azur, lauréate des Idex a su donner leur place aussi bien à l’Edhec qu’à Skema. Un modèle qu’on ne retrouve pas partout… « Nous sommes membre associé de la Comue Université de Lyon mais assez rarement associés aux grandes décisions », déplore le directeur général d’emlyon BS, Bernard Belletante, dont l’école est pourtant le premier centre de recherche en économie-gestion de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais quelle organisation définir pour rapprocher les points de vue ? « Nous ne sommes pas favorables à la dissolution des grandes écoles et des universités dans des ensembles indéfinis. Pour autant, peu de sujets nous opposent », remarque le secrétaire général de la CGE, Francis Jouanjean, qui note : « Là où nous nous différencions le plus c’est dans la gouvernance avec, au sein des conseils d’administration des grandes écoles, la présence de représentants des entreprises qui ont voix au chapitre. C’est ce qui nous différencie également de Comue qui sont sans doute un modèle passéiste avec une conception archaïque de la gouvernance. Il faut là aussi changer de culture ! »
Les grands établissements pour modèle ?
Suite à son travail d’analyse réalisé pour la Conférence des présidents d’université, Emmanuel Roux, président de l’université de Nîmes et président de la commission juridique de la CPU, explique dans un entretien à EducPros les possibilités offertes par le projet du gouvernement d’évolution juridique des Comue. Il imagine quatre hypothèses d’évolution : un modèle de grand établissement redéfini ; une évolution des Comue actuelles ; l’expérimentation de nouveaux modèles ; et enfin, la création immédiate d’une nouvelle catégorie d’EPSCP (établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel).
Alors que leur création a été bornée par la loi Fioraso (il est impossible d’y proposer les niveaux L, M et D), le modèle de grand établissement lui semble le plus adapté aux évolutions à venir : « C’est la solution vers laquelle bon nombre d’acteurs souhaitaient aller et qui, dès lors qu’elle aurait été suffisamment bordée, était sans doute la plus simple ». Mais s’il est impossible d’aller dans cette voie il estime que le ministère ouvre deux possibilités : « Soit les regroupements peuvent engager une expérimentation autour des statuts existants, soit ils peuvent imaginer un nouveau statut ».
Dans les deux cas, les membres de ces nouvelles « coquilles » pourront conserver leur personnalité morale le temps de l’expérimentation, dont la durée maximale ne devrait pas excéder dix ans selon les dires de Frédérique Vidal le 30 août (on parlait auparavant de quinze). « Cela donnera bel et bien, in fine, des établissements fusionnés, quoi qu’on en dise… », rappelle-t-il. Et même dans un premier temps « la conservation de la personnalité morale ne doit pas faire oublier que l’ascendant de la « superstructure » pourrait être très fort, avec une réelle capacité à donner des injonctions aux membres. Ce qui est beaucoup plus intégratif que les statuts actuels des regroupements ».
Enfin il ne lui paraît pas viable d’imaginer la multiplication de structures administratives différentes (« cela risque d’amener quelque chose d’assez illisible »). Il faut donc selon lui « imaginer que le cadre qui régira les expérimentations soit assez bordé pour permettre l’originalité tout en restant sur une ligne commune ». En résumé il existe un statut parfaitement adapté que tout le monde plébiscite, celui de grand établissement, mais on ne peut plus y recourir et on va donc devoir créer d’autres statuts. Pourquoi faire simple…