ECOLE D’INGÉNIEURS, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Mais pourquoi les filles ne s’orientent pas plus vers les métiers du numérique ?

Une étudiante en étape de recherche via un microscope en salle de « robots et systèmes embarqués » à l’ESIEE

La question interpelle depuis longtemps les acteurs du numérique, écoles d’ingénieurs comme professionnels : pourquoi ne parviennent-ils pas à attirer plus de filles dans un secteur en plein développement ? La deuxième édition du Gender Scan Etudiants Ingénieurs mesure justement l’évolution de la féminisation dans le secteur des technologies et du numérique sur la base des données Eurostat les plus récentes. Elle comprend également une analyse des résultats de l’enquête conduite avec la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs). « 37% des femmes qui sont aujourd’hui étudiantes en STIM ou en numérique ont été découragées de faire ce choix par leurs proches. C’est le double des hommes », stigmatise Claudine Schmuck, qui administre l’étude avec le cabinet d’étude Global Contact. « Il est aujourd’hui plus facile d’assurer l’égalité entre les femmes et les hommes dans les fonctions dirigeantes que dans les métiers de la tech », regrette Vincent Lecerf, directeur des ressources humaines d’Orange, venu commenter l’étude. Pour y remédier la Française des Jeux exige depuis un an qu’on lui présente autant de candidatures de femmes que d’hommes. « Problème : elles sont très sollicitées ! », remarque Jonathan Gindt, directeur de cabinet de la PDG de la FDJ.

Un mal français ? La proportion de femmes diplômées dans les STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) décline en France de 6% entre 2013 et 2020 alors qu’en Europe elle augmente de 19%. Une diminution qui provient de la chute de la proportion de femmes dans les filières de l’ingénierie – industrie de production et de transformation : -16% en cycle court, -10% au niveau licence, -12% au niveau master et -10% au niveau doctorat.

Le numérique voit une évolution plus positive, quoique inférieure à l’évolution européenne, avec une progression de 43% des effectifs de femmes diplômées depuis 2017, alors qu’en Europe elle est de 62%. Cette croissance est tirée par la progression des effectifs féminins en cycle court (+6%), en doctorat (+4%) et surtout en licence avec une croissance supérieure à l’européenne (21% contre 17%). « La progression observée est donc significative. Mais dans la mesure où elle est équivalente à celle de l’ensemble des diplômés de cette spécialisation, la proportion des femmes ne progresse pas et reste à 19% », analyse Claudine Schmuck.

 Les croissances les plus fortes des effectifs de femmes diplômées dans le numérique en Europe entre 2013 et 2020 sont observées en Roumanie (+533%), Irlande (+257%), Belgique (+197%), au Luxembourg (+160%) et en Suède (+114%).

Des freins persistants. L’argument dissuasif pour décourager les femmes comme les hommes de se destiner aux carrières des STIM et du numérique est un niveau de résultats insuffisant à l’école, cité par 40% des femmes et 46% des hommes découragés dans les STIM, 33% des femmes et 54% des hommes découragés dans le numérique. Surtout près de 33% des apprenantes indiquent qu’elles ont été découragées simplement parce qu’en tant que femme le milieu « leur serait hostile », soit parce qu’il ne s’agit pas de « métiers de femmes ». Résultat : 57% des étudiants déclarent s’intéresser aux STIM et au numérique avant la fin du primaire, alors que ce n’est le cas que de 41% des étudiantes. « Identifier les freins à la féminisation de nos formations est la pierre angulaire à l’élaboration de politiques et actions pour développer la mixité. L’étude Gender scan est à ce titre fondamentale tout comme le sont les actions de sensibilisation aux sciences telles que Science factor ou les actions des écoles d’ingénieurs », assure le président de la Cdefi, Emmanuel Duflos.

Pourtant il n’y pas de différence importante entre les facteurs de motivation des étudiantes et étudiants en STIM. Par exemple une proportion quasi équivalente de femmes et d’hommes sont motivés par le salaire et la facilité à trouver un emploi. Avec une légère différence observée sur le premier facteur de motivation, qui est le fait de pouvoir travailler dans de nombreux domaines qui reflète le souhait des femmes d’utiliser leur compétence dans une plus grande diversité de secteurs et fonctions.

In fine une proportion très élevée d’hommes et de femmes se déclarent satisfaits de leur choix d’étude : 95% d’hommes et 93% de femmes dans les STIM, 91% de femmes dans le numérique. Toutefois, un écart important est observé dans la proportion de répondants qui se déclarent très satisfaits, les hommes étant plus nombreux que les femmes à se déclarer tout à fait satisfaits : 10% plus (62% d’hommes vs 52% de femmes) dans les STIM, et 8% plus (64% d’hommes vs 56% de femmes).

Une proportion nettement plus grande d’étudiantes en STIM et dans le numérique déclarent souffrir de stress, de manque de confiance en soi, ainsi que de l’ambiance et de sexisme. Les écarts femmes-hommes sont nettement plus importants dans le numérique. Le manque de connaissance sur les métiers futurs est déclaré comme étant le premier problème observé par les étudiants en STIM (écart de 11%), alors que dans le numérique c’est le niveau de stress qui est évoqué par presque 20% d’étudiantes en plus.

 Un sexisme endémique. S’il est une explication au manque d’appétence des femmes pour ces carrières elle se trouve sans doute dans le sexisme qui y existe toujours. 22% des femmes en formation dans les STIM et 30% dans le numérique s’estiment ainsi victimes de sexisme. Par rapport à 2021, cette proportion diminue de façon significative. En 2021, 38% d’étudiantes dans le numérique et 35% d’étudiantes en STIM déclarait avoir été confrontée à ce type de problème, soit une baisse de 8% dans le numérique et le 6% dans les STIM. Cependant la proportion de femmes qui se disent victimes de harcèlement sexuel ne diminue pas dans le numérique, et seulement très légèrement dans les STIM (14% en 2021, vs 12% en 2023).

Interrogées dans le cadre de l’étude des étudiantes évoquent des problèmes liés au fait qu’elles sont des femmes : « Je ne me suis jamais sentie aussi « femme » que dans mes études, pas pour les bonnes raisons mais plutôt comme obstacle pour apprendre, m’épanouir et me sentir à ma place. J’aimerais que des comportements de type « tu prends les notes car tu as une belle écriture » ou « tu feras le compte rendu du coup » soient bannit. J’aime ce que j’apprends mais je n’aime pas l’ambiance, je n’aime pas avoir l’impression qu’il faille prouver que je mérite ma place ou même le droit de m’exprimer » (une étudiante de 21 ans).

Preuve des efforts entrepris par les écoles, la proportion d’étudiantes informées de l’existence de dispositifs de suivi et d’accompagnement est passée en deux ans de 20% à 56% dans les STIM, et de 27% à 48% dans le numérique. Mais la proportion d’étudiantes qui déclarent ne pas être informées reste significative dans le numérique, où elle se maintient à plus de 40%. Et si la proportion des étudiantes victimes de harcèlement sexuel qui utilisent le dispositif d’alerte s’améliore un peu, elle reste inférieure à 10%.

 L’enquête a été menée par le cabinet d’étude Global Contact en partenariat avec la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi) auprès des étudiants dans les écoles d’ingénieurs en partenariat avec la CDEFI. Elle a été conduite en ligne d’avril à juillet 2023 avec 1436 répondants.

  • -« Tirant les leçons de ces constats, » la Cdefi, Bpifrance, Orange, la Frenchtech et 40 acteurs phares de l’écosystème (dont la Bpifrance, la FDJ, Orange) ont soutenu le déploiement en France d’une démarche qui prend appui sur trois piliers essentiels : l’implication des prescripteurs (enseignants, parents), avec des activités continues pour consolider l’impact sur les choix d’orientation (exposition, ateliers, rencontre en présentiel ou distanciel), et des enquêtes systématiques auprès des prescripteurs et des élèves pour en évaluer les effets à court et moyen terme après une phase expérimentale déployée en novembre 2022 avec l’appui de la Frenchtech.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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