EMPLOI / SOCIETE, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Comment avoir plus de femmes dirigeantes dans l’enseignement supérieur et la recherche ?

Le 9ème séminaire de l’Association des femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Afdesri) réunissait Élisabeth Claverie de Saint Martin, PDG du CIRAD, ici entourée par Antoine Petit, PDG du CNRS, Emmanuel Duflos, président de la Cdefi, Philippe Mauguin, PDG de INRAE et Guillaume Gellé, président de France Universités sous le regard de la première et l’actuelle présidente de l’Afdesri: Sophie Béjean et Brigitte Plateau

D’un côté un ministère de l’Enseignement supérieur assez largement dirigé par des femmes autour de la ministre Sylvie Retailleau, de l’autre des établissements très largement dirigés par les hommes. Le contraste est saisissant ce 2 févier 2024, en amont du 9ème séminaire de l’Association des femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Afdesri) quand, face à face, se rencontrent la ministre et les présidents de France Universités, de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) ou encore du CNRS. « Nous sommes dans un monde de l’enseignement supérieur et la recherche où les femmes dirigeantes sont encore en nombre insuffisant », rappelle Sylvie Retailleau, pointant que seulement 17 femmes sont présidentes d’université en 2023 (contre 11 en 2011). « En revanche le gouvernement a travaillé pour faire progresser les femmes dans les fonctions régaliennes et elles sont, par exemple, 43% parmi les recteurs (contre 27% en 2012) », spécifie la ministre.

Un long chemin vers l’égalité dans les établissements. Aujourd’hui on compte 45% de femmes parmi les maîtres de conférence, 29% chez les professeurs mais seulement 22% chez les présidents d’université (+5 points depuis 2016), 24% chez les directeurs écoles d’ingénieurs (+12 points depuis 2016) et 20% dans les directions d’écoles de management (+2 points depuis 2016) membres de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm).

Avant les nombreuses élections qui ont lieu en 2024, 17 femmes étaient présidentes d’université, quatre portant un Idex ou un Isite (Sorbonne Université avec Nathalie Drach-Temam, Lorraine avec Hélène Boulanger) dont deux occupent également des présidences d’EPE (établissement public expérimental) : Paris-Saclay (Estelle Iacona) et Nantes (Carine Bernault). Parmi les vice-présidents on est passé de 36% à 43% de femmes avec des différences abyssales selon les fonctions : 64% parmi les vice-présidents vie universitaire pour 20% dans le numérique mais plus de 40% parmi les vice-présidents du conseil d’administration qui sont le vivier des futurs présidents. En revanche 53% des directeurs généraux des services (DGS) d’université, non élus, sont des femmes.

Depuis 2016 l’un des deux vice-présidents de France Universités est forcément une femme mais jamais aucune d’elles n’a occupé la présidence. « Nous ne sommes pas exemplaires c’est clair même si la progression du nombre de femmes dans les vice-présidences est significative », établit Guillaume Gellé, président de France Universités, qui rappelle qu’il faut aussi « pouvoir soutenir les femmes dans leur carrière si on veut les voir prendre des responsabilités ».

Du côté des écoles d’ingénieurs Emmanuel Duflos, le président de la Cdefi, se félicite de voir que le nombre de directrices d’écoles d’ingénieurs a doublé en dix ans : « Il y a près de 40% de femmes dans les directions adjointe et il faut maintenant les pousser à franchir le pas. D’autant que leur présence incite des jeunes filles à rejoindre les rangs de nos écoles ». Des femmes qui n’occupent que très peu les directions des écoles du top 10 où seule Laura Chaubard, présidente par intérim et directrice générale de l’École polytechnique, et Elisabeth Crépon pour l’Ensta sont aux commandes.

Si la parité est loin d’être établie dans les écoles de management elle est plus forte dans le haut du classement. Certes une seule femme dirige l’une des écoles du « top 5 », Isabelle Huault à emlyon, mais elles sont à parité dans le « top 10 » avec Alice Guilhon pour Skema, Delphine Manceau pour Neoma, Fouziya Bouzerda pour Grenoble EM et Stéphanie Lavigne à TBS Education.

Une politique volontariste dans les organismes de recherche. Seules 9 femmes ont dirigé un organisme de recherche depuis leur création. « Je suis la première femme présidente mais, sur 34 directeurs d’unité, nous n’avons que deux femmes », pointe Élisabeth Claverie de Saint Martin, PDG du CIRAD, qui remarque que les questions d’égalité sont peu traitées par les représentants syndicaux, à la fois « très masculins et très âgés » toute la tâche « reposant sur les directions ».

Au CNRS des mesures ont été prises pour changer la donne explique son président Antoine Petit : « Nous sommes à 30% de femmes directrices de recherche de première classe contre 12% il y a dix ans. Pour y parvenir nous avons décidé de nommer autant de pourcentage de femmes qu’il y a de potentiels de femmes candidates en les poussant à se présenter ».

Alors que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) est à la parité femmes / hommes dans la plupart des fonctions il y a longtemps eu une perte en ligne dans les fonctions de direction, les femmes attendant cinq ans de plus que les hommes pour postuler les fonctions de direction. « Notre priorité depuis mon arrivée à la présidence a été de remonter à la parité dans les nominations en contactant toutes les femmes promouvables pour les pousser à postuler », explique le PDG de INRAE, Philippe Mauguin, dont l’organisme est aujourd’hui à parité avec 45% de femmes candidates qui occupent in fine la moitié des postes de direction.

Ces femmes qui dirigent les universités dans le monde. Le moins qu’on puisse dire c’est que les femme se sont imposées ces dernières années à la tête des plus grandes universités du monde. Si la démission de Claudine Gay de la présidence d’Harvard en janvier dernier a fait couler beaucoup d’encre ce sont toujours des femmes qui sont à la tête de l’université d’Oxford (Irene Tracey), du Massachusetts Institute of Technology (Sally Kornbluth), Cambridge (Deborah Prentice), Berkeley (Carol Christ), Columbia (Minouche Shafik), Cornell (Martha E. Pollack) et en Europe Heidelberg (Frauke Melchior), Karolinka (Annika Östman Wernerson). Comme le montre le Times Higher Education dans son article International Women’s Day: top universities led by women il n’en reste pas moins qu’elles n’occupent qu’un quart des présidences des 200 premières universités mondiales. Très exactement 23,7% de femmes sont présidentes d’universités en Europe selon l’étude She Figures 2021 menée par la Commission européenne. Seules la Lettonie, la Suède et l’Islande approchent de la parité avec plus de 40% de femmes à la tête de leurs universités.

Pourquoi ce déficit ? « La France est dans la moyenne de l’Union européenne pour la part des femmes dans les instances de direction dans l’enseignement supérieur. Mais en-deçà si on considère notre action globale envers les femmes avec un index de genre qui se situe au-delà de la moyenne », répond Maxime Forest, chercheur et maître de conférences à Sciences Po, spécialiste des politiques d’égalité. « Depuis 2012 de nombreuses lois, et en particulier en 2019 la loi de transformation de la fonction publique, ont permis d’améliorer les positionnements des femmes. Elles sont absolument nécessaires », souligne Béatrice Noël, cheffe du Département Défis sociétaux et environnementaux au MESR, qui attend que les nouveaux plans égalité déposés par les établissements soient « plus ambitieux ».

« Le problème ce ne sont pas les femmes mais les structures sociales qui indiquent qu’elles ne sont pas les mieux adaptées à occuper les postes de responsabilités. La cause du déficit c’est le système ! », insiste Maxime Forest. « Il y a dix ans nous avons lancé beaucoup d’actions, comme par exemple, la nomination de hauts fonctionnaires à l’égalité femmes / hommes dans chaque ministère » rappelle Najat Vallaud Belkacem, aujourd’hui directrice France de l’ONG One, et qui fut ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur de 2014 à 2017, quand Sophie Béjean conclut : « Nous faisons évoluer le système. En dix ans les choses ont bougé mais la vitesse n’est pas encore celle d’un TGV ».

  • En 2014 sept femmes se rencontrent autour de Brigitte Plateau, à l’époque administrateur général du groupe Grenoble-INP et future première présidente de l’association, pour créer l’Afdesri. Dix ans plus tard plusieurs centaines de femmes, mais aussi quelques hommes, ont adhéré et participent à des colloques, groupes de travail et font réseau.
Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Ceci fermera dans 0 secondes

Send this to a friend