Les DRH en sont persuadés : le management évolue profondément. Une perception qu’ont beaucoup moins les salariés selon une étude Les salariés et la transformation managériale réalisée en partenariat par l’IFOP et le laboratoire LISPE (Laboratoire d’innovation sociale et de la performance économique) de l’école IGS-RH à l’occasion de la 10ème édition de son colloque « Dirigeants en pays d’Avignon » « Quand on va dans les conférences où la fonction RH communique on croit que les transformations sont déjà opérées. Mais en fait il ne s’agit que d’un humectage en surface. La terre n’est pas touchée », commente le directeur du laboratoire, Lionel Prudhomme pour lequel nous sommes « dans une période de transition profonde où ce que peut apporter la science percute la sphère privée ».
55% des salariés interrogés identifient un changement dans le mode de management interne à l’entreprise ces dix dernières années, contre 45% qui n’en perçoivent aucun. Quant aux cadres, cette évolution les partage (51% vs. 49%). De manière générale :
▪ les relations entre salariés se sont améliorées plutôt que détériorées (37% vs 31%, bien que 32% estiment qu’elles n’ont pas changé) ;
▪ de même, les relations avec le supérieur hiérarchique direct (36% oui ; 30% non ; 34% sans avis) ;
▪ en revanche, le rapport s’inverse s’agissant des relations avec la direction d’entreprise, dont les relations sont nettement plus verticales (27% ; 34% ; 39%).
De manière personnelle, s’agissant de leur propre expérience, l’évolution du management est perçue plus positive pour :
▪ les relations entre salariés (40% ; 26% ; 34%) ;
▪ les relations avec le N+1 (40% ; 27% ; 33%) ;
▪ bien que plus timidement avec la direction (28% ; 34% ; 38%). « Depuis les années 2000 les cadres se sentent plus proches de l’ensemble des salariés que de leur direction. C’est un véritable retournement par rapport à ce que nous analysons depuis 80 ans », commente Philippe Dabi, directeur général adjoint d’Ifop France.
Les modes de management observés par les salariés se caractérisent par une certaine rigidité, une préférence pour la verticalité, une dose d’opacité et un manque de vision :
▪ un côté hiérarchique plus que coopératif (65% vs. 35%) ;
▪ un côté bureaucratique plus que réactif (62% vs. 38%) ;
▪ un côté centralisateur plus que délégateur (55% vs. 45%) ;
▪ l’opacité dans le processus de décision plus que la transparence (63% vs. 37%) ;
▪ un manque de vision : l’objectif de court terme pour gérer le présent est préféré à l’objectif de long terme (59% vs. 41%). « 38% des salariés qui ont observé une évolution récente s’accordent sur l’aspect davantage coopératif du management (vs. 35% en moyenne), 49% sur son aspect délégateur (vs. 45%), 42% sur sa réactivité (vs. 38%), 42% sur sa transparence (vs. 37%) », analyse Philippe Dabi.
Intervenant dans beaucoup d’entreprises la philosophe Julia de Funès insiste sur des « process qui prennent le pas sur tout au détriment du bon sens » tout en stigmatisant à rebours une « certaine infantilisation des entreprises » dans lesquelles le poste de « chief happiness officer est une fiction car le bonheur est une fiction ». « Mettre un baby-foot dans une entreprise alors que l’ambiance est délétère ne résout rien. Si on ne met pas l’homme au centre du dispositif on ne va nulle part », renchérit le général Bertrand Soubelet, ancien directeur adjoint de la Gendarmerie nationale et aujourd’hui consultant.
Les nouveaux modes de management responsabilisant et autonomisant le salarié prennent place lentement. Près de 4 salariés sur 10 en perçoivent l’émergence, signe d’une marge de progression encore forte. Ils déclarent que le management :
▪ encourage les autres points de vue (48% sont d’accord avec cette idée) ;
▪ permet un soutien aux collaborateurs même s’ils font parfois des erreurs (45%) ;
▪ manifeste de la confiance pour prendre des décisions sur des sujets importants (43%) ;
▪ offre les possibilités de développer ses compétences (42%).
« Quand on se sent perçu comme un simple engrenage son travail est invisible à soi-même. Toute la question est de redonner de l’autonomie aux salariés pour qu’ils se réapproprient leur travail », commente Lionel Prudhomme quand le président de Groupe ADP, Augustin de Romanet, estime que « notre problème c’est de ne plus avoir la notion du temps long ». Venu présenter les évolutions capitalistiques d’un groupe bientôt privatisé pendant le colloque de l’IGS il rappelle d’ailleurs fier avoir « ouvert 300 m2 de locaux pour recevoir des start up et des équipes innovations performantes ».
Les salariés se montrent plus optimistes quant aux effets du management pour eux :
▪ la cohésion dans les équipes – être bien intégré par les collègues (78% approuvent), être solidaires entre collègues (58%) ;
▪ l’autonomie – pouvoir décider de la manière dont les salariés organisent leur travail (66%), de prendre les décisions par soi-même (62%) ;
▪ l’apprentissage – apprendre de nouvelles choses au travail (61%), développer ses compétences personnelles (58%).
En revanche, seuls 4 salariés sur 10 considèrent que, par rapport à la décade précédente, leurs pairs sont enthousiastes (44%), heureux (43%) ou très motivés (40%). « Les salariés estiment que les transformations managériales portent surtout sur l’organisation de l’entreprise alors qu’ils souhaiteraient des améliorations qui les concernent directement en termes de rémunération, de responsabilisation et de formation (dimensions de frustration et bénéfices secondaires) », commente Philippe Dabi.
Les salariés jettent également un regard acéré sur leurs collègues, jugés d’abord « obéissants » (à 65% et même 70% chez les cadres), « ouverts d’esprit » (dans les mêmes proportions) mais aussi « prétentieux » (55%) ou « très motivés » (seulement 40%).
A propos de la digitalisation, les impacts sont plutôt jugés positifs par ses apports vis-à-vis de :
▪ la qualité de l’information (51%) ;
▪ la communication interne (43%) ;
▪ l’organisation du travail (48%) ;
▪ le travail au quotidien (43%).
En revanche, les salariés sont plus méfiants, quant aux effets du digital, sur les aspects relationnels et humains :
▪ le digital est anxiogène notamment parce qu’il rend plus « poreuse » la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle (41% jugent que son impact est négatif sur ce point),
▪ et parce qu’il représente un danger pour les relations humaines (51% jugent que son impact est négatif). La conclusion à Frédéric Dabi : « Il y a un hiatus entre les salariés qui veulent plus d’humain et les entreprises qui parlent digital ».
- Le groupe IGS fêtait les 6 et 7 juillet les 10 ans de son le colloque « Dirigeants en pays d’Avignon » sur la thématique « Gouverner, c’est oser ». Comme chaque année, il réunit autour de nombreux DRH des chefs d’entreprise (cette année Gérard Mestrallet, président de Suez et Président d’honneur d’Engie, Augustin de Romanet, président de Groupe ADP, etc.), représentants des thématiques les plus fortes du moment (Maud Bailly, chief digital officer d’Accor Hôtels), chercheurs (Antoine Petit, président du CNRS, la philosophe Julia de Funès, etc.), représentants du monde culturel (Eric Ruf, administrateur de la Comédie française, Philippe Fournier, chef d’orchestre), politique (Estelle Sauvat, Haut-commissaire à la transformation des compétences) ou médiatique (Christophe Barbier) autour de questions qui intéressent la gouvernance des organisations.
- L’enquête a été réalisée du 11 au 13 juin 2018 auprès d’un échantillon de 701 salariés représentatifs d’entreprises privées de plus de 50 salariés et disposant d’au moins dix ans d’ancienneté professionnelle.