Les dernières années ont été parfois tumultueuses au sein des Arts et Métiers. Directeur général depuis février 2017 Laurent Champaney s’est notamment donné pour mission de ressouder les morceaux avec la puissante association des anciens. Mais bien d’autres chantiers l’attendent que ce soit dans la pédagogie de l’école ou son ancrage territorial.
Olivier Rollot : Les dernières années ont été particulièrement animées à Arts et Métiers avec différent conflits mettant en prise les alumni et la direction de l’école. Tous ces problèmes sont-ils derrière vous aujourd’hui ?
Laurent Champaney : Je m’étais engagé à tout faire pour que tout revienne dans l’ordre après les conflits multiples qui ont marqué ces dernières années, avec les alumni, sur la question de changement de statut mais aussi avec l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Pendant deux ans tout cela a donné une image assez négative à tous ceux qui s’intéressent aux Arts et Métiers.
A mon arrivée à la direction générale j’ai donc pris contact j’ai donc pris contact avec l’ancien puis le nouveau président, Marc Rumeau, de l’association des alumni des Arts et Métiers. Avec un message : donnons-nous des ambitions fortes pour l’industrie du futur, pour l’internationalisation de l’école, pour ne pas retomber dans de petites discussions. Marc Rumeau a fait beaucoup d’efforts pour que les relations reprennent dans les meilleurs termes entre l’école et ses alumni. Mais il reste des tensions au sein même des alumni et la situation ne se débloque pas aussi vite que je l’avais imaginé. Notamment parce que l’association est en train de changer de statut et que cela impacte sa gouvernance.
Pour autant nos relations avec l’association sont aujourd’hui excellentes. Je dois d’ailleurs aller présenter, les 14 et 15 octobre, à son congrès et à son assemblée générale la stratégie de l’école et les collaborations que nous pouvons mettre en œuvre.
O.R : Parce que le soutien de ses alumini reste primordial pour toutes les écoles !
L. C : L’association nous apporte un soutien extrêmement fort avec, par exemple, 300 000 euros de bourses de mobilité internationale accordées à nos étudiants cette année mais aussi le financement de la construction de nouvelles résidences universitaires à Angers et Paris ou l’accompagnement de nombreux projets. Nous aimerions également nous appuyer sur les groupes professionnels organisés au sein de l’association pour profiter de leur expertise. Enfin il existe au sein de l’association des groupes régionaux qui pourraient nous aider à la fois à favoriser la mobilité professionnelle des étudiants et à accroître la visibilité de l’école. Il y a vraiment aujourd’hui des attentes fortes de la part des membres de l’association pour que nous travaillions plus largement ensemble.
O.R : Arts et Métiers fait partie des plus prestigieuses écoles d’ingénieur françaises, de celles que tout le monde connaît, mais comment la définiriez-vous aujourd’hui ?
L. C : Arts et Métiers est l’école des territoires et de l’industrie du futur. Avec nos campus dans toute la France nous sommes un opérateur national au service de tous les terroirs dans lesquels nous sommes présents et de leurs tissus industriels. Nous sommes également un « grand établissement de technologie », qui dépasse le cadre de la seule école d’ingénieurs en proposant des formations du bac au doctorat et possède quinze laboratoires, une filiale de valorisation et un Institut Carnot.
La technologie reste notre marque de fabrique depuis la création de l’établissement en 1780, quand il s’agissait d’aller des savoirs à l’intelligence de la main. Nous formons toujours des étudiants scientifiques sur des plateformes technologique de niveau industriel.
O.R : Qu’est-ce qui devrait évoluer dans votre approche ?
L. C : Peut-être sommes-nous trop longtemps restés nos élèves à former à des technologies de base qui vont servir pendant la première partie de la carrière de nos diplômés avant qu’ils ne deviennent des managers. Un esprit dans lequel il n’y avait pas besoin de les former à la recherche. Mais aujourd’hui tout évolue tellement vite – pensez par exemple à la fabrication « additive » par les imprimantes qui est passée au stade industriel et a déjà un impact phénoménal sur toute la chaîne de fabrication – qu’on ne peut plus former seulement les jeunes à des technologies de base. Nous devons les former à être prêts à prendre en main de nouvelles technologies et cela passe par des activités de recherche. Ils doivent être en capacité de produire de l’innovation au service de l’industrie. Là où elle innove l’industrie est compétitive en France !
O.R : Quels autres grands chantiers jugez-vous prioritaire pour assurer le développement des Arts et Métiers ?
L. C : Notre axe stratégique c’est d’être des « accélérateurs de talents au service de l’industrie du futur » et nous devons encore plus l’incarner. Nos campus doivent aussi être des vitrines de l’industrie au service des collectivités territoriales. Ils avaient l’habitude de répondre aux besoins locaux en se mettant parfois en concurrence les uns avec les autres. Ce n’est pas la logique d’un grand établissement national qui met en avant les compétences de chaque campus. A Cluny nous ne faisons pas de robotique mais cela ne doit pas empêcher la région de profiter des compétences que nous développons au niveau national.
O.R : Etre un établissement national cela signifie être membre de plusieurs communautés d’universités et d’établissements (Comue). Cela n’est pas trop compliqué ? En particulier à Paris où HeSam a connu quelques déboires.
L. C : Cela nous permet de participer aux dynamiques régionales. La Comue HeSam est vue comme une parisienne alors qu’elle est nationale avec ses 128 implantations qu’en particulier les Arts et Métiers et le Cnam possèdent sur tout le territoire mais aussi à l’international. La présence de Paris 1 rendait HeSam plus parisienne alors que l’arrivée d’établissements comme le Cesi nous a encore plus rendus nationaux. Ajoutons-y le CNRS, forcément national, et des écoles d’architecture, design, patrimoine qui aimeraient être les têtes d’affiches de réseaux et vous constaterez qu’HeSam est une Comue nationale qui peut légitimement exister sans université.
O.R : Comment faites-vous vivre vos différents campus ? Quelles sont leurs spécificités ?
L. C : Nous avons beaucoup travaillé à la « coloration » de nos différents campus pour qu’ils se complètent en recherche et valorisation sur la base des contrats de recherche. Nous formons aux mêmes compétences sur chaque site mais avec des formations différentes. A Bordeaux nous proposons par exemple une spécialité aéronautique mais nous ne sommes pas une école d’aéronautique. Chaque site possède ses points forts. Ils ne doivent pas se mettre en compétition avec les autres sites mais au contraire s’appuyer sur les points forts de chacun.
O.R : La dimension internationale des Arts et Métiers est-elle assez développée ?
L. C : Nous avons 150 accords internationaux mais sont-ils équilibrés ? Nous avons parfois l’impression d’exporter tous nos bons étudiants sans en recevoir autant en retour. Sur l’Amérique du Sud et l’Asie les flux sont équilibrés mais ce n’est pas du tout le cas avec l’Amérique du Nord. Les flux d’étudiants ne nourrissent pas notre recherche et nous pénalisent en termes de classements internationaux.
O.R : Tous vos étudiants partent au moins six mois à l’étranger ?
L. C : Nous n’y sommes pas encore mais 30 à 40% partent plus d’un semestre. Seulement deux mois sont obligatoires car il est très difficile de faire partir tous les 1200 étudiants de chacune de notre promotion. Et encore plus nos 300 apprentis.
O.R : Vous pourriez-vous implanter à l’étranger comme l’ont fait récemment plusieurs écoles d’ingénieurs ?
L. C : Les industriels nous le demandent et nous étudions la pertinence d’aller nous installer au Maroc. Si nous nous projetons à l’international ce sera avec des partenaires locaux.
O.R : Parlons emploi. Vos étudiants sont-ils des créateurs d’entreprise ? Que vous apporte l’incubateur que vous avez monté il y a maintenant dix ans ?
L. C : Nous encourageons les processus de création d’entreprise par le biais d’une spécialisation dédiée en dernière année qui compte chaque année une cinquantaine de participants. Les étudiants viennent avec un projet et sortent avec un projet bien ficelé pour intégrer un incubateur. Nous avons également monté un pré-incubateur pour donner du temps à des étudiants entrepreneurs de développer des projets technologiques. L’un comme l’autre ne sont d’ailleurs pas réservés à nos seuls étudiants.
Nous recevons aussi aujourd’hui des étudiants qui arrivent dans l’école avec leurs propres projets et qui ne peuvent pas attendre des années pour le lancer alors que les technologies évoluent chaque jour. Il nous faut réfléchir à mieux articuler leur cursus pour leur permettre à la fois de suivre leur cursus et lancer leur entreprise.
O.R : Dans quels secteurs s’insèrent plutôt vos diplômés ?
L. C : Ils vont de moins en moins directement dans l’industrie car les opportunités sont de plus en plus nombreuses pour eux ailleurs. Il y a un vrai appel d’air pour les ingénieurs formés à l’organisation industrielle. Jusqu’à des étudiants issus de l’apprentissage qui s’inscrivent en master à Sciences Po.
O.R : Justement que deviennent les premiers étudiants de votre bachelor qui ont été diplômés cet été ?
L. C : D’abord il faut dire que leur cursus a été un succès avec 42 diplômés parmi les 46 premiers recrutés. Parmi ces 42, sept suivent notre formation d’ingénieur généraliste, 33 une autre formation d’ingénieur en apprentissage (dont une quinzaine aux Arts et Métiers) et deux seulement ont choisi de se tourner vers le marché du travail. De ce point de vue c’est plutôt un échec car nous espérions qu’ils seraient plus nombreux à travailler tout de suite. Mais même les entreprises chez lesquels ils ont été en stage, et qui ont pourtant du mal à recruter de bons techniciens, leur ont conseillé de poursuivre leur cursus jusqu’au niveau ingénieur. Je n’en suis pas moins fois satisfait d’avoir pu montrer que ces jeunes issus des filières technologiques pouvaient parfaitement devenir ingénieurs. Mais si on veut former plus de techniciens il faut peut-être aussi s’intéresser aux bacheliers professionnels.