Pendant deux ans Brigitte Plateau a dirigé la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) du ministère de l’Enseignement supérieur. Celle qui fut auparavant administratrice générale de Grenoble INP revient avec nous sur des années cruciales qui aussi bien vu la création de Parcoursup que la réforme de la licence, de l’apprentissage, l’évolution du dialogue avec les universités ou encore la mise en œuvre des universités expérimentales.
Olivier Rollot : Vous avez dirigé la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pendant un peu moins de deux ans. Deux années marquées par une pluie de réformes. Quel a été le principal dossier que vous avez traité ?
Brigitte Plateau : Une administration centrale comme la Dgesip et ses quelques 300 agents porte tous les sujets de politiques publiques sur son spectre de compétences et aussi tous les dossiers récurrents : ils sont forcements très nombreux. L’un des sujets phares de cette période a indiscutablement été la mise en place de Parcoursup avec le pilotage opérationnel Jérôme Teillard et la mise en œuvre exemplaire porté par le Service à Compétence National dédié à ParcourSup. Ce sujet a d’abord été une activité pilotée la DGESIP avant d’être totalement intégrée. Au final une réussite grâce à tout le travail de cohésion mené principalement avec le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse, les lycées, rectorats et les chercheurs avec lesquels ont été testés les algorithmes, entre autres. Médiatiquement et politiquement cela a été notre chantier le plus visible. De très gros risques ont été pris la première année où Parcoursup a été opérationnel sans passer par une phase de test. Cela a pu se faire grâce au courage politique de la ministre et à un intense travail à tous les niveaux. Pour autant il ne faut pas oublier que Parcoursup est construit dans la continuité des atouts et des défauts de son prédécesseur APB.
Aujourd’hui le public a compris comment fonctionne Parcoursup. Les parents comme les élèves savent à quoi s’attendre et le processus va s’améliorer et s’adapter au fil des ans. Parcoursup est victime de son succès : cette année les équipes de ParcourSup ont dû répondre à quelques 100 000 candidats en reprise d’études qui n’étaient pas attendus.
O. R : L’autre grand dossier qui continue à générer bien des débats est celui des nouveaux regroupements, ces « universités expérimentales » qu’une ordonnance parue fin 2018 autorise à se créer.
B. P : C’est un sujet peu médiatisé mais dont l’application va avoir un impact majeur sur l’enseignement supérieur en donnant le droit à l’expérimentation dans le cadre de nouveaux regroupements d’universités, grandes écoles et organismes de recherche. Un très grand succès préparé et suivi par les équipes de la Dgesip et porté pleinement par Frédérique Vidal et son le cabinet. Les premiers statuts de ces nouveaux établissements ont été déposés début janvier 2019 et plusieurs ont suivi et d’autres encore sont en voie de dépôt.
Notre système a ses spécificités et sa richesse avec les universités, les grandes écoles et les organismes de recherche. Mais il n’est pas totalement aux normes internationales dans le sens où sa lecture conformément aux critères dominants anglo-saxon n’est pas aisée. Par contre, il est totalement compatible avec le niveau de sa recherche et ses mécanismes de diplomation (ECTS, L/M/D, etc.). Avec ces nouveaux regroupements nous créons un cadre législatif qui permet aux établissements d’enseignement supérieur de s’organiser sans perdre leurs forces ni leurs spécificité. Ensemble ils vont créer des ensembles lisibles et visibles sur des sites géographiques sur le modèle de New York, Singapour ou encore Haïfa. Des ensembles qui pourront monter dans les classements internationaux, proposer une offre diversifiée et de qualité et attirer des étudiants et des enseignants-chercheurs du monde entier.
O. R : Tout le débat s’articule autour de la possibilité pour les établissements d’enseignement supérieur de conserver leur personnalité morale. Est-ce si important ?
B. P : On fait effectivement un grand cas de la personnalité morale et juridique qui permet en France d’employer des fonctionnaires et de disposer d’un budget propre. Si on regarde ailleurs, aux Etats-Unis par exemple, on constate qu’il est tout à fait possible pour un établissement composante d’une université de disposer de ce type de prérogatives, notamment pour des objectifs d’agilité et de visibilité.
O. R : : Mais êtes-vous certaine que ces établissements composantes, comme on les appelle, conserveront toujours dans dix ans, à la fin des expérimentations, cette personnalité morale à laquelle ils tiennent tant ?
B. P : Personne ne sait ce qu’il va se passer. D’ici 10 ans un autre cadre juridique aura peut-être vu le jour où bien la question sera sans importance. Mais regardez des grandes sociétés comme Airbus qui sont structurées sous forme de holding avec des filiales, sans que personne n’en pense pour autant que Airbus n’est pas Airbus. Il faut pouvoir articuler des composantes au sein d’un système cohérent qui ne soit ni l’indépendance des parties ni la fusion pleine et entière de ces parties en une seule entité indivisible.
O. R : Et si on devait tirer un bilan de tous ces efforts pour rapprocher les établissements depuis la loi Pécresse de 2007 quel serait-il ?
B. P : Depuis le début des années 2000 avec les PRES et les Comue et enfin aujourd’hui les établissements expérimentaux, les communautés académiques ont beaucoup bougé. Même si tout n’a pas toujours été déroulé de façon très rationnelle, les avancées ont été extrêmement importantes. Certes la volonté d’avancer n’est pas la même partout, les communautés sont prêtes ou pas, mais les changements sont énormes. Il reste maintenant à évaluer ces transformations à l’aune de la réussite (avec des critères divers) mais là nous n’avons pas encore le recul tout à fait suffisant et c’est le chantier majeur qui est attendu.
O. R : Quel rôle jouent les jurys des Idex dans ce mouvement de rapprochement ? On a le sentiment qu’ils privilégient le modèle fusionnel.
B. P : L’obtention d’un Idex est une mesure de réussite majeur choisi par l’état, et il y en a d’autres comme les classements internationaux ou le « statut » d’université européenne. On peut lire que les jurys des Idex privilégient les fusions, mais en tout état de cause il s’agit pour eux d’être convaicu de l’émergence d’un vrai projet d’université de site avec une gouvernance crédible. Evidemment ce serait plus simple de s’appuyer sur un modèle déjà existant mais ce n’est pas possible ni souhaitable partout. Et c’est justement pour cela qu’a été promulguée l’ordonnance qui est une véritable boîte à outils pour des universitaires à l’imagination féconde – cela fait partie de leur métier ! De cette inventivité doit ressortir un nouveau modèle pluriel.
O. R : Un certaine nombre de Grandes écoles se disent encore déçues de la manière dont elles sont traitées dans ces expérimentations. Que leur répondez-vous ?
B. P : Qu’il faut trouver un équilibre comme c’est par exemple le cas, au sein de la nouvelle université Grenoble Alpes (UGA), pour Grenoble INP, ce n’est pas simple et j’en félicite les auteurs ! UGA a su initier une dynamique entre l’ingénierie, les sciences exactes et les sciences de gestion dans un premier cercle, et bien sûr le reste de l’université, avec un dialogue qu’on espère de même nature et qualité que celui des universités américaines entre leurs départements. Cette ordonnance permet aussi de rapprocher les écoles privées comme le fait l’Institut Polytechnique de Paris avec HEC. Il n’y a pas de modèle unique.
O. R : La question de l’augmentation des droits de scolarité des étudiants étrangers a fait couler beaucoup d’encre. Est-ce vraiment une bonne réforme ?
B. P : C’est une réforme importante car nous avons des progrès à faire dans l’accueil des étudiants étrangers et qu’en l’état actuel des choses, les moyens mis en œuvre par les universités sont insuffisants. Cela a été un grand chantier institutionnel délicat, avec de nombreux partenaires comme le ministère des Affaires étrangères en premier lieu. Cette première année, il faut bien constater qu’il y a un de nombreuses incompréhensions qui ralentissent la mise en œuvre. Les présidents d’universités ont largement utilisé leur droit d’exemption de frais de scolarité dans cette première phase mais il s’agit de 10% des effectifs potentiellement exemptables, qui sont leur prérogative. Cependant, soyons clairs : personne ne veut rejeter les étudiants étrangers et toutes les universités veulent les attirer !
O. R : Vous vous êtes également intéressés aux formations et notamment la licence.
B. P : Il s’agit d’un sujet central de la loi ORE : suivi des étudiants, initiatives pour mieux accompagner les étudiants, réforme et professionnalisation de la licence, lancement des campus connectés, réforme de la PACES (première année commune aux études de santé), transformation des Espé (Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation) en Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) pour mieux répondre aux besoins du métier, autant de sujets majeurs pour Frédérique Vidal que nous avons menés, pour certains à terme.
O. R : Justement quel bilan peut-on tirer de la mise en place de périodes de remédiation à l’entrée en licence pour aider ceux qui n’ont pas le niveau attendu ?
B. P : Nous aimerions avoir rapidement des statistiques globales mais ce n’est pas encore le complètement le cas : cela ne saurait tarder On peut simplement remarquer la perspective de transformation du système en se fondant sur le cumul d’ECTS qui est une mesure de la progression des étudiants plutôt que sur le simple calcul du taux de réussite « couperet » calculé en fin d’année, évaluant simplement une progression annualisée et normalisée, notamment de réussite en première année de licence.
O. R : Et avec les établissements, comment le MESRI a-t-il fait évoluer ses relations ?
B. P : Nous avons inauguré un nouveau dialogue stratégique et de gestion (DSG) avec un nouveau contrat quinquennal (CQ) resserré qui fait participer également les organismes de recherche. Les discussions des DSG et CQ ont porté sur leur mise en œuvre de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants), ou tout sujet relevant des politiques publiques portées par notre ministre- tout autant que sur leur dynamique spécifique. En dehors de ce contexte, les échanges avec les établissements ont été nombreux pour définir les avancées lors des travaux sur la loi sur l’avenir professionnel (apprentissage), la loi PACTE avec la problématique des chercheurs entrepreneurs. Nous avons avancé ensemble sur la reconnaissance des aspects formation dans la carrière des enseignants-chercheurs.
Parmi les sujets importants de cette période, il y a eu, avec le MENJ, la réforme territoriale créant les rectorats de région. Dans les sujets qui sont prêts à aboutir, il y a l’interaction avec le HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et le SGPI (Secrétariat général pour l’investissement). Enfin la loi de programmation pluriannuelle de la recherche est un chantier majeur et des grandes avancées sont attendues.
O. R : La question de la réforme de l’apprentissage a provoqué de nombreux débats dans les établissements d’enseignement supérieur qui ont parfois le sentiment d’être laissés de côté. Quel est votre sentiment sur ce dossier B. P : Il est vrai que cette phase de discussion a été largement occultée par les incertitudes tout au long des négociations entre les titans que sont les régions et les syndicats professionnels sur ce dossier. Nous avons tout de même fait reconnaître que l’apprentissage dans l’enseignement supérieur a été en progression très importante ces dix dernières années, correspondant à une réelle demande. Nous avons permis que son financement reste juste, en grande majorité, et que la taxe d’apprentissage revienne toujours aux universités et aux Grandes écoles qui travaillent directement avec les entreprises, sans passer par un système obscur de redistribution. Ainsi l’essentiel des éléments permettant la dynamique a été préservé … ce qui implique, bien évidemment de préserver et d’amplifier cette dynamique entre les apprenants, les entreprises et l’enseignement supérieur.
La volonté des syndicats professionnels de favoriser le développement de l’infra bac ne doit pas se faire au détriment de la dynamique du supérieur. La gouvernance mise en œuvre France Compétences va s’ajuster et faire ses preuves sachant qu’une grande majorité des établissements d’enseignement supérieur en est déjà satisfaite.
O. R : On en revient toujours à la question des moyens. Notre enseignement supérieur a-t-il les moyens de son ambition ?
B. P : Il faudra bien aborder la question dans les années qui viennent, dans un pays producteur de matière grise qui aspire à un très haut niveau d’éducation. D’un côté se trouvent les partisans d’un financement uniquement par l’Etat, de l’autre ceux qui considèrent que les bénéficiaires de l’enseignement supérieur doivent plus y contribuer, en fonction de leurs ressources. Nous devons trouver notre propre chemin pour l’ensemble d’un éco-système d’ESR. Les Ecoles centrales ont dessiné leur chemin en modulant leurs droits d’inscription – jusqu’à 2 500€ par an – tout en mettant en œuvre un mécanisme de compensation. C’est ce que font les Sciences Po et d’autres.
Par ailleurs l’enseignement privé se développe en offrant des formations à 10 000€ ou plus par an. C’est l’ensemble de la dynamique du système d’enseignement supérieur qu’il faut comprendre et dont il faut exploiter les atouts et les flexibilités avec l’objectif d’une offre de formation de qualité et pour tous, suivant leurs talents et suivant les opportunités d’insertion dans la société. Ces dernières années, il s’est créé autant de places dans l’enseignement privé que dans l’enseignement public.
O. R : La solution c’est forcément l’augmentation des droits d’inscription ?
B. P : Je ne dis pas que l’augmentation des droits d’inscription est la solution mais je remarque, comme l’a fait la Cour des Comptes dans un rapport fin 2018, que le système global des droits est incohérent, avec par exemple des diplômes d’université qui ont leurs règles propres à côté de diplômes nationaux qui sont régulés par l’état. Mais il est impératif de ne pas aller vers un système avec des droits comme le pratiquent certains établissement anglo-saxons, entrainant des endettements insoutenables. La France a d’excellents résultats académiques et il faut capitaliser dessus pour un système ouverts à tous selon leurs talents et leurs projets.
O. R : Un des moyens de financer la recherche est de mieux avoir accès aux fonds européens. Où en sont les universités et organismes de recherche français en la matière ?
B. P : Nous pouvons encore beaucoup progresser et les communautés en sont bien conscientes. Il nous reste à vaincre des barrières culturelles et à mieux maîtriser la négociation à la mode anglo-saxonne. Nous réussissons bien mieux dans les programmes type « ERC » que dans les programmes collaboratifs. Nous devons aussi faire un véritable lobbying pour promouvoir des projets qui nous ressemblent et puisse rassembler. Aujourd’hui nous représentons 16% des financement et nous ne participons finalement qu’à 11 ou 12% des programmes. Avec Bernard Larroutourou, à la Direction générale de la recherche et de l’innovation, nous avons tenu à que la question du soutien aux appels à la recherche fasse partie de tous les contrats qui sont signés en 2019.