ECOLES DE MANAGEMENT

«Nous devons réformer nos concours dans l’esprit du nouveau bac et des nouvelles prépas»

S’adapter. A la réforme du bac. A la réforme des prépas. Au Covid. L’enseignement supérieur doit s’adapter comme le démontre le directeur général adjoint de Grenoble EM, Jean-François Fiorina, dans cet entretien.

Olivier Rollot : Le nouveau bac général est organisé pour la première fois cette année. Quelles évolutions attendez-vous sur le profil des nouveaux étudiants ?

Jean-François Fiorina : Ils vont surement capitaliser sur le contenu de leurs spécialités. D’autant qu’ils travaillent plus sur elles que sur les autres matières. Des spécialités comme Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP) ou Sciences économiques et sociales (SES) leur permettent en effet de s’inscrire dans la compréhension du monde d’aujourd’hui. Et, de notre côté, nous ne voulons pas limiter le choix de spécialités avec lesquelles nous recrutons nos étudiants à seulement deux, que ce soit à l’entrée en bachelor ou à l’issue d’une classe préparatoire. Nous devons recruter avec un spectre plus large.

La question est ensuite de savoir si nous souhaitons remettre tous nos étudiants à niveau dans toutes les disciplines ou les encourager à capitaliser sur leurs spécialités. C’est un peu comme aujourd’hui le cas d’étudiants qui, après leur classe préparatoire ECE, après avoir suivi des cours d’économie à haute dose, veulent continuer à le faire et choisissent alors de s’inscrire en licence en plus de leur programme Grande Ecole.

O. R : Grenoble EM est l’école qui s’appuie le plus sur la géopolitique dans ses enseignements. Comment expliquez-vous le succès de la spécialité Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP), qui y prépare les élèves dès le lycée ?

J-F. F : Encore plus avec la pandémie actuelle il faut bien comprendre le monde dans lequel nous vivons. Avec l’interdisciplinarité qu’elle apporte, la spécialité HGGSP permet d’aborder les sujets sous un angle qui convient très bien aux élèves. Elle traite de sujets transversaux qui font naitre des débats dans le monde entier.

O. R : Derrière la réforme du bac il y a la réforme actuelle des classes préparatoires économiques et commerciales. Actée. Ce qui n’est pas le cas d’une réforme des concours d’entrée dans les écoles post prépas que beaucoup appellent de leurs vœux. Que faut-il faire pour faire évoluer ces concours ?

J-F. F : La réforme des concours avance mais il faut prendre en compte toutes les visions : celles affirmées des écoles les plus renommées comme celles moins affirmées des autres. Dans ce cadre, la principale question est le signal que nous donnerons aux élèves par rapport aux mathématiques et donc du choix ou pas du parcours Mathématiques approfondies.

Nous devons en tout cas réformer nos concours dans l’esprit du nouveau bac et des nouvelles prépas. Cela sera un signal fort d’attractivité pour la filière et un des critères qui amène les étudiants à choisir entre une classe préparatoire et un bachelor.

O. R : Cette année les écoles vont vraisemblablement devoir de nouveau régler la question du passage des examens d’entrée en période Covid. Est-il envisageable pour vous de faire passer les oraux à distance ?

J-F. F : Il faut que les oraux aient lieu quelle que soit la situation sanitaire. Avec des protocoles communs à toutes les écoles pour préserver l’équité des concours. S’ils ont lieu en présentiel aussi bien l’accueil des étudiants que les chorégraphies, le logement ou les repas risquent d’être très perturbés. Nous avons donc besoin d’un protocole commun, sans surenchère de quiconque, pour que tous les oraux aient la même visibilité. En pensant aussi bien aux conditions de passage et de sécurité sanitaire des étudiants qu’à la présence des nombreux membres des jurys.

Nous avons bien sûr commencé à travailler au passage des oraux sur les campus mais, s’il faut finalement les organiser à distance, nous le ferons. Nous avons toute l’expérience d’un an d’enseignement à distance derrière nous et du passage d’autres évaluations.

O. R : Début février vous avez pu de nouveau recevoir vos étudiants sur vos campus. Comment les étudiants vivent-ils ces moments ?

J-F. F : Nous nous sommes rendu compte ces derniers mois qu’il existe deux groupes d’étudiants au sein du programme Grande école. Un premier avec des étudiants qui n’ont pas forcément la volonté de revenir sur les campus, parce qu’ils ont rendu les clés de leur appartement, parce qu’ils ont vécu les expériences qu’ils étaient venus chercher ou pour limiter les contacts en raison de la crise sanitaire. Ce premier groupe est notamment composé d’étudiants en fin de cursus et en alternance, qui ont bien compris tout au long de leur stage qu’aujourd’hui les entreprises travaillent également à distance et que l’apprentissage différent qu’ils vivent leur servira ensuite. Ils comprennent et respectent les consignes, s’adaptent en regrettant peut-être, mais pour eux l’essentiel est de suivre les cours, d’obtenir le diplôme et de trouver un emploi.

Le deuxième groupe, celui des étudiants qui veulent absolument revenir sur les campus, est notamment constitué d’étudiants de première année, qui n’ont pas encore vécu toutes les expériences de la vie de campus, mais aussi de deuxième année plus ou moins dans le même cas. Des étudiants frustrés de devoir travailler à distance car ils n’ont pas ou peu connu les échanges en présentiel, informels et dans le cadre des activités associatives par exemple.

O. R : La décision que vous avez prise à la rentrée 2020 de délivrer vos cours à distance était la bonne ?

J-F. F : Nous avons bien en tête les difficultés et l’impact psychologique auxquels nos étudiants peuvent être confrontés. C’est pour cela que, dès le mois de mars 2020, nous avons mis à disposition deux cellules d’écoute et de soutien qui leur est dédiée 24/24h et 7/7j. Dans la même optique, plutôt que de procéder à des réorganisations constantes qui génèrent du stress, nous avons fait un choix et nous l’avons tenu.

Nous avons souhaité donner à nos étudiants de la certitude dans un monde d’incertitudes. Des règles claires pour s’organiser pendant une période donnée de 2 mois et toujours en accord avec les directives du MESRI. Nous savons combien il est important pour eux de se sentir appartenir à un groupe et à une école. Nous voulons leur faire vivre une expérience étudiante complète, lors de leur passage à GEM, incluant la vie sociale mise à mal cette année malgré les événements immersifs réalisés à distance (défi de la rentrée dans un campus virtuel, forum de recrutement et visite virtuelles des bâtiments, …).

O. R : Grenoble EM est en pointe dans l’enseignement à distance avec la création de salles « Hyflex » spécifiques. Qu’apportent aux étudiants ces nouvelles salles ?

J-F. F : Pour que l’enseignement à distance soit une expérience la plus concluante possible, il faut que les étudiants puissent s’engager. Cela signifie qu’il faut scénariser les cours différemment : parfois prévoir plus de pauses ou de travail en petits groupes pour moins d’heures de cours « magistral » afin de ne pas subir le cours mais y participer. Nos salles Hyflex sont révolutionnaires parce qu’elles permettent un enseignement dans plusieurs dimensions. Le professeur est à la fois en face à face avec ses étudiants dans la classe et à distance. Il diffuse à tous les mêmes documents. Partout dans le monde, même à domicile de manière temporaire ou prolongée, l’étudiant peut suivre le même cours. Ainsi, nous pouvons nous organiser et respecter les jauges. S’il faut scinder les groupes de TD actuels, un professeur pourra tout de même enseigner à l’ensemble des étudiants en une seule fois du début à la fin d’un module, sans avoir à dupliquer plusieurs fois ses cours.

De plus le distanciel nous permet de faire intervenir d’autres personnes. Pascal Boniface, le directeur de l’Iris, peut se joindre pendant une demi-heure à un cours de géopolitique à distance, répondre à quelques questions puis passer à ses autres activités. C’est beaucoup plus simple que de faire coïncider des agendas. Cela nous donne de nouvelles perspectives.

O. R : L’avenir c’est l’hybridation de l’enseignement ?

D’autant que nous devons nous adapter aux besoins d’entreprises pour lesquelles les changements d’organisation du travail sont déjà une réalité. Le distanciel c’est à la fois mieux pour le bien être, moins cher pour les loyers et meilleur pour la planète. Nous devons préparer nos étudiants à ces nouvelles dimensions tout en leur proposant une expérience étudiante différente.

O. R : Ces nouvelles dimensions du travail ce sont aussi des sujets de recherche pour vos professeurs ?

J-F. F : C’est d’ailleurs déjà un terrain de recherche investi par la chaire Digital, Organisation and Society de GEM, ainsi que par nos équipes du campus parisien en collaboration avec l’ESTIA. C’est un domaine d’études à explorer avec notamment tout ce que nous avons appris ces derniers mois. Que ce soit sur le management à distance ou la résolution des conflits, tout est à inventer dans la relation au travail. Et c’est d’autant plus important pour une génération en quête de sens. Dans beaucoup de métiers et de fonctions le télétravail à 100% est tout à fait possible. Cela amène à la conclusion d’un nouveau contrat social dans une organisation totalement différente. Comment avoir une culture commune ? Les questions sont nombreuses. Et de nouveaux champs de recherche disciplinaires s’ouvrent, liés également aux questions de santé, de géopolitique, de chaînes de valeurs, etc.

O. R : Dans ce nouveau cadre comment doit-on penser l’expérience internationale ?

J-F. F : Cette année nous avons encore pu faire partir 40% de nos étudiants PGE, même s’ils sont le plus souvent allés dans des directions moins lointaines qu’ils ne l’imaginaient. L’expérience internationale va rester un axe fort des business schools, mais je ne serais pas surpris que des universités étrangères pensent à délivrer des cours à distance plutôt que de faire venir les étudiants dans les années à venir. D’autant que nos étudiants ont déjà beaucoup voyagé tout au long de leur vie et demandent une vraie valeur ajoutée avant de se déplacer : des doubles diplômes, des certificats, etc.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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