CLASSES PREPAS, ECOLES DE MANAGEMENT, PORTRAIT / ENTRETIENS

« Nous soutenons les classes préparatoires qui sont à la base de la création de nos écoles et contribuent au succès de la France »: Alice Guilhon, présidente de la Cdefm

Alice Guilhon, présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) et directrice générale de Skema BS

En deux ans d’existence la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) s’est imposée comme une acrice reconnue des transformations de l’enseignement supérieur. Classes préparatoires ECG, enseignement supérieur privé, enseignement du développement durable : sa présidente, Alice Guilhon, réagit sur trois dossier cruciaux.

CLASSES PREPARATOIRES ECG

Olivier Rollot : Les classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG) ont connu une désaffection en 2021 – 1 000 élèves de moins en première année – qui n’a pas été jugulée en 2022 avec des effectifs qui se sont stabilisés. Avec la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) que vous présidez vous êtes très impliquée dans cette question. Comment analysez-vous la situation actuelle et comment y remédier ?

Alice Guilhon : Après quelques années de forte croissance nous avons bien dû constater la baisse brutale des effectifs en 2021. Aujourd’hui tous se jettent la faute les uns sur les autres et nous avons souhaité, à la Cdefm, nous mettre autour de la table avec les professeurs de l’APHEC et les proviseurs de l’APLCPGE pour réfléchir aux raisons de cette désaffection. Quel est son niveau de gravité, quelle part de responsabilité ont le Covid, la réforme du bac, l’évolution des mœurs, l’internationalisation de l’enseignement supérieur, etc. ?

J’ai demandé à ce que nous soyons tous réunis pour réfléchir à ce que nous pouvons faire. Nous soutenons les classes préparatoires qui sont à la base de la création de nos écoles et qui contribuent au succès de la France.

O. R : Mais un projet de réforme avait été lancé et tout le processus s’est arrêté brutalement en mars dernier faute d’accord entre les différentes associations et l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) qui était à la manœuvre…

A. G : Nous aurions dû mieux mettre en avant plusieurs hypothèses de réforme alors qu’il a semblé qu’une seule était retenue. Sortie de son contexte les projets ont rencontré la ferme opposition des professeurs alors que plusieurs scénarios étaient possibles. C’est dommage de tout arrêter pour autant. A la Cdefm nous ne nous contenterons pas du statu quo. Il nous faut bouger tous ensemble et les classe préparatoires doivent changer significativement pour communiquer auprès des familles. Et il faudra également faire évoluer les concours.

O. R : Comment allez-vous relancer les discussions ?

A. G : Avec l’APHEC nous avons donc décidé de demander à un cabinet de conseil d’interroger les familles et les étudiants, qu’ils veuillent ou pas entrer dans une CPGE, pour qu’ils nous donnent leur vision. Nous saurons ainsi s’ils ont ou pas une vision de ce que sont les CPGE aujourd’hui. Ensuite nous nous appuierons sur les points de faiblesse et de force pour lancer un grand plan de communication.

Avec cette étude nous passerons au-delà des idées reçues pour mettre sur la table des éléments qui pourront certes fâcher mais ne permettront de nous faire une idée claire de la situation.

O. R : On reproche souvent aux écoles d’avoir créé des bachelors qui écarteraient les élèves des classes préparatoires. Que répondez-vous ?

A. G : Nous avons fait une étude : par un étudiant de bachelor n’imaginerait entrer en classe préparatoire. Et vice versa. De plus ils n’intègrent quasiment pas ensuite nos programmes Grande école en admissions sur titre (AST).

O. R : Vous parlez de communication. Qu’est-ce qu’il faudrait améliorer dans la communication des classes préparatoires ?

A. G : Les classes préparatoires ont peu communiqué dans beaucoup de lycées depuis des années où on n’imagine alors pas qu’une classe préparatoire soit à sa portée. Il y a toute une communication à mettre en place auprès d’une jeunesse qui a radicalement changé. Je ne suis pas inquiète : si on met en place les bons axes de communication on devrait redorer le blason de la filière.

O. R : Les jeunes ont une image tellement faussée de ce qu’ont aujourd’hui les classes préparatoires ?

A. G : Les étudiants ont beaucoup d’opportunités et imaginent aller ailleurs pour peut-être avoir moins de mal à se donner. Ils ont souvent une image désuète des classes préparatoires qui ont beaucoup évolué. L’entraide entre leurs élèves est devenue la règle et il est aujourd’hui tout à fait possible de mener une vie normale tout en suivant une classe préparatoire. Mais on reste encore sur le modèle précédent avec parfois aussi il est vrai des professeurs qui répètent qu’il faut souffrir pour réussir.

LUCRATIVITE

O. R : Le deuxième sujet qui impacte significativement la Cdefm en ce moment est le débat sur l’enseignement supérieur privé lucratif. Une mission a été lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) à ce sujet et le groupe Galileo vient de faire des propositions. Vous-même avez tenu un discours assez incisif pour dénoncer certaines « officines »…

A. G : J’ai tenu ce discours après que des professeurs d’université aient attaqué la qualité de l’enseignement supérieur privé dans son ensemble. Quand on voit les excellents classements des écoles de management françaises dans le Financial Times, on s’étrangle alors que si on leur appliquait toutes les règles auxquelles nous sommes contraintes, certaines formations de l’enseignement public ne pourraient pas délivrer de diplôme. Nous avons donc répondu qu’il ne fallait pas faire d’amalgame.

Par ailleurs il y a des écoles qui délivrent un enseignement de très bonne qualité, quel que soit leur statut. Nous ne voulons pas opposer les écoles. Ce que nous défendons c’est la qualité des formations quel que soit leur modèle. Ce que nous dénonçons c’est la création d’officines qui ne sont là que pour enrichir leurs propriétaires quitte à mettre la clé sous la porte rapidement. Mais certains ont cru pouvoir dire que la Cdefm était opposée à tout l’enseignement supérieur privé lucratif alors que nous défendons les établissements de qualité.

O. R : Il faudrait établir des règles plus strictes vis-à-vis de ce que vous appelez des officines ?

A. G : On ne devrait pas avoir le droit en France de créer une école sans aucun contrôle de l’État. L’État devrait délivrer une autorisation préalable, sur le modèle du visa, avant toute ouverture d’école. C’est de sa responsabilité morale !

O. R : La question des titres au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) et de leur location vous pose également problème.

A. G : Je trouve dramatique de voir que certains construisent un programme en supply chain avec un titre loué en ressources humaines ou en finance. C’est invraisemblable qu’il n’y ait aucun contrôle. Aucune école ne devrait pouvoir délivrer ou déposer de certification RNCP sans posséder au moins un visa. Les ministère de l’Enseignement supérieur et du Travail doivent se mettre autour d’une table pour avancer ensemble sur toutes ces questions. Et France Compétences mieux contrôler la bonne utilisation du RNCP. Quand on soulève la boite il y a de quoi être un peu effrayé !

O. R : Tous ces débats naissent des financements donnés par l’Etat pour développer l’apprentissage. Comment jugez-vous ces financements qui doivent amener la France au millions d’apprentis ?

A. G : L’objectif est parfaitement louable mais, de par la qualité de leurs formations, nos écoles ont des coûts très élevés. Il faut dire aussi que nos établissements ne reçoivent aucun fond public et ne sont pas financés par l’impôt. Le coût de la formation d’un étudiant est le même dans nos établissements que dans le public, la différence est que les étudiants financent leur scolarité à 80% dans nos établissements. Pour la formation par apprentissage, Nous sommes donc obligées de demander du « reste à charge » aux entreprises pour financer nos apprentis quand d’autres se gavent.

Avec uniquement des coûts variables, des périodes de cours qui n’excèdent pas une semaine par mois et des professeurs qui ne sont que des intervenants extérieurs, sont soi-disant des professionnels de l’entreprise, toucher 10 000€ par étudiant c’est un pactole. Nos écoles ne gagnent au contraire rien ! Nous sommes de vrais établissements d’enseignement supérieur, avec les contraintes qui vont avec, contrairement à d’autres qui ne pensent qu’à s’enrichir.

O. R : L’école que vous dirigez, Skema, est implantée dans d’autres pays que la France. Notamment les Etats-Unis, la Chine et le Brésil. Les règles sont-elles différentes là-bas ?

A. G : Aux Etats-Unis, en Chine comme au Brésil il est impossible d’opérer sans licence. Nous sommes contrôlés à la fois par l’Etat central et par les Etats régionaux pour certifier que nous délivrons nos diplômes dans les standards de qualité exigés. Aux Etats-Unis nous sommes contrôlés tous les cinq ans et au Brésil nous employons une personne à temps plein, détachée par l’Etat, pour certifier que nous respectons toutes les règles.

ENSEIGNEMENT DU DEVELOPPEMENT DURABLE

O. R : L’enseignement du développement durable doit bientôt devenir obligatoire dans l’enseignement supérieur. Comment les écoles de management travaillent-elles à ce sujet ?

A. G : Nous sommes mobilisées avec la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) pour produire un référentiel que nous allons rapprocher de celui que produit le MESR. Tous nos étudiants auront ainsi une forte imprégnation aux enjeux environnementaux et sociétaux.

Mais il y a bien longtemps que les écoles se sont emparées du sujet. Dès 2000 nous avons par exemple créé à Skema un mastère spécialisé en développement durable. Que nous avons dû le fermer en 2008 faute d’étudiants. 15 ans après les étudiants ont évolué et ne demandent d’agir urgemment. Mais ce n’est pas si simple de former des enseignants.

Et il ne faut pas non plus raconter aux étudiants qu’ils vont tous trouver des emplois spécialisés dans le développement durable. Il faut créer des programmes spécialisés mais aussi favoriser les doubles compétences. Il faut surtout que tous comprennent les enjeux des transitions dans une logique de transformation profonde de la société.

O. R : Ce sont des enjeux qui sont pris en compte dans tous les pays où Skema est implantée ?

A. G : Non, à l’échelle du monde les étudiants ne se posent pas tous les mêmes questions. C’est aussi pour cela que nos étudiants doivent continuer à voyager pour rencontrer d’autres visions et partager les leurs.

O. R : Les questions environnementales ne doivent pas obérer les déplacements des étudiants ?

A. G : On ne peut pas empêcher les étudiants de voyager. Mais il faut voyager pour être utile. Voyager moins mais mieux. Et accompagner Boeing et Airbus par ex. dans leurs transitions. On ne peut pas tout arrêter. Nous devons trouver des clés à donner à nos étudiants plutôt que de les rendre anxieux. Certaines initiatives pédagogiques peuvent créer de l’éco-anxiété, il faut plutôt donner aux étudiants les moyens d’agir ensemble.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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