Il y a maintenant deux ans que Grenoble INP est devenu membre de l’Université Grenoble Alpes (UGA). Cet été Grenoble INP a présenté un nouveau plan stratégique dans le cadre de cette union qui a donné naissance à l’institut d’ingénierie et de management. L’administrateur général de Grenoble INP, Pierre Benech, nous révèle les grands axes de sa stratégie. (Photo © Gilles Galoyer)
Olivier Rollot : Grenoble INP – UGA vient de révéler son plan stratégique 2022-2030. Pouvez-vous nous résumer ses grandes orientations ?
Pierre Benech : Nous avons voulu mettre un cap assez long, 2030, qui va voir s’enchaîner notre contrat à 5 ans avec l’Etat et trois années qui nous permettront de réactualiser les directions prises. Ce plan est le fruit d’un long travail avec toutes les équipes dans la suite logique de l’intégration, en janvier 2020, de Grenoble IAE et de Polytech Grenoble à Grenoble INP, qui comptait 6 écoles d’ingénieurs. Ce regroupement, mené dans le cadre de la structuration de l’Université Grenoble Alpes (UGA), a donné naissance à l’institut d’ingénierie et de management, un modèle unique dans le paysage de l’enseignement supérieur français. Allier ingénierie et management nous semblait indispensable pour créer un environnement propice à l’innovation et aider les entreprises à engager leurs transitions pour bâtir un monde durable.
O. R : Les défis sociétaux et environnementaux sont au cœur de votre réflexion ?
P. B : Nous voulons proposer des projets inspirants pour les jeunes. La période à venir sera teinté par les défis environnementaux et sociétaux pour des étudiantes et étudiants en quête de sens comme jamais. Nous avons d’ailleurs créé à cet effet une vice-présidence développement durable et responsabilité sociétale. Toute notre communauté doit se montrer responsable pour montrer l’exemple.
Nous menons notamment des recherches importantes sur le développement des réseaux électriques. Le défi des années à venir, c’est de faire en sorte que les sources d’énergie contrôlables (hydraulique, charbon…) puissent suppléer à l’intermittence de la production des énergies renouvelables, sans pour autant provoquer de blackout susceptibles de conduire à des drames.
Nous possédons par ailleurs une composante forte dans le génie industriel pour concevoir des produits qui économisent l’énergie et les matières premières tout en étant reconductibles. Il faut penser produits recyclables et réparables.
De même en micro-électronique nous devons concevoir des circuits de PC ou de téléphones portables moins consommateurs d’énergie et pouvant s’arrêter par intermittence. Par exemple, dans la fabrication des matériaux, il faut penser des outils moins gourmands en énergie. Dans le bâtiment, imaginer des maisons en torchis amélioré, à la fois solides et recyclables. Il y a des recherches à faire dans tous les secteurs qui concernent évidemment les ingénieurs mais aussi les managers : comment on consomme les loisirs, comment manager les équipes, les déplacements sont-ils vraiment indispensables, les questions à se poser sont multiples. En septembre 2021, Grenoble INP lancera ainsi la TEN School (l’École entrepreneuriale des transitions) en partenariat avec GEM. La formation, axée sur les défis environnementaux et sociétaux, préparera les étudiantes et étudiants à être des acteurs des transitions du 21ème siècle. 50 % du cursus sera consacré à des projets de transition réels, menés en équipe pluridisciplinaire.
O. R : Pour mener à bien ces recherches il vous faut des doctorants. Arrivez-vous à en former assez ?
P. B : Nous constatons tous une relative désaffection pour les sciences dont nous sommes un peu victimes. Alors que faire une thèse c’est vraiment agir pour la société nos ingénieurs ne sont pas encore assez tentés de le faire. Et le marché de l’emploi ne s’est pas retourné suite au Covid pour les y pousser.
O. R : Qu’est-ce que cela a changé pour Grenoble INP de devenir membre de l’Université Grenoble Alpes (UGA) ?
P. B : Nous espérons être plus efficaces ensemble tout en étant pour notre part porteurs de l’identité de l’ingénierie pour toute l’UGA. Polytech Grenoble et Grenoble IAE ont fait l’effort d’entrer dans Grenoble INP qui, de son côté, a accepté d’entrer dans un ensemble et de coordonner tout un pôle. C’est ce qu’a établi le jury de l’Idex en le pérennisant en juillet dernier tout en faisant quelques remarques que nous attendions et sont encourageantes. Nous avons encore beaucoup de travail pour pérenniser notre structure et en établir fin 2023 les statuts définitifs.
L’UGA nous donne un fort impact dans les appels d’offre et nous avons joint nos forces pour répondre à des projets européens. Avoir l’Idex nous a également apporté beaucoup de moyens qui touchent aussi bien la formation – ingénierie de la pédagogie inversée par exemple – que la recherche avec des « cross disciplinary projects » (CDP). Ce sont des programmes très importants réunissant plusieurs laboratoires, que nous n’aurions pas obtenu sans l’Idex. Nous comptons également beaucoup sur les classements. Le rayonnement du site nous donne une dynamique efficace.
A l’international, nous avons déposé un projet d’université européenne, Unite!, avec l’accord de l’UGA. Ce projet, sélectionné et financé par la Commission Européenne à hauteur de 5 M€ sur la période 2020 – 2022, a pour ambition de créer un grand campus européen, de la Finlande au Portugal, avec six autres établissements européens. Nous comptons sur lui pour notre visibilité future.
O. R : Comment se développe votre institut d’ingénierie et de management ?
P. B : Nous étions deux univers qui se parlaient depuis longtemps avec notamment des cursus communs. La filière finance de Grenoble INP – Ensimag fonctionnait par exemple de concert avec Grenoble IAE (institut d’administration des entreprises) depuis plus de dix ans. Ce qui nous rapproche c’est d’être sélectifs et professionnalisants tout en menant nos étudiantes et étudiants à des fonctions managériales.
De plus en plus nous développons des formations au croisement de l’ingénierie et du management. Dans une start up, c’est le croisement de ces compétences qui permet le succès : les managers seuls font du service alors que les ingénieurs ont des idées mais ne se posent pas assez la question du marché. Ensemble tout leur est possible. C’est ce genre de croisements que nous voulons développer pour former des jeunes qui ont conscience de leur rôle dans l’avenir.
O. R : Justement quels dispositifs mettez-vous au service de la création d’entreprise ? Un domaine dans lequel Grenoble INP a toujours beaucoup investi on le sait.
P. B : Nous avons créé INPG Entreprise SA pour conclure des contrats avec des industriels et investir ensemble dans des starts up. Nous possédons également un service de valorisation de la recherche commun avec l’UGA. Avec 31 demandes de brevets publiées en 2020 par Grenoble INP – UGA, nous nous situons dans le top 50 des institutions françaises qui investissent le plus dans l’innovation selon l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).
En septembre 2021 nous ouvrirons la « Design Factory » pour le compte de l’Université Grenoble Alpes. A l’image de la D.School de Stanford, ce sera un laboratoire de créativité destiné à inventer le monde de demain en lien avec les transitions environnementale, numérique et sociale. Ce sera une sorte d’hôtel ouvert aux étudiants, aux enseignants, aux chercheurs mais aussi aux entreprises pour faire émerger et développer des projets innovants, répondant aux problématiques de transition des petites, moyennes et grandes entreprises régionales, nationales et internationales. Ce ne sera pas dans un lieu géographique précis mais des étapes pour aller de la bonne idée à sa réalisation en licence, master comme en doctorat.
O. R : Mais comment vos chercheurs sont-ils poussés à valoriser leurs projets de recherche ?
P. B : Il existe deux grandes voies de valorisation pour nos chercheurs : des contrats de recherche avec des industriels et la valorisation des brevets. Nous devons y sensibiliser toujours plus nos chercheurs, leur montrer la valeur de leur recherche au-delà du problème résolu. C’est ce que nous faisons depuis maintenant quinze ans avec une équipe dédiée dont une vice-présidente entreprise et valorisation à part entière et un autre enseignant-chercheur à la direction de ce service.
Il faut ensuit réfléchir à une politique de flux ou de stocks. Ou on accumule les brevets en espérant qu’ils seront achetés par ci par là. Ou on est pro-actif en allant chercher des usagers intéressés. Et si, au bout d’un certain temps, on constate qu’il n’y a pas de retour des industriels ni de start up intéressée, on abandonne les droits. Cela nous aura coûté quand même mais c’est un risque qu’il fallait prendre sans pour autant s’acharner. C’est aussi une mission de service public que nous rendons. Si une société comme STMicroelectronics a pu se développer c’est grâce à des investissements et des brevets publics.