Président de la communauté d’universités et d’établissements Hesam depuis février dernier, Jean-Luc Delpeuch a pour tâche de fédérer un ensemble d’établissements complémentaires (Université Paris 1, Arts et Métiers ParisTech, ESCP Europe, Cnam, etc.) qui ont longtemps eu du mal à définir leur projet commun. Jusqu’à maintenant assure-t-il !
Olivier Rollot : Qu’est-ce que vous attendez aujiurd’hui de la Comue Hesam que vous présidez ?
Jean-Luc Delpeuch : La question « Qu’est-ce qu’on peut faire de mieux quand on le fait ensemble ou mieux dans l’établissement ? » me passionne. Il se trouve que je me la pose aussi bien au titre de la Comue Hesam qu’en tant de président d’une communauté de communes. La grande différence entre les deux structures étant que les Comue n’ont pas de ressources propres quand les communautés de communes peuvent – sans en abuser ! – récolter l’impôt. Si elles veulent démontrer leur utilité, les Comue doivent obtenir des financements, français ou européens. Une structure ne peut pas durer longtemps si elle n’est qu’un centre de coûts. Il ne faut pas être vécu comme une contrainte imposée par la loi.
O. R : Qu’est-ce qui caractérise plus particulièrement Hesam ?
J-L. D : Notre valeur ajoutée c’est la place des sciences humaines et sociales et l’interdisciplinarité. Nous sommes à une ère où l’humain est un phénomène qu’il est intelligent d’étudier. Il faut aller au-delà de la vision classique de SHS interrogées en fin de course, quand les technologies ont été créées et qu’on en cherche des usages.
L’enseignement de la pensée historique donne une vision de cette place.
Pour atteindre cette dimension Hesam possède une école du patrimoine (l’Ecole du Louvre), une d’architecture (Paris La Villette), de design (Les Ateliers), d’ingénieur (les Arts et Métiers), de formation continue (le Cnam, qui est aussi le champion des MOOCs !), de démographie (Ined), management (ESCP Europe), politiques publiques (Ena) autour de la très grande université qu’est Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
O. R : Ce n’est pas un ensemble trop hétéroclite ?
J-L. D : Mais une université multidisciplinaire avec des établissements de premier ordre ça s’appelle Harvard ou Stanford aux Etats-Unis ! Ce que nous voulons c’est conjuguer recherche, formation, innovation et interactions avec la société. On parle beaucoup aujourd’hui d’« université de recherche ». Nous sommes une « université de la connaissance » qui n’est pas seulement académique car la connaissance peut également être produite par des ONG, des entreprises ou encore des collectivités territoriales qui sont toutes porteuses d’expériences.
Le tout dans un esprit pluridisciplinaire que représente parfaitement notre Centre Michel Serres pour l’innovation au sein duquel se mêlent des équipes de toutes disciplines pour résoudre une problématique posée par une entreprise ou une collectivité. Son exemple nous inspire pour tout Hesam, ses 60 000 étudiants, 60 000 auditeurs en formation continue, 4000 enseignants-chercheurs, 100 laboratoires et 3000 doctorants.
O. R : Un ensemble qui a quand même connu quelques turbulences ces dernières années avec notamment le départ de quatre grandes écoles : l’EFEO, l’EHESS, l’EPHE et la FMSH. Aujourd’hui tous les problèmes sont vraiment derrière vous ?
J-L. D : Ces « turbulences » ont permis de clarifier notre périmètre. Il y avait peut-être trop de SHS dans Hesam avec des écoles qui avaient quitté la Sorbonne en leur temps et n’avaient pas forcément envie d’être en communauté avec elle. Vous parlez de départ mais nous avons eu également une arrivée avec l’école d’architecture Paris Villette qui est venue compléter notre offre.
O. R : Parmi les autres débats qu’on a entendu à propos d’Hesam il y a tout simplement la pertinence de son nom. Certes les Arts et Métiers ont une influence forte en France et on les retrouve dans le « am » de fin de votre sigle mais, à l’international, cela paraît vraiment dommage de se priver de la mention « Sorbonne » qui ne se retrouve que dans le « S » central. Ne faudrait-il pas mieux expliciter votre sigle ?
J-L. D : Nous allons répondre à cette demande en donnant par exemple une nouvelle appellation aux doctorats que nous délivrons. Dorénavant ils seront siglés Doctorat « Hautes Ecoles Sorbonne Arts et Métiers préparé à X » (le nom de l’établissement). La « Sorbonne » montre bien notre dimension académique « Arts » la création et « Métiers » la professionnalisation. En résumé nous académisons les professionnels et professionnalisons les académiques qui n’ont pas forcément eu l’occasion d’aller dans une entreprise.
O. R : Au-delà d’Hesam le paysage universitaire de Paris et de l’Ile-de-France paraît singulièrement compliqué. Pourquoi ?
J-L. D : Paris et l’Ile-de-France représentent une concentration d’établissement d’enseignement supérieur unique en Europe. Il était donc impossible d’y créer une seule grande université et on a créé des Comue dont la lisibilité n’est pas toujours flagrante. La grande différence entre nous et ces autres Comue c’est que nous sommes présents dans toute la France, avec les réseaux du Cnam et des Arts et Métiers, et dans cinq pays européens avec les campus d’ESCP Europe. Je crois à l’intelligence répartie et au travail avec d’autres Comue sur tout le territoire.
O. R : Vous parliez d’obtenir des financements européens. C’est un sujet sur lequel les universités françaises paraissent très en retard. Comment y remédier ?
J-L. D : Il y a effectivement aujourd’hui des financements européens importants, notamment dans le cadre du programme « Horizon 2020 », dans lesquels les établissements français sont peu présents. Il est vrai que monter des dossiers en anglais peut parfois gêner des chercheurs en sciences humaines et sociales.
Mais nous ne nous arrêtons pas à l’Europe. Le Koweït voudrait accroître son potentiel universitaire et nous travaillons avec le ministère des Affaires étrangères à la création là-bas d’un collège universitaire Sorbonne Arts et Métiers consacré au post pétrole. Transformer et diversifier un territoire « anti écologique » en territoire « post fossile » est un formidable défi que nos chercheurs et étudiants pourraient relever.