Le Groupe Ionis est aujourd’hui le principal groupe d’enseignement supérieur privé en France. Au total plus de vingt écoles qui sont aussi bien technologiques (Epita, ESME Sudria, Ipsa, Epitech, etc.), de management (ISG, Iseg, Moda Domani, etc.) ou encore d’art (e-art sup) et reçoivent 23 500 étudiants. Son PDG, Marc Sellam, son vice président exécutif, Fabrice Bardèche, et son directeur général, Marc Drillech, reviennent sur les points saillants d’un groupe fondé il y a maintenant 35 ans.
Olivier Rollot : Qu’est-ce que cela signifie pour vos étudiants d’entrer dans un groupe d’écoles multidisciplinaire ?
Fabrice Bardèche : C’est d’abord la puissance d’écoles implantées sur des campus communs en centre villes. C’est ensuite une dynamique pédagogique fondée sur la multidisciplinarité dans trois grandes directions : le monde du business, celui de la création et naturellement celui des technologies. Une direction que recherchent aujourd’hui toutes les écoles mais que nous avons développé depuis longtemps.
Marc Sellam : Un groupe c’est une crédibilité qui dépasse chaque marque et dans lequel chaque école apporte aux autres. Un campus multidisciplinaire c’est retrouver l’esprit des universités quand elles l’étaient. Un étudiant en management découvre facilement ce qu’est la technologie et la création et vice-versa.
M. D : Quand nous développons une école de commerce de la mode comme nous l’avons fait avec Moda Domani Institute c’est d’abord en nous appuyant sur l’ISG. Le tout avec des workshops animés par l’Epitech ou l’Epita avec des enseignants d’e-art sup qui interviennent. Nous pratiquons une hybridation naturelle qui permet de rapprocher des mondes différents.
O. R : Vous venez de lancer un nouvel incubateur, IONIS 361. L’hybridation des compétences conduit-elle naturellement à la création d’entreprises ?
F. D : Les étudiants des écoles qui se rencontrent sur nos campus n’ont pas besoin qu’on les y pousse pour travailler ensemble ! Avec ce nouvel incubateur, installé au sein de notre campus créatif et numérique dans le 11e arrondissement de Paris, nous avons officialisé ce qui existait. Il compte déjà 19 entreprises incubées, pour une période de six mois, qui regroupent une soixantaine de postes.
M. S : Cet incubateur a vocation à devenir le premier incubateur national multi-écoles. Il va s’étendre dans les douze villes de France où nous sommes implantés et où tout ce que nous produisons intéresse énormément les entreprises.
O. R : La création d’entreprise est au cœur des ambitions de vos étudiants aujourd’hui ?
F. D : Nous avions déjà des incubateurs proches d’Epita et d’Epitech. 16% des étudiants diplômés de l’Epitech – et même 20% l’année dernière – sont aujourd’hui des créateurs d’entreprise. Ils sont 10% à l’Epita et ces chiffres grimpent dans toutes les écoles. 16% c’est un chiffre qu’aucune autre école ne peut annoncer !
M. D : On pousse partout nos étudiants à créer leur entreprise et le projet de cinquième année sur lequel ils travaillent ressemble tout à fait à un projet de création d’entreprise.
F. D : Ces projets dépassent d’ailleurs nos campus. Les étudiants de l’Epitech ont lancé beaucoup de projets avec des étudiants d’HEC et ont, depuis maintenant quatre ans, une vraie proximité avec ceux d’ESCP Europe.
O. R : Votre projet repose sur une grande proximité avec les entreprises. Comment la faites vous vivre ?
F. D : Il y a une demande très forte des entreprises vers les technologies. Certaines, comme Bouygues, s’installent même sur nos campus – avec un à deux permanents – pour tout simplement retrouver la spontanéité que peuvent leur apporter les jeunes générations si on leur laisse un maximum de libertés. Au-delà des technologies notre maillage interdisciplinaire nous donne une visibilité très importante dans beaucoup d’entreprises.
O. R : Ionis regroupe aussi bien des écoles d’ingénieurs et de management accréditées par la Commission des titres d’ingénieurs (CTI) ou la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) que des écoles « seulement » labellisées par le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Existe-t-il une hiérarchie entre ces groupes d’écoles ?
M. S : Ce sont des différences académiques fondées sur un effort – couteux ! – en recherche pour répondre aux critères de la CTI ou de la CEDG. Un système qui va forcément exploser un jour car le plus important c’est la réussite des étudiants et les entreprises qui les valorisent. Il n’y a absolument pas de honte à avoir des écoles qui n’ont ni le grade de master ni l’accréditation CTI quand on voit comment certaines écoles qui ne les ont pas sont plus performantes que d’autres qui les possèdent. Beaucoup d’étudiants attendent trop des institutions quand nous cherchons des profils qui débordent du système.
F. D : C’est une différence de nature avec des écoles toutes réputées. Certaines de nos écoles forment des ingénieurs quand d’autres reposent sur des projets d’entrepreneuriat et la volonté de devenir experts d’un domaine. Sans temps pour la recherche. L’Epitech ou Etna n’ont pas vocation à devenir des écoles d’ingénieurs mais n’en sont pas moins très réputées.
M. D : Les références évoluent. Quand HEC vient travailler avec Epitech ou ESCP Europe avec e-artsup cela transcende les codes !
O. R : La recherche peut-elle être rentable dans une école d’ingénieurs ?
M. S : C’est impossible et c’est de toute façon très difficile pour des école d’ingénieurs d’atteindre l’excellence de grands laboratoires universitaires. Même les plus réputées des grandes écoles ont du mal à recruter des professeurs internationaux de premier plan. Pour autant nous aimerions créer un jour un pôle de recherche commun à toutes nos écoles.
O. R : On en parle beaucoup en ce moment. Pensez-vous vous développer dans la formation continue dans les années à venir ?
M. S : Les institutions d’enseignement supérieur qui réalisent une partie significative de leur chiffre d’affaires en formation continue se comptent sur les doigts de la main. Pour autant nous y réfléchissons avec le développement de notre plateforme numérique, Ionis X, qui pourrait être optimisée pour être également utilisée en formation continue.
M. D : On compte 205 écoles d’ingénieurs et 37 qui délivrent le grade de master. Combien pouvez-vous en citer renommée en formation continue ?
O. R : IonisX cela consiste en quoi ?
M. S : Avec ses massive online open course (MOOC) et ses SPOC (small private online course), IonisX nous permet d’abord être plus accessible à moindre coût. IonisX rend aussi notre pédagogie transversale, plus seulement destinée à un public étudiant mais aussi ouverte à une démarche « compétences ». IonisX nous permet également de dispenser certains cours magistraux à distance. Dans nos école d’ingénieurs c’est par exemple le cas pour une partie des enseignements de maths et de physique. Dans nos écoles de commerce des étudiants peuvent suivre des cours alors qu’ils sont en stage à l’étranger. Ensuite les professeurs peuvent se concentrer sur des points qui apportent de la plus value lors des face à face avec l’étudiant. En résumé nous entrons dans une autre logique d’enseignement.
M. D : Avec IonisX on voit que la motivation des étudiants monte. Quand on veut répéter six fois la même question, on n’a pas à avoir peur de le faire comme devant une classe. Des forums permettent aux étudiants de se parler et de travailler en groupe. Travailler à distance ce n’est absolument plus travailler seul !
F. D : Là encore on voit bien ce que peut apporter un groupe à des écoles qui ne pourraient pas individuellement développer une telle plateforme !
O. R : Beaucoup d’écoles, notamment de management, souffrent de la baisse des revenus liés à la taxe d’apprentissage et du désengagement des chambres de commerce et d’industrie. Les frais de scolarité y augmentent donc. Qu’en est-il pour vous ?
M. S : Nous n’avons jamais été dépendants de la taxe d’apprentissage mais avons quand même perdu 1 million d’euros au niveau du groupe. Maintenant, nous nous appliquons à ne plus du tout compter dessus. Quant aux frais de scolarité, nous pensons avoir atteint une limite et nous ne nous comparons pas à d’autres pays dans lesquels ils sont plus élevés. Nous sommes en France ! Nous sommes toujours restés très raisonnables sur ce point et entendons bien le rester.
O. R : Si vous deviez caractériser Ionis, que mettriez-vous particulièrement en avant ?
F. D : D’abord notre inventivité pédagogique. En 1999, nous avons été les premiers à créer en France la pédagogie par projet. Avec la Webacadémie la première école gratuite pour les laissés pour compte du système scolaire. Avec la PrepEtna un système dans lequel le payement des frais de scolarité est différé. Nos « project week » font travailler toute une école autour d’un projet pendant un semaine, etc.
O. R : Et sur l’international où en êtes-vous ? Où êtes-vous implantés ?
F. D : L’Esme Sudria organise des échanges en Chine avec la Beijing University of Posts and Telecommunications. Les étudiants de quatrième et cinquième année de l’Epitech peuvent se rendre à la Beijing Jiaotong University. Nous avons des projets aux Etats-Unis comme en Europe.
M. S : Nous recevons également des étudiants étrangers plus ou moins nombreux selon nos écoles. Le BBA international de l’ISG compte ainsi trois nationalités.
F. D : Nous avons même créé un cursus tout en anglais à l’Epita qui reçoit une trentaine d’étudiants étrangers chaque année. Cela grandit doucement sachant que c’est un gros investissement pour des étudiants internationaux qui se rendent plus volontiers aux Etats-Unis qu’en Europe.
O. R : Marc Sellam, vous avez créé Ionis il y a 35 ans, qu’est-ce que c’est qu’être un entrepreneur dans le monde de l’éducation ?
M. S : Nous sommes un entreprise d’éducation. Ce qui signifie que nous devons la qualité à nos étudiants pour permettre leur accession rapide au marché de l’emploi. Faire travailler des écoles entre elles était naturel pour nous dès le départ.
F. D : Il y a deux paradigmes qui s’opposent. Celui de l’éducation nationale qui va dire « dans l’enseignement privé ils ont forcément besoin de gagner de l’argent et donc la qualité va en être affectée ». Nous avons le le paradigme inverse qui est que si nous ne sommes pas à la hauteur, nous subissons une sanction immédiate. Nous sommes obligés d’amener nos étudiants à la réussite ! La sanction est beaucoup plus sévère pour nous qui avons une obligation de résultat.
O. R : Mais vos écoles peuvent-elles prétendre au statut d’EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) ?
Marc Sellam : Nous ne nous sentons pas exclues de ce statut qui est justement destiné à des écoles privées. Quand on forme 24 000 étudiants par an on est en droit d’avoir un minimum de reconnaissance.
M. D : Des écoles privées détenues par un groupe indépendant. Pas par un fonds de pension. Un groupe qui appartient à ses créateurs, professionnels de l’éducation et passionnés de leur domaine.
M. S : Un groupe qui se développe constamment. Cette année nous avons ouvert et équipés 30 000 m2 de nouveaux locaux – en location – et l’année prochaine ce seront encore 20 000 m2 nouveaux qui seront ouverts. Mais notre obsession reste d’apporter au monde de l’éducation une modernité, une efficacité, un sens de l’innovation. C’est la clé de voute de nos réussites futures.