Après avoir dirigé l’EM Lyon de 1996 à 2012 Patrick Molle est aujourd’hui à la tête de la plus ambitieuse des fusions entre les écoles de commerce françaises : France Business School, qui regroupe les ESC Amiens, Brest et Clermont-Ferrand ainsi que l’ESCEM Tours-Poitiers. Il revient sur un processus compliqué qui devrait aboutir le 1er janvier 2013.
Olivier Rollot : On l’a vu avec Skema ou Kedge, on le voit aujourd’hui avec FBS, ce n’est pas facile de rapprocher des écoles de commerce. Pourquoi ?
Patrick Molle : C’est un long processus car il faut harmoniser quantité de procédures, de systèmes d’information, de pratiques en ressources humaines et financières, sur des campus de tailles différentes. Pour autant nos principes fondateurs sont clairs et s’apparentent à ceux des groupements de magasins indépendants de type Leclerc: nos écoles resteront autonomes sur leur campus tout en travaillant dans le cadre d’un projet commun. Pour bien symboliser ce système chacun des directeurs de campus aura également en charge des fonctions transversales au niveau national. Quant au siège parisien, il n’occupera que quelques bureaux. Le 1er janvier 2013 tous les personnels seront dans la même structure.
O.R : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs initiaux de FBS ?
P. M : Les fondateurs considéraient que les écoles étaient séparément trop petites pour obtenir les accréditations et être bien classées. De plus les coûts d’exploitation des établissements avaient beaucoup augmenté avec une nouvelle politique de recrutement des enseignants fondée sur la capacité à produire de la recherche. Il nous fallait donc atteindre une masse critique nous permettant de nous mettre au diapason des nouvelles organisations. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi déconstruire l’existant pour proposer un projet éducatif original et utile à la société.
O.R : L’importance croissante donnée à la recherche que vous évoquez n’est-elle pas en train d’aller trop loin dans les écoles de commerce ?
P. M : Un peu comme des moutons de Panurge nous suivons des modes, généralement anglo-saxonnes. C’est comme cela que nous en sommes arrivés à une « financiarisation » de l’économie, un culte du court terme qui conduit au stress dans toutes les organisations. La « scientifisation » de la recherche en gestion est une autre de ces modes. Je m’explique. Historiquement l’économie était considérée comme une matière noble et la gestion comme relevant des « épiciers ». On a donc voulu lui donner ses lettres de noblesse mais on a confondu art et science. La gestion est un art et nous avons voulu lui adapter des systèmes qui s’apparentent aux sciences dures. Résultat : nous créons de la recherche beaucoup trop académique et les entreprises se tournent plutôt vers les cabinets de conseil pour conceptualiser leurs pratiques. Le problème c’est qu’ils revendent des méthodes toutes faites. Au total on laisse le modèle se reproduire Avec mes collègues professeurs de FBS, nous sommes pour le développement de la recherche mais davantage au service de l’entreprise et transférable dans les cours.
O.R : Mais il faut prouver un bon niveau de recherche pour obtenir les accréditations ?
P. M : Depuis qu’HEC s’est proclamée « première business school possédant les trois accréditations » (AACSB, Equis, AMBA), tout le monde veut les posséder. À quoi cela sert-il de posséder deux ou accréditations ? Demain il faudra sans doute en obtenir une chinoise. On oblige donc toutes les écoles à passer sous les fourches caudines d’un système qui ne leur correspond pas toujours. Notamment sur la recherche. Avec des effets dévastateurs. Tant en termes de coût – on en a parlé, ces enseignants chercheurs coûtent cher -, que de pédagogie : on enlève des heures de cours aux enseignants pour qu’ils se consacrent à la recherche et ils s’éloignent des étudiants. Mais, ne pas suivre le mouvement, c’est risquer de perdre son accréditation. Avec des conséquences difficiles en termes de recrutement des élèves. Cela a été le cas pour l’Escem qui a perdu son accréditation Equis il y a quelques années. Cette année, une autre grande école leader française a vu cette même accréditation Equis n’être renouvelée que pour 3 ans au lieu des 5 attendus.
O.R : Vous critiquez également beaucoup les classements.
P. M : Tous les classements produits dans le monde sont inspirés des « rankings » des MBA : un petit noyau de diplômés qui va dans un petit noyau d’entreprises. Un système qui se reproduit à l’infini. Résultat : certains parents craignent que leur enfant entre seulement dans la vingtième d’un classement. Mais toutes les écoles françaises font un excellent travail et n’ont rien à envier aux universités américaines car elles offrent toutes une vision internationale et ont une vraie orientation professionnelle. Nous devons retrouver de la créativité alors qu’avec les classements les leaders imposent leurs méthodes et tapent sur les doigts de ceux qui veulent sortir du droit chemin.
O.R : Justement, vos nouvelles méthodes de recrutement des élèves font grincer bien des dents. Vous êtes même sortis du système Sigem qui concentre les admissions des élèves issus de classes préparatoires.
P. M : Nous souhaitons effectivement recruter nos élèves en fonction de critères de personnalité, validant leur niveau intellectuel à travers les premiers diplômes obtenus par ceux-ci. Or aujourd’hui, dans la plupart des écoles, au-delà des cinq meilleures, les oraux deviennent quasi accessoires : un candidat qui a passé la barre des écrits est pratiquement certain d’être accepté. Les oraux sont plutôt une occasion pour les écoles de se montrer sur leur meilleur jour que de sélectionner leurs élèves. Si le Sigem est d’accord pour trouver des modalités qui nous permettent de conserver nos modalités de concours je suis ouvert à l’idée d’y entrer.
O.R : Vous n’avez pas peur que les autres écoles vous accusent de pratiquer une concurrence déloyale ?
P. M : Le système Sigem a initialement été mis en place pour empêcher certaines écoles d’aller recruter des élèves dans d’autres qui les auraient déjà acceptés. FBS est une grande école responsable et je me suis personnellement engagé devant mes confrères à ne pas débaucher d’étudiants qui auraient déjà fait des choix dans le cadre de Sigem. Et puisqu’on parle du Sigem, je rappellerai que cette année près de 900 élèves reçus dans les écoles, sur un peu plus de 7000, ont préféré décliner toute offre pour cuber ou s’inscrire ailleurs. C’est sans doute là un des effets de la crise : on ne peut plus comme avant partir loin de chez soi.
O.R : Alors que le vivier des prépas semble se restreindre, les écoles ont pris le pli de recrutement largement des étudiants déjà diplômés par le biais des admissions sur titre. Qu’en pensez-vous ?
P. M : Ce n’est pas avec les seules prépas qu’on fait aujourd’hui une école. Les admissions sur titre nous permettent d’attirer une plus grande variété de profils. Dans les années à venir la montée en puissance du bachelor va encore plus restructurer le marché. Avec ses prépas, la France était le seul pays à ne pas respecter le système bachelor/master/doctorat. Avec le bachelor, les étudiants se voient proposer un programme diplômant. Pourquoi aller en prépa alors que toutes les écoles – à l’exception d’HEC, l’ESCP-Europe et l’EM Lyon -, proposent des programmes bachelor ? Voilà bien la question que se posent de plus en plus d’étudiants. Avec les proviseurs et professeurs de classes prépa, nous devons intégrer ce phénomène de redonner un nouveau sens aux classes préparatoires.
O.R : Vous dites pafois que « transmettre le savoir n’est pas le métier principal de l’enseignant ». Que voulez-vous affirmer par là ?
P. M : Le métier principal d’un enseignant c’est de développer des personnes. Il faut prendre du recul sur la connaissance. Si c’était notre seul métier le e-learning suffirait. On peut être pétri de connaissances et être un piètre manager. En médecine, on met vite en pratique les connaissances qu’on a acquises. Un enseignant doit savoir développer des savoir-être sur le modèle du compagnonnage. Il faut être capable de prendre de la hauteur pour former des êtres responsables. Être un coach, un mentor, un vrai éducateur.
O.R : Pour en revenir à la fusion, avez-vous une idée de son coût ? On parle de 4 millions d’euros pour réaliser la fusion du Ceram et de l’ESC Lille dans Skema.
P. M : Nous devrions d’abord faire des économies sur les contrats de prestataire que j’estime de 1 million d’euros en année pleine. Ensuite il y effectivement des coûts d’investissement, notamment parce que travailler en multi-campus demande la mise en œuvre de dispositifs de visioconférence qui seront en place début février. Cela permettra entre autres de réunir chaque semaine les directeurs de campus pour avancer sur les différents groupes projets.
O.R : Vous évoquez le 1er janvier pour la fusion des équipes, quelles sont vos autres échéances ?
P. M : Nous nous étions donnés quatre mois pour cette première étape depuis la rentrée. Notre deuxième grande échéance est la rentrée des nouveaux étudiants en septembre 2013. Ensuite nous nous donnons trois ans pour mettre en place les nouvelles politiques, changer tous les programmes et nous développer à l’international avec la création de campus à l’étranger. Il nous faudra cinq ans pour avoir les premiers retours et, au bout de dix ans, FBS sera un acteur pleinement reconnu. Nous sommes dans un métier où les efforts prennent du temps à démontrer leurs effets.
O.R : Le périmètre de FBS est-il figé ou peut-il encore évoluer ?
P. M : Notre nom, France Business School, résume bien notre ambition : être présent dans toute la France. Il nous manque encore aujourd’hui l’Est et le Sud. C’est donc à peu près certain que d’autres écoles viendront se joindre à nous. Mais il faut qu’elles fassent vite sinon les portes seront fermées pendant 3 ans. L’ESC Pau, qui devait être membre de FBS et nous a quittés, s’en mord aujourd’hui les doigts, ai-je cru comprendre.
O.R : Les différences de reconnaissance (Equis, AACSB) ou de place dans les classements entre les quatre écoles de FBS ne posent-elles pas de problèmes, notamment pour les futurs étudiants ?
P. M : Effectivement les étudiants choisissent trop souvent en fonction de classements et les écoles, elles, finissent par toutes se ressembler pour être bien placées. Les accréditations produisent un peu le même effet. Mais dans les faits il n’y a pas tant de différences que cela entre « petites » et les « grandes » : dans une petite école le corps professoral est concentré sur les grandes disciplines mais cela ne signifie en rien que les enseignants ne sont pas de bon niveau. L’avantage des grandes est seulement de posséder un corps professoral plus étendu et donc de pouvoir couvrir l’ensemble des disciplines plus élargies. La fusion nous permettra de faire travailler ces enseignants plus « pointus » sur tous les campus.
O.R : Pensez-vous aussi à spécialiser les campus en fonction de leurs points forts ?
P. M : Il y a effectivement des personnalités fortes sur chaque campus, des histoires, des territoires différents et il faut effectivement s’appuyer sur ces particularités pour les développer. Ma prise de fonction a commencé par une sorte de « tour d’étonnement » qui m’a permis de prendre conscience des pépites qui existaient dans chaque école. Notamment dans les bachelors. Maintenant il faut les faire remonter au niveau de FBS.
Propos recueillis par Olivier Rollot (@O_Rollot)
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