C’est un exercice obligé : avant les élections présidentielles toutes les institutions représentatives de l’enseignement supérieur français se doivent de faire leurs propositions aux candidats. La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi) avait fait les siennes en premier, suivie par la Conférence des Grandes écoles (CGE), c’est la semaine dernière la Conférence des présidents d’université (CPU) qui a fermé le bal. Voici en substance ce qu’elles demandent sur quelques points clé concernant l’enseignement supérieur.
Le modèle français
C’est la première proposition de la CPU et ce n’est pas par hasard si la Conférence demande que soit reconnu un « modèle français d’organisation » dans lequel « l’enseignement supérieur et la recherche sont un bien public et doivent être financés majoritairement et de façon pérenne par l’État ». On voit bien là combien certaines composantes universitaires – essentiellement en lettres et sciences humaines -, à la fois essentielles à l’université et peu à même d’obtenir des financements privés, ont craint ces dernières années un désengagement de l’État dans le cadre de la LRU.
De la même façon, la Cdefi estime que « le modèle « à la française » avec une habilitation par la Commission des Titres d’Ingénieurs (CTI) – malgré toutes les idées reçues dont on l’affuble – est un succès » et d’insister : « Tous les ans, des pays étrangers émergents nous demandent d’implanter nos formations sur leur sol ou de les accompagner dans la création de leurs propres formations d’ingénieurs ». Mais elle se distingue totalement de la CPU en prônant l’émergence de 3 à 5 grands établissements technologiques en France sur le modèle d’établissements analogues existant chez nos principaux partenaires étrangers (TU en Allemagne, Universités TECH aux Etats-Unis…).
Le financement de l’enseignement supérieur
La CGE demande que les dépenses de l’enseignement supérieur et la recherche augmenter d’un point de PIB. Soit 20 milliards d’euros à « répartir entre familles, entreprises et État ». La CGE insiste également pour que l’État reconnaisse « la mission de service public de l’enseignement supérieur associatif et consulaire » et « participe à son financement » arguant que ce système forme 120 000 étudiants et fait économiser chaque année 1 milliard d’euros à l’État. Alors que selon elle 5 milliards d’euros ont été donnés à l’enseignement supérieur public, elle demande que les 6% d’étudiants formés par ces établissements reçoivent 6% de ces 5 milliards soit 300 millions d’euros.
« Le niveau de financement actuel des universités, malgré l’effort réel de ces dernières années, demeure insuffisant au regard des comparaisons avec les pays de l’OCDE. » On ne saurait être plus clair selon une CPU qui demande que l’effort soit maintenu pour le supérieur et insiste pour que « l’équité sociale de la dépense publique d’enseignement supérieur soit un objectif majeur du financement de l’enseignement supérieur ». Traduisez : donner autant de moyens à tous les étudiants et combler le retard des universités sur les grandes écoles et les prépas en ma matière.
Enfin, la Cdefi demande le doublement de « la dépense annuelle moyenne de formation par étudiant pour ramener la situation française à la moyenne de nos principaux partenaires étrangers ». Elle demande également que 20% du Crédit d’impôt-recherche (CIR) rendu aux entreprises soit consacré au financement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. 20% que les entreprises seront libres de « reverser aux établissements de leur choix ».
Les bourses d’études et aides aux étudiants
En proposant de « transformer la demi-part fiscale, anti-redistributive, en crédit d’impôt formation supérieure (CIF) », la CPU s’engage clairement du côté des propositions – controversées ! – de l’économiste Thomas Piketty et à rebours de l’actuelle majorité présidentielle. La CPU explique ainsi que « pour les étudiants diplômés, il pourrait être associé au remboursement de prêts indexés sur les revenus imposables ultérieurs, donc équitable fiscalement ». En clair c’est la fin de l’université gratuite pour tous et, sur le modèle de Sciences Po Paris, plus de moyens pour les universités. Des propositions rejetées aujourd’hui par quasiment 100% des candidats. Enfin, la CPU propose d’ « augmenter très fortement les aides sociales aux étudiants, et de les étendre à 50% d’entre eux ».
En contrepartie de cette mise à niveau des frais de scolarité, la Cdefi demande que les établissements d’enseignement supérieur puissent se porter garants du financement des études de certains de leurs étudiants, en « leur accordant directement des prêts à taux zéro remboursables dans les premières années de la vie active ». Le remboursement de ce prêt par le diplômé donnerait droit à un crédit d’impôt sous réserve qu’il « travaille en France pendant 5 ans ».
La CGE demande elle à que soient « complétés les dispositifs actuels de financement des études » avec la « mise en place de prêts d’honneur » ou de « cautions aux prêts apportés par les écoles ».
L’ouverture sociale
Souvent critiquée sur le sujet, c’est la CGE qui est la plus en pointe avec toute une gamme de propositions visant à « amplifier la diversification des filières d’accès aux grandes écoles pour y attirer des profils divers, notamment en termes d’ origine sociale », à « rattraper les écarts scolaires entre le niveau à la sortie du bac et les attendus des grandes écoles » et à « adapter les modalités des concours d’entrée pour diversifier les connaissances évaluées et tester des compétences et des potentiels ».
L’augmentation des frais de scolarité
La nécessité d’augmenter la contribution des étudiants au financement de l’enseignement supérieur fait consensus chez ses acteurs. La CGE demande que les frais moyens de scolarité annuels grimpent à 3000 euros par an, soit un total « d’un mois de salaire par années d’études supérieures abouties ». Un montant en hausse mais à « payer après ses études » sur 5 ans.
La Cdefi insiste sur la « possibilité de moduler de façon modérée les droits d’inscription de l’ensemble des formations de l’Enseignement supérieur français, en tenant compte de la situation sociale de chaque étudiant ». Une hausse qui « devra s’accompagner d’une série de mesures complémentaires parmi lesquelles l’augmentation de la contribution des entreprises au financement des établissements ». La Cdefi propose ainsi de « créer un dispositif nouveau de financement de la formation d’un étudiant par une entreprise ». En contrepartie « l’étudiant s’engagera à travailler au sein de l’entreprise pendant un nombre d’années données après l’obtention de son diplôme ».
Si l’autonomie reste une priorité, la CPU ne tient elle pas du tout à qu’elle aille jusqu’à la fixation de droits d’inscription et demande que les droits d’inscription aux diplômes nationaux soient fixés nationalement, la notion de « diplômes nationaux » laissant quand même une part d’autonomie.
La sélection
Là encore la CPU réaffirme les valeurs en cours en estimant que « l’absence de sélection à l’entrée à l’université est le corollaire de l’objectif de démocratisation, de justice sociale et d’élévation du niveau de qualification supérieure de notre population ». Pour y parvenir les universités doivent selon elle organiser des « parcours adaptés à leur diversité, associés à des outils d’orientation effectifs ».
La Cdefi se veut aussi ouverte en proposant de « renforcer la sélection par un système d’orientation active permettant une régulation des flux à l’entrée de l’ensemble des formations de niveau L, M et D de l’Enseignement supérieur français ». Et elle précise qu’il « ne s’agit pas ici d’exclure mais de réguler les flux à l’entrée de l’enseignement supérieur par un solide système d’orientation active basée sur une interface unique permettant à chaque lycéen, fonction de son classement et de ses aspirations de postuler à l’entrée des formations de son choix ».
La CGE va encore plus loin en demandant que l’université autonome ait « le droit de choisir ses étudiants ».
Le rapprochement universités / grandes écoles
S’estimant les grandes oubliées des réformes engagées ces dernières années dans l’enseignement supérieur, les écoles d’ingénieurs, par l’entremise de la Cdefi, revendiquent que les changements nécessaires ne se fassent plus « en se concentrant uniquement sur une catégorie d’établissements au détriment d’une autre ». Et d’insister : « Un investissement spécifique était nécessaire pour les universités. Nous l’avons admis et nous l’avons soutenu. Les politiques à conduire désormais imposent que l’ensemble des acteurs de ce secteur soient concernés et s’impliquent, chacun amenant sa spécificité et ses atouts ». Ce qui suppose de rompre avec la « tradition française de cristallisation des oppositions entre écoles et universités ». Selon la Cdefi, « ces vieilles querelles sont aujourd’hui largement dépassées ne serait-ce que parce que 56 écoles d’ingénieurs sont internes aux universités ». Surtout la Cdefi estime que « la richesse de notre système réside au contraire dans son pluralisme ».
La CPU insiste elle sur le fait qu’il faille « poursuivre le rapprochement entre universités, écoles et organismes de recherche » tout en restant pragmatique et en affirmant que « cette démarche dont le cadre juridique et les modalités ne sont pas figés, dépend de chaque contexte ».
La recherche
Thème éminemment conflictuel entre universités et grands organismes, la recherche est au centre des propositions de la Cdefi quand elle demande que les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche soient les « opérateurs majeurs de la recherche en France, les organismes nationaux de recherche étant le lieu d’élaboration des grandes orientations stratégiques ». De quoi ravir le Cnrs !
La CPU est plus prudente puisqu’elle considère elle que « les organismes nationaux de recherche ont un rôle essentiel à jouer, non seulement de pilotage scientifique national, mais aussi d’appui déterminant à l’activité de recherche qui se conduit principalement avec les établissements universitaires ». Et de conclure : « Ceux-ci ont besoin d’organismes de recherche forts, dont ils sont les partenaires ».
L’alternance
La CPU entend bien que les universités soient présentes dans le mouvement de développement de l’alternance dans l’enseignement supérieur. La Cdefidemande elle un rehaussement du minimum contributif des entreprises au financement de l’apprentissage en le passant de 1600 à 3000€ par apprenti ». Elle demande également l’ouverture d’états-généraux de l’apprentissage.
Les étudiants étrangers
La « circulaire Guéant » visant à compliquer la tâche des étudiants étrangers qui souhaitaient rester travailler en France après leur cursus a eu des effets dévastateurs sur l’image de la France dans le monde. La CPU demande donc que soit adoptée une « grande loi sur les conditions d’accueil, de séjour et de première insertion professionnelle des étudiants internationaux ». La Cdefi n’est pas en reste quand elle demande la garantie pour « tout diplômé étranger issu d’une filière sélective de l’Enseignement supérieur français à niveau M et D, la possibilité de pouvoir travailler en France aux termes de ses études s’il peut justifier d’une promesse d’embauche conforme à sa qualification ». La nuance étant dans le terme « filière sélective » qui exclurait donc les étudiants entrés en licence universitaire ?
Mais c’est certainement la CGE qui est le plus en pointe sur le sujet en reprenant sa proposition d’accueillir « chaque année 50 000 jeunes étrangers de plus pendant 10 ans ». Ce qui porterait le nombre total d’étudiants étrangers en France à 750 000 dont 350 000 avec des scolarités gratuites et les autres « contribuant à hauteur de 125% du coût des formations ».
Olivier Rollot