Touchés, pas coulés. Face à la crise et à la pandémie les jeunes diplômés n’ont pas modifié leurs aspirations professionnelles et sont même « de plus en plus exigeants en matière d’engagement des acteurs économiques et en quête de sens à l’échelle individuelle » selon le troisième baromètre « Les talents, ce qu’ils attendent de leur emploi » réalisé par le BCG, la Conférence des grandes écoles et IPSOS auprès de plus de 2 000 étudiants et diplômés des grandes écoles aux mois de mars et avril 2021.
Si les Grandes écoles constatent aujourd’hui avec soulagement que leurs diplômés ont pu se placer, la crise sanitaire et économique n’en a pas moins fait chuter le taux d’emploi de l’ensemble des jeunes diplômés, et dégradé la qualité de ces emplois selon le Baromètre 2021 de l’insertion des jeunes diplômés que publie l’Apec. Comme l’explique l’étude, les « diplômés bac+5 et plus de la promotion 2019 ont été amenés à faire des concessions pour décrocher un poste, des concessions que les jeunes sans emploi s’attendent eux aussi à devoir faire ».
Moins d’emplois et de moindre qualité. Seuls 69 % des diplômés bac +5 et plus de la promotion 2019 sont en emploi 12 mois après l’obtention de leur diplôme. La dégradation de l’accès à l’emploi s’accompagne d’une détérioration des conditions d’emploi. Sur un marché de l’emploi peu porteur, les jeunes diplômés ont fait le choix, pour être en poste, d’accepter des conditions qui n’étaient pas toujours conformes à leurs attentes.
La proportion des jeunes en CDI diminue de 10 points (59%) après deux années de stabilité. Davantage de contrats précaires ont été proposés par les entreprises. La part des jeunes titulaires d’un contrat à durée déterminée s’élève à 37%, soit une hausse de 12 points par rapport à la précédente promotion et le niveau le plus élevé depuis cinq ans. Pour autant, la proportion de cadres reste identique à celle de la promotion précédente, soit 57 % des jeunes en emploi. Il n’en va pas de même pour les salaires : la rémunération brute annuelle médiane s’élève à 31 000 €, contre 32 000 l’année précédente soit une baisse de 3%.
Afin d’accéder à un emploi, les jeunes diplômés de 2019 ont également fait preuve d’une plus grande flexibilité quant à certains aspects du poste. Au global, sur l’ensemble des critères, l’adéquation de l’emploi occupé par rapport aux souhaits est en recul : 26 % des jeunes en emploi déclarent occuper un poste qui ne correspond pas à leur niveau de qualification (contre 18 % pour la promotion précédente) et 19 % un emploi qui ne correspond pas à leur discipline de formation (contre 15 %). La proportion de celles et ceux qui qualifient leur emploi de job alimentaire diminue légèrement (-2 points) ; quoi qu’il en soit, cette part demeure non négligeable (18 %).
Les diplômés de 2019 en recherche d’emploi se disent particulièrement pessimistes et apparaissent prêts à davantage de concessions pour trouver un emploi que celles et ceux des promotions précédentes. En particulier, 83 % sont prêts à accepter un contrat qui ne soit pas un CDI (+6 points). Ils sont aussi 7 sur 10 à envisager d’accepter un salaire inférieur à celui envisagé. Enfin, le fait d’occuper un emploi qui ne correspondrait pas à leur niveau de diplôme, évoquant le concept de déclassement social, progresse dans les esprits : plus de la moitié des jeunes en recherche se disent prêts à l’accepter, soit une progression de 10 points par rapport à la promotion précédente.
Quelles disciplines s’en sortent le mieux ? Toujours selon l’enquête de l’Apec, les jeunes diplômés de 2019 en sciences technologiques (ST) sont les mieux insérés : 70 % sont en emploi 6 mois après l’obtention de leur diplôme, et 78 % 12 mois après (61 % sont toujours dans leur premier emploi à cette échéance) . Pour ces deux indicateurs, les taux d’emploi des diplomés en sciences humaines et sociales (SHS) et en droit-économie-gestion (DEG) suivent la tendance générale. En revanche, les jeunes issus de la filière lettres-langues-arts (LLA) s’en sortent moins bien que leurs homologues : à 6 mois, seulement 53 % sont en emploi et à 12 mois, à peine 6 diplômés sur 10 sont insérés.
Si, dans toutes les disciplines, les taux d’emploi à 6 mois et à 12 mois des jeunes diplômés 2019 marquent un recul par rapport à la promotion précédente, elles n’ont pas été touchées au même degré. Les baisses ont été relativement moins fortes en ST (-6 points pour le taux à 6 mois et -13 points pour celui à 12 mois) et en SHS (respectivement -10 points et -12 points).
Les lettres, langues et arts (LLA) est celle où les taux d’emploi ont le plus régressé : -20 points pour celui à 6 mois et -26 points pour celui à 12 mois. Alors que pour la vague précédente, cette filière connaissait une insertion similaire aux disciplines DEG et SHS, ce sont les jeunes diplômés qui ont le plus pâti de la crise.
La pandémie : une « déflagration » pour les étudiants. Selon l’étude de la Conférence des Grandes écoles (CGE), du BCG et d’Ipsos la crise du coronavirus a été vécue comme un « véritable choc » par les étudiants des Grandes écoles qui « éprouvent inquiétudes et difficultés à se projeter vers l’avenir ». Près de deux tiers d’entre eux ont eu le sentiment de décrocher pendant leur année d’étude (63%) et estiment qu’ils vont devoir faire des concessions pour leur premier emploi par rapport à ce qu’ils avaient envisagé avant la Covid19 (63%). Plus encore, une majorité des étudiants se dit peu confiante envers l’avenir (54%) et 18% ont renoncé à leur projet professionnel et ne savent plus quoi faire vis-à-vis de leur futur.
Au-delà de l’impact de la pandémie sur leur trajectoire professionnelle, la plupart des étudiants a eu l’impression d’avoir été sacrifiée : 83% d’entre eux jugent que la qualité de leur formation a été affectée, 79% pensent avoir été privés de leurs plus belles années et 71% ont le sentiment d’appartenir à une génération sacrifiée au nom de la sécurité sanitaire. « A court terme, la crise a profondément marqué les étudiants des grandes écoles qui ont souffert à bien des égards de cette situation inédite. A long terme, nul ne peut prédire comment le sentiment largement éprouvé d’injustice va se traduire. Les entreprises et les managers devront sans aucun doute redoubler d’attention pour intégrer au mieux cette prochaine génération d’actifs », constate Jean-Michel Caye, directeur associé senior au BCG.
Les attentes des jeunes restent les mêmes. En dépit de la pandémie, les aspirations professionnelles des jeunes talents n’ont pas changé en profondeur. L’intérêt du poste, l’ambiance au sein de l’entreprise et le fait qu’elle se trouve en phase avec leurs valeurs demeurent les critères de choix essentiels, loin devant la rémunération (qui arrive en 11ème position), ou la possibilité de télétravailler (19ème position).
Peut-être encore plus en période de crise, les grands groupes demeurent le choix numéro un des étudiants et des diplômés et leur attractivité augmente même auprès des jeunes actifs : 51% des étudiants et 50% des diplômés souhaitent rejoindre un grand groupe. A l’inverse l’intérêt pour les startups recule avec seulement 14% des étudiants et des diplômés des grandes écoles qui aimeraient travailler dans cet univers.
La hiérarchie des secteurs privilégiés a peu évolué également en comparaison des précédentes éditions du baromètre : l’environnement est toujours largement en tête avec 71% des étudiants et 81% des diplômés intéressés d’y travailler, suivi par le secteur des énergies, du conseil et de l’humanitaire. Un podium cohérent avec la réponse arrivant en tête lorsqu’on leur demande ce qui les rendrait fiers au cours de leur vie professionnelle : « Avoir été utile, avoir apporté des changements positifs à la société ».
Une quête de sens qui se retrouve dans l’arbitrage fait entre sécurité de l’emploi et engagement : à rémunération égale, 63% des étudiants privilégieraient un emploi plus précaire mais porteur de sens plutôt qu’un emploi stable mais plus éloigné de leurs valeurs. Les jeunes actifs, eux, seraient prêts à réduire leur salaire de 12% en moyenne pour aller travailler dans une entreprise davantage en accord avec leurs convictions sociales et environnementales.
Au-delà de la question des engagements de l’entreprise, les jeunes talent aspirent surtout à être utile dans leur métier au quotidien. A la question « Qu’est-ce qui est plus important pour vous lorsqu’on vous parle de sens au travail en entreprise ? », le fait d’avoir une visibilité sur l’intérêt de ses tâches et en quoi elles participent à Ia performance de l’entreprise arrive en première place. Comment l’assure Laurent Champaney, vice-président de la Conférence des grandes écoles et directeur des Arts et Métiers : « Il n’est pas question de se retrouver à faire « un job vide de sens ». Les jeunes regardent évidemment l’engagement des entreprises et leur sincérité mais regardent aussi, et surtout l’utilité de leurs missions et leur apport au sein de l’entreprise ».
- Méthodologie de l’enquête l’Apec. Cette 5ème vague du baromètre Apec de l’insertion des jeunes diplômés repose sur l’interrogation de 1 000 jeunes diplômés de niveau Bac +5 ou plus et de 500 jeunes diplômés de niveau Bac +3/4, âgés de 20 à 30 ans au moment de l’enquête, ayant obtenu leur diplôme en 2019 et résidant en France métropolitaine. Seuls les diplômés ayant terminé leurs études supérieures et étant soit en emploi, soit en recherche d’emploi 12 mois après l’obtention de leur diplôme, étaient éligibles pour l’interrogation. Le terrain en ligne a été mené entre le 18 janvier et le 16 février 2021 par l’institut Potloc, le recrutement des répondants ayant été mené sur les réseaux sociaux.
- Méthodologie de l’enquête de la CGE et du BCG. L’étude a été menée auprès de 1 349 étudiants et 906 anciens élèves issus de 138 écoles. Cette enquête est une consultation, cela signifie qu’elle s’adresse à tous les répondants volontaires, permettant de récolter un maximum de réponses auprès d’une population. Elle n’a cependant pas une vocation de représentativité de la population interrogée. La consultation s’est faite du 17 mars au 22 avril 2021.