Alors que le programme Erasmus fête ses 30 ans, Campus France jette un froid en s’interrogeant sur une certaine perte de compétitivité de la France dans le monde (lire son rapport 2017). Selon un rapport sur la Mobilité des étudiants internationaux que vient de publier l’Unesco, alors que la mobilité étudiante mondiale a progressé de 23% entre 2009 et 2014, la part de la France a en effet progressé deux fois moins rapidement (+11,2%). Résultat, elle recule d’une place et se place à la quatrième place des pays d’accueil des étudiants en mobilité (et premier non anglophone) derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et maintenant l’Australie sur un « marché » qui compte aujourd’hui 4,3 millions d’étudiants en mobilité, soit une progression de 72% en dix ans.
Les chiffres de la France. Si la France continue à attirer chaque année un peu plus d’étudiants étrangers (310 000 en 2015 soit 12% des effectifs), les inscriptions de doctorants internationaux ont par exemple diminué de 4,4% depuis 2011. La croissance du nombre d’étudiants étrangers se fait aujourd’hui essentiellement dans les grandes écoles (+ 27% en 5 ans) alors que les effectifs restent stables à l’université (+3%). La première zone d’origine des étudiants étrangers en mobilité en France est l’Afrique du nord (23%), suivie de l’Afrique subsaharienne (20%). Le Maroc, la Chine et l’Algérie restent les trois premiers pays d’origine. En Afrique, la France voit son attractivité diminuer tout en restant le premier pays de destination des étudiants. En Europe, la France se situe au 4ème rang des pays d’accueil mais au deuxième rang de la mobilité des étudiants Erasmus (un peu moins de 25 000 étudiants reçus en 2014) derrière l’Espagne (plus de 26 000).
A l’étranger, 70% des diplômes délivrés par les établissements français le sont au niveau master et second cycle alors que les autres pays privilégient davantage le niveau bachelor (80% des diplômes en Allemagne par exemple). Autre constat : les établissements français mobilisent très peu la formation à distance dans le cadre de leur internationalisation : 44% des étudiants suivant une formation britannique à l’étranger le faisaient en ligne en 2014. Dans ce cadre les universités sont les plus présentes avec 10 000 étudiants à l’étranger, devant les écoles d’ingénieurs (7000 étudiants) et les écoles de management (3000 étudiants à l’étranger). Une université sur deux délocalise une partie de son offre de formation à l’étranger avec une nette prééminence des instituts d’administration des entreprises (IAE) qui représentent 25% de l’offre délocalisée des universités.
Que font les autres pays ? Quand la France progresse de 11,2% ces cinq dernières années, ses concurrents directs enregistrent pour la plupart des hausses plus rapides, notamment les pays anglo-saxons : avec +75% de hausse en 5 ans, le Canada devient ainsi le 7ème pays d’accueil quand les Etats-Unis (+27%) et le Royaume-Uni (+16%) confortent leur place en tête des destinations. D’autres pays en partie francophones comme la Belgique (+64%) ou la Suisse (+42%) se distinguent par leur dynamisme alors que la Russie devient le 5ème pays d’accueil (devant l’Allemagne et le Japon), avec 65 % de croissance, la Chine le 9ème (près de 80 % de croissance). Mais c’est l’Arabie Saoudite qui enregistre la plus forte croissance sur 5 ans (+260% !) : grâce à sa politique de bourses d’études islamiques, elle passe du 27ème au 11ème rang mondial.
Russie, Chine, Arabie Saoudite et Turquie (+ 120% d’étudiants internationaux accueillis en 5 ans) ont donc choisi de cibler la formation d’étudiants étrangers dans le cadre d’une nouvelle stratégie d’influence, sur une zone géographique ou un groupe de populations. L’Arabie saoudite fait une entrée en force sur le continent africain en attirant les étudiants avec ses bourses islamiques : les 33 727 étudiants africains accueillis en 2014 contre 2447 en 2009 représentent 50% de la mobilité entrante dans le pays contre 19% auparavant. De son côté la Russie porte l’essentiel de ses efforts sur les membres de la CEI (communauté des Etats indépendants), l’ex-URSS. Si la Chine ne diffuse aucune information sur la provenance de ses étudiants, « la mobilité africaine vers ce pays serait en augmentation, dans la suite logique du développement des instituts Confucius en Afrique destinés à développer l’apprentissage du chinois, et de l’implantation économique du pays sur ce continent (achat de terres agricoles, de mines, investissements industriels…) » analysent les experts de Campus France. Enfin, la très forte augmentation de la mobilité entrante en Turquie repose essentiellement sur des étudiants d’Asie centrale et du Moyen-Orient.
Qu’apportent les étudiants internationaux ? Uniquement en droits de scolarité, les quelques 435 000 étudiants internationaux que reçoit chaque année le Royaume-Uni contribuent pour plus de 12,5 milliards d’euros à l’économie britannique (plus 5,7 milliards de dépenses diverses). Dans son étude parue en 2014 sur L’apport économique des étudiants étrangers en France, Campus France estime de son côté à 4,6 milliards d’euros l’apport des étudiants internationaux à l’économie française. Une simple division permet d’apprécier la différence : chaque étudiant international apporte trois fois au Royaume-Unis qu’à la France (aux alentours des 41 000€ contre 14 600€ en France). Au système payant relativement cher pour les étudiants internationaux du Royaume-Uni s’oppose le système très bon marché de la France.
Pour conserver à la France ses « parts de marché » face à des pays en plein développement, le gouvernement refuse d’augmenter significativement les frais de scolarité des étudiants internationaux. Mais est-ce un bon calcul ? Pour beaucoup d’étudiants internationaux « low cost » et « low quality » se confondent. En fait la France est peu à prise en étau entre les pays anglo-saxons capables de faire payer très cher la qualité de leur enseignement tout en attirant des étudiants étrangers et des pays émergents (Chine, Russie, Arabie-Saoudite, etc.) dans une stratégie d’influence.
Que faire ? Pour mieux « vendre » l’enseignement supérieur français, Bernard Ramanantsoa et son équipe de France Stratégie proposaient dans leur rapport sur L’enseignement supérieur français par-delà les frontières, remis en septembre 2016, qu’on reconsidère le master en deux ans pour créer des masters professionnels en 1 an plus « à même d’affronter la compétition internationale » sur le modèle des ex DEA/DESS. Ils demandaient également qu’on favorise plus largement le recours au décret 2002-654 qui permet aux établissements de proposer des frais de scolarité différents dès lors que le diplôme est délocalisé : « Ce sont des ressources qui permettraient de se développer alors que trop d’établissements croient, ou feignent de croire, que ce n’est pas possible ». Encore faudrait-il en amont qu’il y ait une vraie politique menée par le gouvernement comme dans les établissements. Comme le constataient Bernard Ramanantsoa « les décisions de déploiement tiennent plus de coups opportunistes le plus souvent issus des équipes pédagogiques et de recherche, parfois initiés par les autorités au niveau diplomatique, qu’à de véritables stratégies articulées ».