Directrice Entreprises et Carrières de l’EDHEC Anne Zuccarelli est en première ligne dans plusieurs dossiers cruciaux pour l’avenir financier de son école et notamment la réforme de la taxe d’apprentissage.
Olivier Rollot : Que va changer pour vous la réforme de la taxe d’apprentissage que le gouvernement vient de faire adopter à l’Assemblée?
Anne Zuccarelli: En France les entreprises financent leurs établissements d’enseignement supérieur « cibles » en leur affectant de la taxe d’apprentissage et celle-ci représente aujourd’hui 10% du budget de l’ EDHEC. En faisant en trois ans descendre la part que peuvent nous affecter librement les entreprises de 60% à 42% puis 25% nous allons ainsi perdre 15% de ce qu’elle nous apportait. J’y vois deux problèmes idéologiques. Le premier est de considérer que la taxe d’apprentissage doit aller à 100% à l’apprentissage alors qu’elle avait deux missions quand elle a été instituée : favoriser l’apprentissage d’une part et de l’autre permettre aux établissements d’enseignement supérieur d’investir dans leur pédagogie. Le second problème est qu’avec cette réforme on défavorise les étudiants qui ne choisissent pas l’apprentissage alors que nous allons devoir effectuer des investissements très importants, notamment dans la pédagogie numérique.
O. R : De plus les régions, qui vont bénéficier des sommes dont vous allez être dépossédé, favorisent très clairement l’apprentissage dans le secondaire plutôt que dans le supérieur. Pour vous c’est vraiment la « double peine » !
A. Z : 15% de nos étudiants (220 à l’EDHEC et 60 à l’ESPEME) sont aujourd’hui apprentis. Le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur a redoré le blason de l’apprentissage en prouvant qu’on pouvait faire de grandes écoles en étant apprenti. De plus c’est un vrai ascenseur social qui permet à des jeunes d’accéder à des formations qu’ils auraient beaucoup de mal à financer sinon. Ce serait vraiment dommage de casser aujourd’hui cette dynamique en affectant moins d’argent à l’enseignement supérieur.
O. R : Autre réforme en cours : celle des stages. Le Medef craint que des règles trop strictes poussent les entreprises à réduire le nombre de stagiaires. Qu’en pensez-vous ?
A. Z : Dire qu’il y a trop de chômage en France parce qu’il y trop de stages est un raccourci facile. Bien sûr certaines entreprises en abusent en passant de stagiaire en stagiaire sans jamais embaucher mais elles sont marginales. Ces réformes qui consistent à imposer de nouvelles contraintes ne font que rigidifier encore plus le marché de l’emploi et ne servent au final pas l’intégration de nos jeunes diplômés.
O. R : Autre source de financement le don. Où en êtes-vous que ce soit auprès des alumni ou des entreprises ?
A. Z : La culture du don monte petit à petit en France et nous sommes passés en quelques années de petits dons de 500€ à des donations de 50 000€. Les diplômés qui travaillent à l’étranger sont d’ailleurs les plus généreux car familiarisés avec la culture du don à son école. En étant les premiers à rendre obligatoire l’adhésion à vie dès l’entrée dans l’école à notre association d’alumni, nous avons créé un esprit de réseau qui devient de plus en plus fort. Mais tout cela demande du temps. Côté Entreprises, certaines commencent à réfléchir comment transformer leur soutien via la taxe en dons versés directement aux établissements qu’elles veulent favoriser.
O. R : Comment faites-vous vivre des relations privilégiées avec les entreprises qui vous financent?
A. Z : De nombreuses actions permettent de faire rayonner la « marque employeur » dans l’école. Pour fédérer les entreprises qui vous font particulièrement confiance, nous avons créé il y a dix ans l’«EDHEC Business Club», qui compte 120 entreprises membres ; une vraie communauté qui travaille autour du développement des talents. Nous avons ainsi développé une forte proximité avec les entreprises afin de pouvoir anticiper et répondre à leurs besoins.
O. R : Vous venez également de lancer un observatoire des jeunes générations, le NewGen Talent Centre. Dans quel but ?
A. Z : Des sondages montrent que 72% des jeunes ont l’intention de quitter leur entreprise dans les trois ans. Des départs qui représentent un coût très élevé pour les entreprises qui ont besoin de comprendre leurs plus jeunes salariés pour les retenir. Nous avons donc mené une grande enquête sur ce qui fait rester un jeune dans son entreprise auprès de jeunes diplômés de l’EDHEC, Sciences Po, ingénieurs mais aussi d’universités américaines et chinoises. En tout 6 000 jeunes dont nous sommes en train d’analyser les réponses. Publication de l’enquête en octobre 2014.
O. R : Les entreprises ont vraiment du mal à intégrer ceux qu’on appelle les Y?
A. Z : Ce n’est pas forcément facile pour un manager de 40 ans de comprendre des jeunes recrues qui travaillent aisément entre 22h et 24 h, peuvent gérer leurs réseaux personnels et professionnels au bureau. Des jeunes qui sont prêts à quitter rapidement leur entreprise dès qu’ils perdent le sens de leur mission et qui demandent des réponses immédiates à leurs questions. Mais attention, ils ne sont pas rétifs à l’autorité s’ils reconnaissent les capacités de leur manager. Avec notre enquête, nous visons à apporter des éclairages aux entreprises avec des conclusions selon le profil des étudiants comme des entreprises. Les trois premières années dans l’entreprise sont cruciales pour garder les talents et pouvoir investir sur l’avenir.
O. R : Votre rôle c’est aussi de bien préparer les étudiants à trouver un emploi. Quels grands programmes développez-vous à cet effet ?
A. Z : Notre programme Talent Identification & Career Development (TI&CD) permet d’évaluer les compétences managériales des étudiants à partir de leur entrée en master. Un consultant carrière leur propose alors un plan de développement de compétences. Nous travaillons également beaucoup sur la préparation de nos étudiants à l’entrée dans les « graduate programs ». Ce sont des programmes extrêmement sélectifs que proposent les grandes entreprises à leurs futurs managers globaux. Ces programmes permettent de fidéliser les talents en proposant un parcours en lien avec les aspirations des Y. Le TICD, reconnu « best practice » par les organismes d’accréditation internationaux AACSB et EQUIS, a fait ses preuves puisque le nombre de nos étudiants admis dans ces GP a été multiplié par deux en trois ans et est passé de 8 à 17% de nos effectifs.
O. R : La bonne entente avec les entreprises transparaît aussi dans les résultats de vos associations étudiantes. Dans un palmarès réalisé l’année dernière l’agence Aneo & Crelacom a ainsi placé deux de vos associations aux deux premières places : la Course Croisière EDHEC devant Le Chti.
A. Z : Avec un budget de 1,8 millions d’euros (2012), la Course Croisière EDHEC draine nos valeurs d’indépendance et d’entreprenariat. Nos étudiants ont développé plus de 50 associations dans l’humanitaire, l’aide aux prisonniers mais aussi le spectacle, le sport ou le Chti, le guide de la métropole lilloise. C’est très complémentaire pour eux en termes d’expérience même si cela n’entre pas, comme c’est le cas dans d’autres écoles, dans leur cursus. Nous tenons à ce que les étudiants qui créent ou travaillent dans une association soient vraiment volontaires.