La Conférence des présidents d’université (CPU) vient d’obtenir l’assurance du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MENESR) que les budgets des universités pour… 2015 leur seraient communiqués dans « les tous prochains jours ». Une nouvelle (enfin !) rassurante mais qui ne doit pas cacher les difficultés financières auxquelles les universités sont aujourd’hui confrontées et que détaille Gérard Blanchard, vice-président de la CPU et président de l’université de La Rochelle.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Ne pas connaître son budget alors qu’on est déjà en avril, cela doit être une situation embarrassante ?
Gérard Blanchard : Après une entrevue avec la ministre Najat Vallaud-Belkacem nous avons obtenu la garantie que le montant de nos subventions pour 2015 – c’est-à-dire 80% de nos ressources – nous serait communiqué dans les tous prochains jours. Ce retard est effectivement très gênant, nous avons été obligés de bloquer certaines dépenses, essentiellement des recrutements, pour être certains d’être capables d’avoir les financements nécessaires.
O. R : Ce retard est un problème de forme mais il existe un problème de fond bien plus important pour vous : la ponction programmée de 100 millions d’euros dans ce qu’on appelle les « fonds de roulement » des établissements d’enseignement supérieur sous tutelle du MENESR.
G. B: Depuis la fin 2014 nous protestons contre cette ponction programmée. Il manque 100 millions d’euros dans la loi de finance pour les universités et le choix a été fait de les prélever dans les fonds de roulement des établissements. A ce jour nous ne savons toujours pas quelles sont les universités qui vont être concernées et à hauteur de combien, alors que les écoles d’ingénieurs, elles, ont déjà une idée plus précise semble-t-il.
O. R : Quelle est la logique de cette ponction ? Sur quels critères se fait-elle ?
G. B: À la base il semblerait que le ministère considère que nous n’ayons pas besoin de dépasser un montant total de fonds de roulement permettant 60 jours de fonctionnement. Je ne porte aucun jugement sur les raisons historiques pour lesquelles certains établissements ont des fonds de roulement plus importants. Généralement c’est de l’argent qui doit être utilisé pour des investissements futurs et certains établissements ont tout simplement moins de fonds parce qu’ils se sont déjà lancés dans ces investissements.
Prendre dans nos fonds de roulement c’est prendre de l’argent qui devait servir à nos investissements et qu’on utilise pour du fonctionnement ou des salaires. C’est un non-sens économique contraire aux règles élémentaires qui régissent le budget des établissements publics !
O. R : Mais quel est le raisonnement du gouvernement ? Que vous devez impérativement dépenser chaque année jusqu’au dernier euro qui vous est affecté ?
G. B: Peut-être. Mais c’est aussi peut-être tout simplement pour répondre à l’urgence de trouver 100 millions d’euros qui manquent. L’autre solution aurait été de demander à tout le monde de dépenser moins mais ç’aurait été remettre en cause la priorité donnée à la jeunesse alors que ces 100 millions manquant ne sont finalement qu’un maintien de notre niveau d’activité.
O. R : Une subvention finalement qui ne permet pas de maintenir le même niveau d’activité alors que, pour la première fois en 2013-2014, l’université a dépassé les 1,5 millions d’étudiants. Un sacré paradoxe non ?
G. B: Nous comprenons les difficultés financières du pays mais si on part du principe que l’éducation est une priorité nationale il faut nous en donner les moyens ! L’un des objectifs qui nous sont affectés par l’État est de parvenir à diplômer dans l’enseignement supérieur 50% d’une classe d’âge. Nous sommes aujourd’hui à 43%, nous sommes sur la bonne voie pour y parvenir, mais il faut que l’État consente à augmenter son effort en faveur de l’enseignement supérieur.
O. R : Les écoles d’ingénieurs sous tutelle des autres ministères que l’enseignement supérieur, mais aussi CentraleSupélec, ont obtenu une augmentation du montant de leurs droits d’inscription. Faudrait-il en faire autant dans les universités ?
G. B: Aujourd’hui il faut aborder tous les sujets sans tabou. L’impasse des 100 millions d’euros et la ponction sur nos fonds de roulement prouvent que notre modèle d’enseignement supérieur est à bout de souffle. La CPU a donc créé un groupe de travail, dirigé par Hélène Pauliat, présidente de l’université de Limoges et en charge des questions de moyens et personnels à la CPU, qui réfléchira sur ces questions économiques à partir du 7 mai.
O. R : C’est d’autant plus urgent que d’autres sources de financement semblent se tarir pour l’enseignement supérieur : que ce soit les contrats de projets État-région (CPER) ou la taxe d’apprentissage.
G. B: Dans les CPER il est clair que la part de l’État est en baisse, du moins sur le volet enseignement supérieur et recherche, car l’Etat reste très présent dans d’autres domaines comme les transports. Maintenant il faut voir comment les régions vont compenser cette baisse et nous n’avons pas encore consolidé les chiffres à l’échelle nationale. Tout ce que je peux dire, c’est qu’en Poitou-Charentes, la région compense en grande partie le désengagement de l’État.
Nous n’avons pas encore analysé les effets de la baisse de la taxe d’apprentissage affectée à l’enseignement supérieur mais nous savons que la plupart des universités seront touchées mais probablement moins que les grande écoles. Certaines universités projettent de fortes baisses mais, là encore, tout dépendra aussi de la façon dont les régions, qui se voient attribuer une part plus importante de la taxe, l’affecteront. Pour compenser, nous devons aussi avoir une démarche auprès des entreprises pour qu’elles attribuent plus de taxes aux universités.
O. R : Des pistes de nouveaux financements existent. Le MENESR pense particulièrement à la formation continue et vient de confier une mission sur ce sujet à François Germinet, président de l’université de Cergy-Pontoise.
G. B: D’un côté nous avons des activités récurrentes en formation initiale, nos licences, masters, IUT, de l’autre des activités variables et contractuelles dans la recherche ou la formation continue. Mais il ne faut pas oublier que ces nouvelles activités ont aussi des coûts que nous devons mieux connaître si nous voulons contractualiser avec les entreprises. Si on baisse les subventions librement affectées cela ne peut pas être compensé par des ressources affectées à des usages.
Surtout, si notre modèle de financement se diversifie cela ne doit pas être pour compenser un désengagement de l’État. Ces nouvelles ressources doivent d’abord nous permettre de nous développer.