Des comptes en délicatesse et des procédures insuffisamment structurées dans une université concentrée sur les premiers cycles : à son arrivée il y a cinq ans à la tête de l’université catholique de Lyon (Ucly), Olivier Artus fait face à de nombreux défis. Cinq ans après, alors qu’il s’apprête à prendre de nouvelles responsabilités, il peut le dire : « devoir accompli » !
Olivier Rollot : Après cinq ans à la tête de l’UCLy vous passez la main à un nouveau recteur. L’occasion de tracer un bilan de votre action !
Olivier Artus : Quand je suis arrivé à la direction de l’UCLy il y a cinq ans le rapport du comité d’évaluation du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) relevait trois problèmes pour l’UCLy. D’abord un déficit persistant depuis 2015 autour de 3 millions d’euros par an. Ensuite une recherche pas assez structurée et la prédominance de formations de niveau bac+3 qui nous faisait prendre le risque d’être considérés uniquement comme un collège universitaire. Enfin un manque de procédures internes dans tous les domaines.
Nous avons donc dû nous atteler à un important travail d’organisation avec une équipe rectorale formidable que j’ai constituée avec ses trois vice-rectrices : Valérie Aubourg pour la recherche, Emmanuelle Gormally pour la formation, de la vie académique et de la vie étudiante et Marie Bui-Leturcq chargée de la responsabilité sociétale et de la qualité en ensuite également de la transition écologique. La question principale que nous posait le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) à l’époque portait en effet sur notre stratégie dans la transition. Grâce à Frank Debouck, devenu alors président de la Comue Université de Lyon, nous avons ensemble pu mettre en place une charte écologique propre au site à l’été 2023.
Aujourd’hui le chantier d’organisation est achevé, l’équilibre financier atteint – alors même que la subvention de l’État est passée de 5 à 4 millions d’euros par an et donc de 12% à 6% de notre budget – et notre nouveau secrétaire général a mis au point des procédures d’ensemble.
O. R : On imagine bien que cette réorganisation n’a pas toujours été un long fleuve tranquille?
O. A. : Il fallait changer pas mal d’habitudes en passant d’une culture très décentralisée à une culture plus centralisée avec les résistances qu’on imagine mais qui se sont atténuées avec notre croissance. Nous ne pouvions pas continuer dans le modèle précédent. Il a donc fallu prendre le virage avec une nouvelle équipe rectorale ce qui a provoqué une certaine douleur dans l’ancienne. Le choix de l’université de faire venir un Parisien – j’étais avant 2019 en charge des questions de recherche à l’Institut catholique de Paris – apportant un regard extérieur pour un mandat de cinq ans était en cela judicieux. A 70 ans je pars maintenant comme recteur de la basilique de Vézelay pour y apporter un regard qui sera forcément celui d’un universitaire.
O. R : En cinq ans l’UCLy est globalement passée de 6 600 étudiants en 2019 à plus de 9 000. Pensez-vous qu’il faille poursuivre cette expansion ?
O. A. : Nous n’avons pas d’ambition de la sorte ayant déjà beaucoup d’étudiants à Lyon. Notre nouveau campus Alpes Europe à Annecy compte aujourd’hui 400 étudiants en recevra une centaine de plus à la rentrée prochaine (il peut accueillir jusqu’à 1 000 étudiants) et nous sommes également implantés au Puy-en-Velay.
Il faut bien comprendre que le but d’une université catholique et de mettre en relation le fait chrétien avec la culture contemporaine. C’est un projet culturel et éducatif et je ne pense qu’il faille aujourd’hui viser une augmentation du nombre de nos étudiants.
En revanche nous devons mieux travailler sur notre offre de formation continue. Nous avons récemment ouvert une maison de l’entreprise pour mieux organiser notre recherche et nous rapprocher du monde de l’entreprise. Une autre question importante pour nous est le rôle que doit jouer l’Intelligence artificielle (IA) dans nos enseignements. Nous voyons bien aujourd’hui que toutes les lettres de motivation ou presque que nous recevons sur Parcoursup sont générées par l’IA et nous devons apprendre à nos étudiants à s’en servir intelligemment.
O. R : Ce premier chantier d’organisation finalisé quelles grandes impulsions avez-vous donné à votre proposition de formations et de recherche ?
O. A. : Dans le cadre de notre projet intellectuel coexistent à l’UCLy des facultés telles que celle de sciences de la vie ou de droit, des écoles techniques supérieures, une école de management, une autre de biotechnologie – devenue école d’ingénieurs en 2023 – en tout 165 enseignants-chercheurs répartis en huit pôles ayant des interactions entre eux. L’Unité de Recherche (EA 1598) que nous avons constituée a permis de faire naitre un esprit pluridisciplinaire entre ces pôles.
Nous nous sommes également appuyés sur nos parties prenantes du monde de l’entreprise pour développer des idées en commun dont une chaire « Vulnérabilités » dont le dernier colloque en avril 2024 était consacré à « Résilience des institutions face aux crises et à l’effondrement des systèmes ». Aujourd’hui nous cherchons à la transformer en Faculté de Sciences sociales pour proposer à des universités européennes des doctorats communs avec le Saint Siège. Nous sommes d’ailleurs déjà partenaires à ce niveau avec deux universités italiennes : Pérouse et LUMSA à Rome.
O. R : Une des questions qui se pose depuis longtemps aux universités catholiques est la propriété des diplômes qu’elles délivrent. Dans de nombreuses disciplines universitaires vous dépendez d’accords avec des universités publiques. Souhaiteriez-vous remettre vos propres diplômes ?
O. A. : Il faut distinguer les grades de licence ou de master que remettent l’Esdes ou l’ESTBB (école d’ingénieurs en biotechnologies), les titres RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) et les diplômes publics. Pour ces derniers nous sommes en convention avec des universités publiques, par exemple avec un contrat quinquennal avec Lyon 2 en sciences de l’éducation.
Le tout dans une logique de site. Au titre de membre associé, nous participons aux instances de gouvernance de la Comue Université de Lyon à laquelle nous avons été beaucoup plus associés ces dernières années ce qui a permis de créer plus de transversalité. En opposition avec le rapport de la Cour des Comptes (Université et Territoires) dans lequel on nous reprochait au contraire de créer de la confusion.
Sur la question que vous posez quant aux grades je ne vois pas ce que nous apporterait vraiment le fait de remettre nos propres diplômes. Je préfère remettre un diplôme de la République française en y ajoutant tout un accompagnement personnalisé et un excellent taux de réussite. Sur 100 étudiants qui entrent dans nos facultés, 85 réussissent leurs examens de 1ère année et 60% obtiennent leur diplôme en 3 ans sans redoubler.
O. R : Vous envisagez de développer plus de masters avec les universités lyonnaises ?
O. A. : Nous souhaitons développer plus de formation de niveau master comme ceux que nous dispensons en biologie avec l’université Lyon 1, en droit avec Lyon 2 ou encore en philosophie avec Lyon 3. Ce sont autant de lieux d’initiation à la recherche qui mènent au doctorat. Aujourd’hui nous préparons uniquement au doctorat canonique en théologie et au doctorat canonique en philosophie et nous souhaiterions accéder un jour à une école doctorale française. Mais la porte n’est qu’entrouverte.
O. R : Quel est le poids des étudiants internationaux à l’UCLy ?
O. A. : 9% de nos étudiants sont internationaux notamment dans le cadre de partenariats Erasmus. Nous développons des échanges avec les deux universités italiennes que j’ai déjà citées mais aussi avec l’université Laval au Canada, l’université catholique du Portugal et même des universités en Australie et Nouvelle Zélande. Par ailleurs tous les cours de l’Esdes sont délivrés en anglais comme au sein de notre faculté de droit pour certains programmes alors que notre école d’ingénieurs y travaille également.
O. R : Vous avez évoqué le nouveau poste de vice-rectrice chargée de la transition écologique. Comment l’UCLy se positionne-t-elle à ce sujet ?
O. A. : Tous nos étudiants doivent obtenir un certificat obligatoire dans ce domaine en cycle licence. De plus deux de nos trois campus sont récents et vertueux, voire très vertueux à Annecy. Depuis la dernière rentrée, et à la demande de nos étudiants, nous pratiquons le tri des déchets. Nous menons en ce moment une enquête sur nos déplacements pour obtenir une labellisation DD&RS fin 2025.
O. R : L’expérience étudiante est au cœur des projets éducatifs aujourd’hui. Comment se matérialise-t-elle à l’UCLy ?
O. A. : A l’université de Laval nous avons découvert un module transversal « Mon équilibre université Laval » dont nous nous sommes inspirés en rebaptisant notre direction « vie étudiante » « vie et expérience étudiante » pour penser une éducation plus globale. Aujourd’hui nous constatons que si nos étudiants sont très contents d’être à l’UCLy ils ont aussi une demande très forte d’accompagnement, notamment les étudiantes pour lesquelles nous avons aujourd’hui une sage-femme qui effectue des permanences. Un médecin universitaire manage toute une équipe, dont un psychologue, alors que nous constatons une vraie fragilité chez nos étudiants. Une fragilité qui peut passer par des addictions ou des maladies vénériennes en augmentation chez les jeunes.
Par ailleurs, une cellule d’écoute en violences sexistes et sexuelles (VSS) a vu le jour pour répondre aux étudiants avec les moyens d’intervenir en cas d’abus. Nous avons ainsi élargi notre vision avec une formation humaine à une période clé de la vie où il faut se construire.