Parcoursup, apprentissage, bac, expérimentations dans les regroupements d’universités et de grandes écoles, la Conférence des présidents d’université est en première ligne pour gérer les nombreuses réformes en cours. Son président, Gilles Roussel, ses deux vice-présidents, Fabienne Blaise et Khaled Bouabdallah, nous donnent les clés pour mieux comprendre où nous allons.
- Gilles Roussel est président de la Conférence des présidents d’université, président de l’Université Paris Est Marne-la-Vallée (UPEM). Fabienne Blaise est vice-présidente de la Conférence des présidents d’université, ancienne présidente de l’Université Lille Sciences Humaines et sociales, directrice générale de Fondation I-SITE ULNE. Khaled Bouabdallah est vice-président de la Conférence des présidents d’université, président de la Comue (communauté d’universités et d’établissements) Université de Lyon.
Olivier Rollot : La nouvelle plateforme d’orientation dans l’enseignement supérieur, Parcoursup, est maintenant en ligne. Quelles sont vos premières impressions et qu’en attendez-vous ?
Gilles Roussel : A ce stade Parcoursup a conservé le « moteur » d’APB ce qui permet à nos équipes de retrouver leurs automatismes. Les élèves et parents qui y ont déjà eu recours retrouveront l’ergonomie d’APB, avec toujours de nombreux points d’amélioration possibles. Maintenant il reste des points techniques à valider pour rendre acceptable par tous l’utilisation de l’application.
Ce que nous demandons c’est aussi de pouvoir accéder à suffisamment d’informations sur les candidats pour pouvoir assurer une plus grande diversité dans les populations que nous accueillons afin de corriger les inégalités sociales. La constitution d’un comité d’éthique encadrant les pratiques de Parcoursup est une excellente initiative, elle permettra de prendre le temps de réfléchir à ce qu’on veut vraiment faire de l’outil et notamment du point de vue éthique.
Olivier Rollot : Vous récusez toute allusion à une sélection ?
Khaled Bouabdallah : Oui, nous n’avons pas le droit de dire « non » à un candidat et le nombre de places reste le même, voire augmente. Ce que nous voulons c’est optimiser l’efficacité du système pour que ceux qu’on accueille aient plus de chances de réussite. Pour qu’un tiers de nos étudiants de première année de licence ne désertent pas l’université au cours du premier semestre, il faut pouvoir leur proposer d’autres orientations. Mais il faut aussi arrêter de dire qu’il n’y a qu’à l’université qu’on voit des échecs. Il y en a également en BTS ou en classes préparatoires. Combien d’élèves des classes préparatoires littéraires intègrent une grande école ? Le droit à l’erreur et à la réorientation est important et on doit sortir de la culture de l’échec.
Gilles Roussel : Si on me dit qu’on sélectionnait nos étudiants l’année dernière alors oui je veux bien dire qu’on les sélectionne cette année ! Le tirage au sort auquel beaucoup d’universités étaient contraintes de recourir ces dernières années était totalement inacceptable. Aujourd’hui les universités jouent le jeu en augmentant le nombre de places. Nous espérons que les capacités d’accueil vont suffisamment augmenter pour recevoir tous les bacheliers, dans les universités comme en BTS, mais on nous demande parfois l’impossible. Nous ne voulons laisser personne sur le carreau tout en remarquant que ceux qui sont finalement sans affectation sont le plus souvent des bacheliers professionnels qui ne veulent pas spontanément aller à l’université. Les universités ne sont pas qu’autonomes, elles sont aussi responsables.
Fabienne Blaise : Jusqu’à présent nous vivions dans un système où la sélection était cachée, mais bien présente, par le tirage au sort mais surtout par l’échec. Nous entrons maintenant dans un système où, la ministre a bien insisté là-dessus, tous les étudiants auront leur place. Cela va dans le bon sens et rejoint ce que la CPU préconisait depuis longtemps. Maintenant il va falloir un peu de temps, pas seulement six mois mais quelques années, pour tout mettre en œuvre. Mais il fallait le courage d’avancer vite sinon on repartait pour cinquante ans de dysfonctionnements au détriment de nos étudiants.
Olivier Rollot : Cela risque d’être un travail colossal pour les universités d’examiner tous ces dossiers !
Gilles Roussel : Les responsables des instituts universitaires de technologie (IUT) avaient déjà accès à des dossiers et ont développé des méthodes efficaces pour les classer. Nous ne partons pas de rien. Nos composantes doivent maintenant s’approprier les critères pour faire réussir le plus d’étudiants possibles. Selon les universités, les organisations sont différentes. A l’UPEM par exemple, nous avons demandé aux responsables des différents niveaux de formation de se réunir pour définir ensemble quel type de public ils veulent accueillir à l’entrée en licence comme en master.
Fabienne Blaise : La plupart des dossiers seront relativement faciles à traiter. Là où nous allons passer du temps c’est par exemple pour juger les dossiers de candidats qui veulent intégrer des filières pour lesquelles ils montrent des faiblesses. Si un futur bachelier veut absolument s’inscrire en licence d’anglais alors qu’il a de mauvais résultats dans cette langue, il va bien falloir qu’il passe par un temps de remédiation ; il faut aussi au préalable qu’il puisse avoir une idée des secteurs qui sont plus en adéquation avec son parcours et vers lesquels il pourrait aussi opter de s’orienter. Quant à cet autre qui est bon en français et souhaite s’inscrire en maths, il faudra lui expliquer soit qu’il serait mieux dans une filière littéraire, soit que lui aussi devra passer par une remédiation.
Personne ne sait vraiment aujourd’hui quelle sera la proportion de ces dossiers complexes. Il faut être bien conscient que la plus grande partie de nos étudiants ont un bon niveau et qu’au moins les deux tiers des dossiers que nous examinerons ne poseront pas de problème. D’ailleurs nous faisions déjà un travail similaire dans admission-postbac quand nous nous intéressions aux lettres de motivation des élèves pour leur donner des conseils. Mais il est vrai que cette démarche est désormais générale et demandera beaucoup plus de temps et de personnel.
Olivier Rollot : Mais comment allez-vous organiser le processus de remédiation qui est censé permettre aux étudiants qui ne les ont pas d’acquérir les attendus nécessaires à l’entrée dans la licence de leur choix ?
Fabienne Blaise : Il existe déjà dans les universités un certain nombre de dispositifs. Je pense en particulier au DAEU qui permet d’intégrer une université pour des personnes qui n’ont pas obtenu le bac et ont dépassé l’âge d’aller au lycée. Nous avons des MOOCs, des cours de remise à niveau, on ne part pas de rien.
Gilles Roussel : La question qui se pose est clairement celle des moyens qui sont d’abord donnés par des appels à projet. Il ne faut pas décevoir des équipes qui se mobilisent très largement pour créer des parcours différents. Contrairement à ce qu’on peut entendre çà et là sur des enseignants-chercheurs qui ne voudraient garder que les meilleurs étudiants, la grande majorité veut faire réussir tous les étudiants et toutes les étudiantes.
Olivier Rollot : Vous vous dites donc plutôt optimistes quant à la façon dont l’orientation des bacheliers va avoir lieu cette année ?
Gilles Roussel : Nous sommes plutôt optimistes notamment grâce à la suppression du classement des vœux qui faisait que certains se censuraient. Classer ses vœux a posteriori et après le bac est plus judicieux pour éviter des stratégies de contournement de l’université et nous militons en ce sens. J’ajoute que toutes les formations postbac devraient entrer dans Parcoursup – ce devrait être le cas d’ici deux ans – pour que toutes les formations soient à égalité de traitement.
Olivier Rollot : Le bac est également en voie d’être réformé. Qu’attendez-vous de ce « nouveau bac » qui s’annonce pour 2020 ?
Gilles Roussel : Nous attendons d’abord une mise en cohérence du fonctionnement du lycée et du bac et le projet de loi « réussite des étudiants » qui est en cours de discussion. Il faut aussi que les pédagogies évoluent pour répondre aux attentes d’un nouveau public. Dans les sciences nous attendons beaucoup du rapport Villani après avoir observé un vrai recul du niveau en mathématiques.
Khaled Bouabdallah : Il faut une mise en cohérence du bac avec les nouveaux dispositifs d’accès. Tel qu’il est organisé aujourd’hui le bac coûte très cher pour un faible impact et n’est pas déterminant pour construire des orientations réussies. Le continuum lycée / enseignement supérieur doit être mieux construit. Avec le système actuel il n’est guère étonnant que les étudiants connaissent des difficultés à l’entrée dans l’enseignement supérieur. Mais il ne faut pas reporter la faute seulement sur le lycée, il y a aussi les effets de la massification ainsi que des difficultés à recruter des enseignants.
Olivier Rollot : Faut-il faire évoluer la formation des enseignants du secondaire pour cela ?
Khaled Bouabdallah : La formation des enseignants nous concerne au premier chef car elle a lieu dans les ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation) qui nous sont rattachées. Nous souhaitons la faire évoluer pour que les enseignants du premier et du second degré soient plus en phase avec le terrain et donc les professionnels mais aussi que leur formation soit mieux articulée avec la recherche sur l’éducation qui est pluridisciplinaire. En clair, on a besoin à la fois de plus de professionnalisation et de plus de recherche dans la formation des futurs professeurs.
Olivier Rollot : Pour compenser une certaine baisse du niveau des bacheliers, certains pensent qu’il faudrait instituer une année supplémentaire à l’entrée à l’université, une « propédeutique », ou permettre plus largement que la licence s’effectue en quatre ans. Qu’en dites-vous ?
Khaled Bouabdallah : Cette année de propédeutique peut être adaptée à un public pour lequel les remédiations partielles ne suffisent pas. De même une licence en 4 ans peut permettre d’étaler ses efforts plus longtemps pour améliorer ses capacités d’assimilation. Plus fondamentalement, il s’agit de créer des offres adaptées à chaque individu. C’est tout l’enjeu et le défi de la personnalisation des parcours. Ce défi majeur ne se fera pas au même coût que traitement des flux tel que nous le connaissons. Il faut passer du prêt à porter au sur mesure qui ne se réduit pas à imposer uniformément une année supplémentaire !
Olivier Rollot : Vous en aurez les moyens ?
Gilles Roussel : Nous demandions 1 milliard d’euros par an uniquement pour la gestion des flux d’étudiants et le rattrapage du sous-investissement. L’investissement pour la transformation de toutes les universités est évidemment bien plus lourd.
Olivier Rollot : Une autre réforme est en passe d’être finalisée, celle de l’apprentissage. Les débats ont été vifs, la place de l’enseignement supérieur parfois contestée. Au final qu’en attendez-vous ?
Gilles Roussel : Il faut simplifier le système et trouver des équilibres avec tous les acteurs du système, régions, entreprises, établissements d’enseignement supérieur. La question étant aussi de garantir que les sommes collectées vont bien à l’apprentissage. Les enjeux sont considérables pour nos universités à tous les niveaux de formation et nous sommes très attentifs aux arbitrages qui vont être décidés par le gouvernement.
L’autre sujet en débat, l’affectation libre d’une partie de la taxe d’apprentissage par les entreprises aux établissements qu’elles choisissent, nous concerne mais moins que beaucoup de grandes écoles. Quand, pour certaines, elle peut représenter jusqu’à 30% de leurs revenus c’est plutôt 1 à 2% pour les universités. Mais ces 1 à 2% nous donnent une grande liberté pour construire des projets et donc nous sommes également très attentifs à leur préservation.
Khaled Bouabdallah : Il y eu une phase d’inquiétude quand nous avons eu le sentiment qu’on pouvait remettre en cause des années de travail et de progression constante de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. On entend depuis longtemps un discours qui opposerait l’infra bac et l’enseignement supérieur. Mais si on veut développer l’apprentissage il faut d’abord y mettre les moyens. A budget constant comment faire ? Les entreprises sont très demandeuses d’apprentis dans l’enseignement supérieur, cela permet à certains d’accéder à des formations qu’ils ne pourraient sinon obtenir, cela valorise la filière : l’apprentissage dans l’enseignement supérieur est triplement positif ! C’est aussi une valorisation de l’apprentissage pour l’ensemble des niveaux.
Dans les campus des métiers qui existent déjà nous recevons des élèves du BEP au master et aux diplômes d’ingénieur. C’est toute une filière qui œuvre ensemble. Il ne faut pas mettre les niveaux de formation en opposition, sauf à dire qu’on n’a pas suffisamment de moyens pour faire croître l’apprentissage. D’autant que dans l’infra bac une des difficultés ce sont les places vacantes.
Olivier Rollot : La formation professionnelle va également être impactée par la réforme en cours. Le congé individuel de formation (CIF) devrait par exemple être supprimé au profit du compte personnel de formation (CPF). Une dizaine d’université sont aujourd’hui en train de travailler sur l’extension de leurs activités de formation continue. Quelle part pouvez prendre dans ce domaine encore très largement dominé par des acteurs spécialisés ?
Gilles Roussel : Les universités sont bien placées et bien mieux qu’on ne le croit généralement dans les formations diplômantes. Restent à développer des formations courtes, ponctuelles, à renforcer la formation des chômeurs et de tous ou toutes celles qui sont les plus éloignés de l’emploi. Mais attention à ne pas imaginer qu’on va trouver là des ressources supplémentaires pour financer les cursus de nos étudiants en STAPS !
Olivier Rollot : Comme décidément on réforme tout cette année il va être possible pour les regroupements d’université, essentiellement des Comue (communautés d’universités et d’établissements), d’expérimenter de nouvelles formes de gouvernance. Ce n’est pas un peu compliqué d’autoriser des gouvernances différentes selon les sites ?
Khaled Bouabdallah : On peut tout à fait expérimenter des modèles très différents dans le même cadre juridique. On ne peut pas ne pas tenir compte de la différenciation des sites et de leurs projets. Et notamment de la place plus ou moins importante qu’y occupent les écoles d’ingénieurs par exemple ou les autres écoles.
Fabienne Blaise : A Lille, l’Isite {initiative d’excellence plus locale que les Idex} vise à regrouper l’Université de Lille et huit grandes écoles. Et si nous avons créé l’Université de Lille, début 2018, ce n’est pas pour réaliser la simple addition des trois universités lilloises mais pour créer une grande université qui nous permettra de gagner en visibilité et en efficacité. Entre autres exemples, en permettant de meilleures réorientations pour les étudiants dans un périmètre plus large. C’est bien ce qu’on a pu observer déjà à Strasbourg, Marseille ou bien en Lorraine
Olivier Rollot : L’entente entre les grandes écoles et les universités a progressé ces dernières années ?
Gilles Roussel : Selon les territoires les relations sont très différentes entre les acteurs. Créer des formes de gouvernance différentes répond à notre mission d’accueillir au mieux les jeunes. Partout l’architecture de l’enseignement supérieur et de la recherche a bougé, incluant des établissements relevant d’autres ministères que celui de l’enseignement supérieur.
Khaled Bouabdallah : Le dialogue avec les grandes écoles nous a permis de mieux nous entendre dans le développement des territoires. Il faut aller plus loin et réfléchir à une étape plus intégrative pour partager une ambition internationale de rayonnement de nos atouts académiques. Mais nous partons de loin, avec des organisations et des cultures très différentes. Il faudra sûrement du temps mais la volonté des acteurs est réelle.
Olivier Rollot : En cette année du 20ème anniversaire du Processus de Bologne qui a conduit à la création de l’espace européen de l’enseignement supérieur, la CPU consacre son colloque annuel à « L’Europe des universités ». La question de la construction d’universités européennes, évoquée en septembre 2017 par Emmanuel Macron, sera-t-elle au cœur des débats ?
Fabienne Blaise : La question sera abordée lors de la troisième séquence du colloque, qui portera sur l’Europe des universités, le vendredi 16 mars. Un atelier sera plus spécialement dédié à l’excellence et l’innovation distribuées et le projet d’universités européennes lancé par le Président de la République sera bien entendu au cœur d’un débat qui dépasse désormais nos frontières.
La CPU a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur la question. Elle est favorable à la création de consortia d’universités issues de différents États membres, qui puissent mettre en cohérence leur stratégie en matière de mobilité, de formation, de recherche et d’innovation. Nous insistons sur le fait que le soutien doit se faire sur le long terme pour permettre de bâtir des liens pérennes entre établissements, de diffuser une culture de la qualité dans l’ensemble des États membres et ainsi de renforcer la place des universités européennes et de l’Union européenne dans la compétition mondiale des talents et de la connaissance.