ECOLES DE MANAGEMENT, UNIVERSITES

« Notre intégration universitaire fait que nous ne nous posons pas de question sur la pérennité de nos diplômes »

Universitaire et couplée à un institut d’administration des entreprises (IAE), l’EM Strasbourg occupe une place à part dans l’univers des écoles de management. Son directeur général, Herbert Castéran, revient sur son modèle et comment il entend le conforter.

Olivier Rollot : Les écoles de management se ressemblent un peu toutes. Qu’est-ce que l’EM Strasbourg amène de différent à ses étudiants ?

Herbert Castéran : L’internationalisation et la personnalisation sont les dimensions que nous mettons plus spécialement en avant. Avec des enseignants, et de plus en plus des coachs, nous proposons par exemple à nos étudiants de suivre un parcours « pro-perso ». Dans ce cadre et tout au long de leurs études, leurs expériences académiques et professionnelles leur permettent de se révéler à eux-mêmes pour exprimer leur potentiel.

Dès l’entretien des oraux de recrutement nous demandons d’ailleurs à nos futurs étudiants de présenter leur passion. La question à laquelle nous voulons répondre est « Qui êtes-vous et comment cela fera de vous demain un manager agile ? ».

Toute cette stratégie s’appuie sur un récent bilan d’image pour dégager notre plateforme de marque : qui sommes-nous dans dix ans et que peut-on apporter aux étudiants pour mieux intégrer les entreprises ?

O. R : Les enjeux des entreprises évoluent beaucoup aujourd’hui ?

H. C : Le marché du travail va profondément changer avec l’irruption de l’intelligence artificielle (IA) et la part donnée aux algorithmes. Il faut savoir donner du sens à l’IA au-delà des bases de données et de leur exploitation, comprendre comment l’information doit être lue et comprise. Il faut définir quelles compétences sont intangibles et comment elles vont pouvoir vous permettre d’évoluer sur 30 ans. Et puis ce qu’un manager doit pouvoir apporter demain, au-delà des softskills, ce sont des « madskills », ce petit grain de folie qu’il faut savoir valoriser pour réussir sa carrière.

Pour mieux suivre nos étudiants pendant les cinq ans qui suivent leur diplomation nous créons également « alumni+5 ». Pendant ces cinq premières années cruciales, nous continuerons à les suivre au moyen d’un coaching individuel. Nous effaçons ainsi un peu plus la frontière qui sépare étudiants et diplômés. Après ces cinq années c’est notre association d’anciens, dont les étudiants sont automatiquement membres, qui prend le relais.

O. R : Mais est-ce vraiment adapté à chaque profil d’étudiant ?

H. C : Faisant partie de l’université de Strasbourg, nous pouvons proposer des parcours académiques sur mesure à chacun de nos étudiants. Des doubles diplômes en management public, des ouvertures sur les sciences humaines et sociales, les études d’ingénierie, tout est possible ou presque pour hybrider les compétences. Aujourd’hui ce sont par exemple 10 à 15 de nos étudiants qui travaillent sur le management public avec l’institut d’études politiques (IEP).

O. R : Et la dimension internationalisation, comment se caractérise-t-elle ?

H. C : Dans toutes nos formations nos étudiants suivent ce que nous appelons des « CLUE » (Cross-cultural skills / Language excellence / Uncommon opportunities / European Leadership). Il s’agit de leur donner des compétences interculturelles qui passent par des mises en situation comme celle que nous réalisons au sein du Parlement européen par exemple. Par ailleurs environ 20% de nos 3300 étudiants sont étrangers.

O. R : Vous êtes universitaire donc vous ne subissez pas les baisses de revenus dont souffrent, et vont encore plus souffrir, les écoles consulaires (sous tutelle des chambres de commerce et d’industrie) ?

H. C : Nos finances sont correctes dans le cadre de l’université. Surtout cette intégration universitaire fait que nous ne nous posons pas de question sur la pérennité de nos diplômes.

Nous pensons aller plus loin avec le réseau européen Eucor qui regroupe quatre universités européennes (Bâle, Fribourg-en-Brisgau, Haute-Alsace et Strasbourg) et le Karlsruher Institut für Technologie. Ensemble nous réfléchissons à un modèle intégratif de business school pour reproduire en quelque sorte le parcours d’Airbus. Cette démarche est rendue possible du fait de notre nature universitaire. Nous avons d’ailleurs déjà monté des doubles diplômes transfrontaliers avec des universités allemandes et suisses auxquelles le modèle « grande école » ne parle absolument pas.

O. R : Vous ne vous inscrivez pas dans une logique de fusion avec d’autres écoles de management françaises ?

H. C : Nous sommes dans une démarche différente. Nous voulons garder une taille humaine pour que tous nos étudiants puissent continuer à être suivis individuellement. Nous n’aurons jamais des tailles de promotions très importantes. Pour 3000 étudiants aujourd’hui nous pensons passer à 4000 dans quatre ou cinq ans.

O. R : On parle beaucoup en ce moment du « continuum » nécessaire entre les classes prépas et les grandes écoles. Que faites-vous pour l’améliorer ?

H. C : L’initiative qu’ont prise l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) et des écoles est excellente car il faut créer une unité dans les parcours. Nous croyons beaucoup à l’enseignement de la culture générale pour poser des référentiels clairs et développer la créativité. Nous pourrions être amenés à employer des professeurs de prépas pour délivrer certains cours et mieux montrer l’unité de la filière CPGE / grandes écoles.

O. R : Allez-vous augmenter le nombre de places que vous proposez aux élèves issus de prépas ?

H. C : Nous proposons cinq places de plus cette année. Nos promotions sont ainsi composées de 255 étudiants issus de CPGE pour 150 admis sur titre. Nous aimerions aussi recruter plus d’élèves dans les prépas littéraires.

Nous sommes aujourd’hui classés à la 15ème place du Sigem et nous estimons que nous devrions plutôt être dans les douze premiers.

O. R : Vous n’avez pas prévu de faire évoluer la façon sont vous faites passer les oraux ?

H. C : Non car ils font déjà émerger des profils intéressants avec une véritable authenticité des candidats. On ne peut pas s’inventer une passion ! Et de cette passion vont découler ensuite des projets qui permettent aux étudiants de commencer à se révéler à eux-mêmes.

O. R : Vous êtes toujours partenaires de Montpellier BS et Rennes SB dans le cadre du concours BCE. Qu’est-ce que cela apporte à vos étudiants ?

H. C : Oui et cela va plus loin que le concours puisque nous offrons la possibilité à nos étudiants de suivre leur troisième année de spécialisation dans l’un des deux autres établissements. Cela nous permet de proposer un portefeuille très étendu de programmes sans disperser nos moyens. Les étudiants peuvent par exemple suivre leur spécialisation en marketing du luxe à Rennes SB ou en œnotourisme à l’EM Strasbourg ou en spécialisation start-up à Montpellier.

O. R : Qui vont jusqu’à la création d’entreprise ?

H. C : Des projets d’entrepreneuriat sont conduits avec des profils ingénieurs et designers qui se retrouvent tous autour de projets dans notre centre de pré-incubation. En mars-avril 2018 nous ouvrirons un nouvel espace dans lequel nous recevrons également les étudiants de notre bachelor entrepreneuriat. Songez qu’en deux ans le nombre de projets proposés par nos étudiants est passé de 40 à 125. Les plus aboutis pourront ensuite être reçu dans un « flex office » qui recevra aussi des start up montées par des étudiants qui ne viennent pas de l’EM Strasbourg.

O. R : Vous êtes également en train de construire un tout nouveau bâtiment.

H. C : Il sera livré en juin 2019 après des premiers déménagements en juin 2018.

O. R : Vos programmes bachelors ont une coloration particulière ?

H. C : Nos bachelors « affaires internationales » et « entrepreneuriat » proposent des pédagogies fondées sur les processus initiés par la Team Academyen Finlande. La classe inversée y prend tout son sens avec un échange de pratiques qui va jusqu’à la valorisation de la « meilleure erreur de la semaine ». En entrepreneuriat nos étudiants montent un projet d’entreprise avec leurs coachs.

O. R : L’innovation pédagogique fait vraiment partie de votre identité. Qu’avez-vous en tête aujourd’hui comme évolutions ?

H. C : Nous voulons développer ce qu’on appelle le « blended learning » et qui mêle cours en ligne et cours en présentiel. L’acquisition des savoirs doit se faire surtout en non présentiel avec des livres électroniques. Le présentiel doit servir à leur mise en œuvre sous forme d’applications et d’exercices. Dans quatre ans, l’objectif est que 3 quarts de nos enseignements soient dispensée ainsi.

O. R : Vos professeurs adhèrent facilement à ces nouvelles méthodes ? Ce n’est pas trop compliqué à mettre en œuvre ?

H. C : Il faut tenir compte des sensibilités de chacun mais les enseignants-chercheurs sont bien conscients des nouveaux besoins des étudiants. A quel niveau ont-ils besoin de développer des compétences préprofessionnelles ? A quel point il est important de leur laisser acquérir des savoirs par eux-mêmes pour que le temps de travail avec le professeur soit consacré à leur donner du sens ?

La principale difficulté dans le cadre de ces cours est l’évaluation de l’acquisition des savoirs par les étudiants. Pour y parvenir un petit quiz peut être administré au début du cours. Nous essayons de développer la simulation / gamification avec des jeux qui mettent en compétition des groupes d’étudiants bien obligés en amont d’avoir acquis les connaissances / compétences nécessaires. C’est assez aisé en marketing ou en ressources humaines mais peut-être plus compliqué en comptabilité.

O. R : Que pensez-vous du projet d’obliger les meilleurs établissements d’enseignement supérieur à intégrer dans le nouveau Parcoursup toutes leurs formations postbac ?

H. C : Ce n’est pas la meilleure initiative qui ait été prise. En sortant notre bachelor d’APB nous sommes parvenus à remplir nos objectifs avec moins de contraintes.

O. R : Vous faites partie d’une université qui possède également un département de gestion. L’entente est bonne entre vous ?

H. C : Il s’agit d’une faculté d’économie et de gestion avec laquelle tout fonctionne très bien. Nous avons par exemple mutualisé un master en finance et nous délivrons des doubles diplômes de licence à nos étudiants en bachelor.

O. R : L’EM Strasbourg est accréditée Epas et AACSB. Pensez-vous en obtenir d’autres dans les années à venir ?

H. C : D’ici deux à quatre ans nous souhaiterions également être accrédités Equis et Amba. On ne peut pas continuer à dispenser de l’excellence sans l’afficher à travers ces accréditations.

O. R : Toutes les écoles de management essayent de développer leur formation continue. Où en êtes-vous ?

H. C : Nous délivrons pas moins 24 formations de master en formation continue. Pour développer les formations courtes certifiantes nous entendons capitaliser sur la recherche de nos enseignants-chercheurs qui peuvent venir présenter de manière opérationnelle un point de leur recherche aux entreprises. Il faut sortir du diptyque dans lequel un enseignant-chercheur publie des recherches qu’un consultant exploite cinq ans plus tard. Nous proposons donc 22 formations courtes sur des aspects recherche que nous entendons valoriser nous-mêmes.

Nous mettons d’ailleurs en place un « Observatoire des futurs » qui fait appel également à des collègues d’autres institutions pour mettre en perspective les besoins émergents des entreprises et leur apporter des réponses. Il faut créer de véritables allers-retours entre l’enseignant-chercheur et l’entreprise.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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