Pétitions, manifestations, les étudiants se mobilisent pour le climat mais l’enseignement supérieur paraît encore bien frileux quand il s’agit de parler de climat et de transition énergétique. Selon l’étude Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat menée par les équipes du think tank spécialisé dans la transition énergétique, The Shift Project, seulement 11 % des 34 établissements d’enseignement supérieur auscultés – choisis pour leur vocation de former de futurs décideurs – abordent ainsi les enjeux climat-énergie de manière obligatoire. « Le sujet n’est qu’effleuré alors que si on regarde les défis de l’avenir auxquels seront confrontés les étudiants il est absolument central », constate Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project et membre du Haut conseil pour le climat créé en 2018 par le gouvernement.
Des enseignements encore trop rares. 76% des formations ne proposent aucun cours obligatoire abordant les enjeux climat-énergie à leurs étudiants. C’est davantage le cas en fin d’études : 66 % des formations les abordant sont de niveau master. Ce sont les écoles de commerce et d’ingénieur (respectivement 54% et 48%) qui proposent le plus de formations abordant les enjeux climat-énergie. Dans les universités, ce chiffre tombe à 8%. Et qu’on en parle cours obligatoires tout est très différent. 26 % des formations d’ingénieurs proposent des cours obligatoires, contre seulement 6 % dans les écoles de commerce et 7 % les universités. Plus étonnant : près d’un tiers des formations qui abordent les questions environnementales au sens large font l’impasse sur les enjeux climat-énergie.
Dans les 24 % de formations proposant des cours, moins de la de la moitié (11 %) ont au moins un cours obligatoire. C’est le cas aux Ponts ParisTech – école sous la tutelle du ministère de la Transition énergétique – dont tous les étudiants de première année suivent un module de sensibilisation « Ingénieur pour un monde incertain » de 15 heures suivi d’un projet suivi du passage du test spécialisé créé par des professeurs de Kedge BS, le Sulitest. A l’ENS Paris, ouverte aussi bien aux scientifiques qu’aux littéraires, si des cours sont donnés sur le sujet pendant les trois années à tous les types d’étudiants réunis c’est en revanche en mineure. Dans beaucoup d’écoles de management c’est la RSE (responsabilité sociale des entreprises) au sens large qui est enseignée. Dans le cadre de la Semaine Étudiante du Développement Durable (SEDD), l’EM Normandie organise par exemple du 25 au 31 mars 2019 sur ses trois campus nationaux (Caen, Le Havre et Paris) une sensibilisation de ses élèves à la pollution des océans, un concours d’art avec des déchets propres, une table-ronde sur les nouvelles tendances alimentaires, une défilé de mode éthique ou encore une conférence sur la gestion des déchets.
Avec sa licence Impact positif PSL entend aller plus loin en créant une formation dédiée au climat et à la transition énergétique. « Nous voulons former des jeunes qui auront l’information au sens très large pour évoluer dans un domaine complexe en bénéficiant de l’expertise de tous nos champs du savoir », confie le président de PSL Alain Fuchs.
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La prise de conscience des étudiants. « En quelques promotions le sensibilité aux questions de climat et d’énergie est devenue très importante auprès des étudiants. Cela nous enjoint à aller plus loin dans l’offre de cours », remarque le directeur général de l’ENS Paris, Marc Mézard, venu ouvrir ce lundi le colloque où étaient présentés les résultats de l’étude du Shift Project. « Avec notre Manifeste étudiant pour un réveil écologique nous avons d’abord voulu nous adresser aux entreprises. Aujourd’hui c’est également aux universités et Grandes écoles que nous demandons de l’enseigner », réagit Lalie Ory, l’une des auteurs du manifeste et étudiante à l’ENSTA ParisTech.
Les étudiants sont passionnés, veulent en savoir plus mais le souci est que, sans un enseignement sérieux du sujet, ce sont trop souvent les lobbys qui s’en emparent. « Aujourd’hui près de 80% des Français sont plus ou moins convaincus que l’énergie atomique contribue au réchauffement de l’atmosphère. C’est un échec collectif de notre capacité à bien en expliquer les enjeux », constate Marc Mézard. « Le monde tel que nous le connaissons dépend de la stabilité climatique depuis 10 000 ans et la fin des glaciations. Nous sommes les double héritiers de cette stabilité et de l’abondance énergétique. Et toutes les deux sont menacées mais on ne l’enseigne pas », résume Jean-Marc Jancovici qui insiste : « Le seul moyen d’être certains que la personne qui vous parle de climat est qualifiée pour le faire est qu’elle ait été publiée dans des revues de recherche à comité de lecture ».
Comment faire évoluer les établissements ? Les freins au développement des formations à la transition énergétique et au climat sont multiples. Et d’abord un enseignement trop disciplinaire qui freine le développement de sujets qui mêlent les disciplines. De même les classements et accréditations ne donnent pas encore assez de place au sujet. Mais rien ne peut surtout se faire sans enseignants. « Le problème est d’abord de constituer des équipes dans tous les types de formation. En informatique comme en droit et pas seulement dans les sciences », remarque l’instigateur du rapport, Jacques Treiner, professeur émérite à Sorbonne Université et conseiller scientifique du Shift Project.
La question de la vulgarisation se pose particulièrement dans les écoles de management et les formations en sciences humaines en général. « Plus on maîtrise des éléments scientifiques comme le rayonnement infrarouge, l’équilibre énergétique ou la mécanique des fluides plus c’est simple de comprendre les enjeux », relève Jean-Marc Jancovici, lui-même professeur aux Mines ParisTech. D’où l’idée du Shift Project de privilégier plutôt à l’enseignement supérieur et à des étudiants, plus à même de comprendre la complexité du sujet, qu’à des collégiens ou lycéens. Ce que conteste par exemple la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherches au CEA et présidente du groupe de travail n°1 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) : « Il faut enseigner les enjeux du climat aux plus jeunes si on veut une vraie prise de conscience ». Ce que ne conteste pas Jean-Marc Jancovici qui conclut : « Ce que nous voulions d’abord c’est évaluer le travail de 34 établissements d’enseignement supérieur qui ont un rôle structurant dans la formation des décideurs. Le bilan est maigre. Pas suffisant pour « Make Planet Great Again » ! »
- L’ensemble des formations de 34 établissements « formant de futurs décideurs » ont été recensées : 12 écoles d’ingénieurs (ENTPE, MINES ParisTech, ENPC, École Polytechnique, Télécom ParisTech, AgroParisTech, ISAE-SUPAERO, Mines Nancy, UTC, Centrale Nantes, ESPCI, Centrale Lyon), 6 écoles de commerce (HEC, ESCP Europe BS, ESSEC BS, EM Lyon BS, Grenoble EM, EDHEC BS) et 4 universités (Paris Sorbonne Université, Grenoble-Alpes, Aix-Marseille, Strasbourg) ; 6 écoles formant des hauts-fonctionnaires (ENA, INET, ENS Ulm, IRA de Bastia, IRA de Metz, ENSAE) ; 6 autres établissements « emblématiques » (Sciences Po Paris, Sciences Po Strasbourg, CELSA, ESJ Lille, Université Paris-Dauphine, ENSAPB).
- Sont considérées comme « abordant » les enjeux climat-énergie toutes les formations (L1-L2-L3, M1-M2, Master spécialisé, diplôme d’école, etc.),pour lesquelles nous avons pu constater qu’un cours au moins évoquait, à un moment ou à un autre, ces enjeux, que ce soit durant 2 des 60 heures du cours magistral obligatoire en L3 ou durant 18 des 20 heures d’un cours de TD optionnel en M2.