Avec des marques comme Iscom, Pigier, MBway ou encore Tunon qui comptent 19 500 étudiants sur 50 campus en France, le groupe Eduservices est l’un des principaux acteurs de l’enseignement supérieur privé. Son président, Philippe Grassaud, revendique sans hypocrisie un statut d’entreprise privée dont se méfient beaucoup d’autres. « Champion » de la professionnalisation il nous explique un modèle dans lequel ses écoles ne recrutent peut-être pas les meilleurs étudiants mais ne les amènent pas moins à l’emploi.
Olivier Rollot : Quand beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur préfèrent adopter un statut d’association le groupe Eduservices que vous dirigez est clairement une entreprise. Pourquoi ?
Philippe Grassaud : Le modèle associatif octroie le bénéfice de la taxe d’apprentissage par une « non lucrativité » statutaire.
C’est la raison pour laquelle il a été pendant des décennies, utilisé par tous les organismes qui ont bâti leur financement sur ce modèle. Celui-ci dissocie les ressources de l’association de son activité réelle puisque le bénéfice de la taxe est indépendant de la production du service.
Nous avons dès l’origine pris un parti diffèrent celui de lier notre performance à notre financement et donc à la satisfaction des familles et des entreprises qui nous font confiance. Nous avons imaginé un modèle d’entreprise éducative dans un univers concurrentiel dont la légitimité ne pouvait se concevoir que dans la réalité du service apporté. Il faut croire que notre choix n’était pas absurde puisque que ce modèle est en train de devenir un objectif pour de nombreuses structures du marché.
La création des EESC pour les CCI aurait pu être un bon exemple, s’il n’avait pas été contrarié par l’autocensure et le conservatisme. L’anathème de la lucrativité qui plane sur les statuts empêche un fonctionnement normal du marché, il faut espérer que la fin programmée du modèle historique du bénéfice de la taxe d’apprentissage ait raison de cette hypocrisie.
O. R : Le gouvernement semble plutôt vouloir ouvrir le secteur à de nouveaux acteurs. Par exemple avec la réforme de l’apprentissage qui permet de créer plus facilement des centres de formation d’apprentis (CFA).
P. G : La philosophie est effectivement de rendre la liberté de mouvement aux acteurs de l’enseignement et de la formation. Nous sommes dans un marché et les règles d’un marché font que chacun va vouloir se protéger et en particulier ceux qui bénéficient de prérogatives avantageuses. La logique est d’essayer de construire des barrières à l’entrée ou bien d’écarter par des règlementations les concurrents. Quand la CGE demande à règlementer selon ses critères l’appellation « bachelor » et vouloir en faire un titre académique alors que nous l’avons inventé en France par la professionnalisation je suis très inquiet pour l’avenir de l’équilibre concurrentiel. De la même manière la volonté de l’université de s’accaparer tout le champ de l’accès aux diplômes.
O. R : L’enseignement privé n’est pas non plus le bienvenue sur Parcoursup…
P. G : Nous n’y avons référencé que notre CFA et nos écoles n’ont effectivement pas vocation dans l’épure actuelle à y entrer. Il y a une schizophrénie permanente entre la volonté de professionnalisation de l’enseignement supérieur et son académisme. On ne veut pas accueillir sur Parcoursup des formations dont la pertinence est attestée par la désormais ex Commission Nationale des Certifications Professionnelles (CNCP) sous la signature du ministère du travail et publiée au J.O.
Comprenez : le modèle académique a pour logique d’amener les étudiants à un diplôme, un cumul de savoirs.
En revanche le modèle de la professionnalisation est celui de l’insertion et de l’emploi. Le mouvement actuel de la promotion des compétences rapproche ces deux modèles, mais les leviers budgétaires sont très différents dans chacun des deux cas. L’action menée depuis ces vingt dernières années par la CNCP est à ce titre remarquable, qui sous l’égide de son président Georges Asseraf a inventé une méthode et une pédagogie des acteurs que beaucoup nous envient. Nous lui devons une offre de formation privée de qualité et dotée de titres et de compétences propres.
C’est ce travail qui a fait le succès des contrats de professionnalisation et qui a inspiré la réforme en cours.
O. R : Quel métier particulier fait un groupe comme Eduservices que ne fait pas l’enseignement supérieur « classique » ?
P. G : Notre logique est d’abord celle de l’insertion des étudiants et, en amont à leur donner un comportement leur permettant de signer leur premier contrat de professionnalisation ou d’apprentissage.
Notre travail commence par une démarche auprès des entreprises pour les convaincre d’embaucher dans le cadre de leurs études des jeunes que nous aurons préparé. Pour cela 180 conseillers formation dans toute la France ratissent le terrain de l’emploi, des plus petites aux plus grandes sociétés, pour marier les jeunes et les entreprises. Puis de conduire ces jeunes vers un emploi en deux, trois ou cinq ans. Pour cela il est nécessaire de bien connaître le tissu économique territorial, les spécificités de la demande en termes de compétences, les niveaux de salaire, et d’accompagner chaque individu au-delà de l’école et de l’enseignement délivré.
La plupart des établissements d’enseignement supérieur se battent sur le « haut du panier » des étudiants. Nous ne recevons pas les jeunes sur des critères scolaires ou d’excellence. Les territoires sont très divers et nous offrent une grande diversité de profil comme de niveau social. C’est notre imbrication dans la logique de chaque secteur économique comme notre souplesse d’adaptation à la demande des jeunes comme de leur famille qui fait notre succès.
O. R : Vous proposez quels types de contrat à vos étudiants ?
P. G : En moyenne aujourd’hui dans l’ensemble de nos écoles il y a chaque année 250 contrats d’apprentissage signés pour 9000 contrats de professionnalisation. La moitié de nos étudiants suivent leurs études en alternance et l’autre en formation initiale qui débouchera toujours sur une alternance. Après un ou deux ans en formation initiale ils sont capables de basculer dans l’entreprise pour leur formation.
Nous mixons ainsi l’investissement des parents et celui des entreprises. A l’arrivée leurs études n’auront rien coûté financièrement à nombre de nos étudiants et leur auront même apporté un revenu. En revanche l’investissement personnel et le travail qui leur est demandé pendant leur parcours les aura transformés.
O. R : Que pensez-vous des périodes de préapprentissage que prévoit la réforme ?
P. G : Elles sont trop restrictives pour concerner beaucoup d’apprentis. Nous faisons un gros travail quand nous prenons des jeunes après le bac, après un bac professionnel notamment, pour les amener à l’emploi. Cela demande beaucoup de discipline pour trouver une entreprise et s’y insérer. Nous insistons d’ailleurs beaucoup pour que les parents restent présents. La famille ne doit pas se dédouaner sur l’école. Nous la responsabilisons en demandant toujours aux enfants de venir avec leurs parents et en organisant toute l’année des réunions parents / étudiants. Pour réussir il faut établir un lien tripartite entre le jeune, l’entreprise et la famille. Nous leur disons si leurs enfants ne sont pas matures quitte à passer ensuite un contrat en cours d’année.
La première compétence que nous attendons de nos étudiants c’est de savoir se vendre, de montrer un bon comportement, de l’agilité et de donner confiance.
O. R : Quelle évolution envisagez-vous pour les contrats d’apprentissage et de professionnalisation ?
P. G : Si nous proposons aujourd’hui beaucoup plus de contrats de professionnalisation que d’apprentissage c’est, entre autres, parce que jusqu’à aujourd’hui pour obtenir quelques unités supplémentaires dans un Centre de formation d’apprentis (CFA) il fallait discuter pendant deux ans avec la région. Avec la réforme en cours nous pourrons ouvrir demain quarante places si nous avons l’entreprise et le jeune prêt à s’engager mutuellement. J’ajoute qu’être rétribué au contrat, comme cela va être maintenant le cas, est un élément de bon sens. C’est la logique des contrats de professionnalisation et c’est vraiment la réussite du privé, qui a inspiré par l’exemple de sa réussite la réforme. Le contrat de professionnalisation c’est le contrat d’apprentissage qui aurait réussi !
O. R : Les CFA se posent justement beaucoup de questions sur leur avenir…
P. G : Les CFA déjà très actifs vis à vis du marché voient la réforme sans crainte. Au contraire de ceux qui se sont contentés ces dernières années de capter de la taxe d’apprentissage et de laisser leurs élèves se débrouiller pour trouver leur entreprise. C’est la force du privé que d’avoir été obligé de trouver ces entreprises pour ses étudiants. Les CFA qui sont uniquement dans une posture d’offre seront dépassés.
O. R : Vous allez ouvrir de nouveaux CFA ?
P. G : Nous allons ouvrir de nouveaux CFA mais aussi apporter notre compétence à des entreprises qui souhaitent en ouvrir pour elles-mêmes. Nous pourrions gérer ces CFA d’entreprise en leur proposant l’ingénierie nécessaire. Ce n’est pas leur métier de recruter des professeurs et des jeunes. L’investissement des entreprises est essentiel et nous souhaitons les accompagne