En 25 ans d’existence Strate Ecole de design a acquis une renommée internationale. Aujourd’hui elle essaime en ouvrant de nouveaux campus en France et dans le monde. Retour sur un modèle unique avec son directeur, Dominique Sciamma.
Olivier Rollot : Il n’est pas toujours facile d’expliquer ce qu’est le design en France. Toute la démarche d’usage qui est finalement incarnée par une démarche plus artistique. Qu’attend-on aujourd’hui d’un designer ?
Dominique Sciamma : Nous formons des jeunes connectés à une réalité économique qu’on ne maîtrise pas. Nous avons une haute idée du design comme une discipline mure. Les designers ont vocation à occuper de hautes responsabilités. Nous sommes ainsi proches de la vision de l’Ecole de design Nantes Atlantique. Les écoles de design sont les instituts d’études politiques (IEP) de demain !
O. R : Après Paris (Sèvres), après l’Inde et Singapour, Strate poursuit son expansion en s’implantant à Lyon à la rentrée 2019. Pourquoi Lyon ?
D. S : Nous avions imaginé différentes villes et il est rapidement apparu clair que c’était à Lyon qu’on nous attendait le plus. Les étudiants seraient venus partout mais encore plus à Lyon où le groupe Galileo Global Education est déjà implanté. Nous avons déjà trente inscrits pour la prochaine rentrée. Idéalement nous aimerions recevoir 50 étudiants pour cette première promotion.
O. R : De plus vous y avez trouvé des locaux adaptés !
D. S : Nous nous installons au sein d’anciennes halles qui avaient été transformées pour recevoir l’école d’architecture Confluence Institute d’Odile Decq, qui déménage à Paris. Au début nous pensions nous y faire héberger pendant deux ans avant de nous faire construire notre propre bâtiment et là nous allons tout de suite pouvoir nous installer dans 2100 m2 adaptés à notre métier. Un très bel atelier en rez-de-jardin avec de grands plateaux.
C’est d’ailleurs aussi l’opportunité de réinventer notre enseignement dans des locaux mieux conçus que ceux que nous avons à Sèvres. Nous nous rapprochons ainsi des grandes écoles de design de Montréal, Providence ou Detroit.
O. R : Strate ce n’est plus un diplôme unique en design ? Très renommé mais unique.
D. S : Depuis 2017 notre diplôme de designer, accessible après le bac pour cinq ans d’études, est visé. Nous proposons également un mastère Innovation et design, un MBA Management by design ou encore un bachelor Modeleur 3D. Nous délivrons également des doubles diplômes : d’abord avec Grenoble EM puis avec Sciences Po Paris dont les premiers diplômés sortent cette année. En 5ème année nos étudiants peuvent travailler à des projets d’entrepreneuriat communs avec ceux de Paris School of Business.
La formation tout au long de la vie nous intéresse aussi. Au sein des locaux de l’agence de design d’Olivier Saguez nous avons ainsi créé un lieu, le « Design Act ! » dédié à l’innovation sociale. Douze étudiants y sont mentorés par des designers de l’agence. Nous y faisons aussi de l’executive education autour du design. Nous avons formé 2000 personnes en quatre ans dont les deux tiers chez Accenture.
O. R : Strate fait-elle également de la recherche ?
D. S : Nous sommes même la seule école privée dans laquelle sont employées quatre chercheuses ! Elles travaillent par exemple à la « création de la valeur par le design » avec des entreprises comme Carrefour, Otis, la Maif, Emakina ou InProcess. Nous recevons également cinq thésards en contrat Cifre adossés aux laboratoires de l’Ecole polytechnique et de Telecom ParisTech.
A la rentrée 2019 nous allons ouvrir un nouveau laboratoire consacré à « l’intelligence artificielle (IA) et à la robotique sociale : vers un nouveau vivre ensemble ». Vivre aux côtés de machines qui prennent des décisions à notre place – Alexa, robots sociaux, etc. – est très perturbant. Nous allons travailler à ce sujet, notamment avec le leader des maisons de retraite, Korian, qui travaille sur des objets relationnels permettant de conserver un lien avec sa famille.
La robotique sociale est un domaine sur lequel travaillent beaucoup les chercheurs japonais. Ils n’en ont pas peur comme nous pouvons la craindre. Je suis moi-même mathématicien de formation et passionné par l’IA, et ai amené cette thématique dans l’école depuis 2007.
O. R : Vos étudiants sont-ils également des créateurs d’entreprise ?
D. S : Depuis 2013 l’entrepreneuriat explose même chez nos diplômés. Baptiste Rosay a créé des blousons de moto lumineux (Raylier), Judith Lévy « Même », des produits de beauté destinés aux femmes touchées par le cancer, Sandra Rey Glowee qui s’appuie sur des bactéries luminescentes pour produire de la lumière. Reconnue par la MIT Technology Review elle a levé plusieurs centaines de milliers d’euros de capitaux pour développer son idée. Et des exemples comme ceux-là il y en a encore beaucoup d’autres. Nous avons même créé une option entrepreneuriat en cinquième année que suivent environ 20 étudiants.
O. R : Comment entre-t-on à Strate ?
D. S : Essentiellement dès le bac. Tous les bacs, même un bac professionnel, même si les bacheliers S sont aujourd’hui les plus nombreux. Nous recrutons d’abord sur la personnalité, la culture, la motivation. Notre recrutement démarre de plus en plus tôt. Début février nous n’avons déjà plus de places.
Les futurs étudiants peuvent venir tester l’école en suivant un cours de dessin ou de modelage mais aussi en passant deux jours à réaliser un projet encadrés par nos étudiants. Les candidats ont trop souvent une idée préconçue de ce qu’est le design et nous les confrontons à une réalité qui va bien au-delà de faire de beaux dessins.
O. R : Vous allez ouvrir d’autres écoles dans le monde dans les années à venir ?
D. S : Nous voulons ouvrir des écoles en Allemagne, en Afrique du Sud, en Afrique… le monde a besoin du design ! Fin avril nous inaugurons officiellement notre campus de Singapour.