CLASSES PREPAS

«Nous ne sommes pas dans une phase d’hémorragie de nos talents»: Jean Bastianelli (APLCPGE)

Proviseur du lycée Louis-le-Grand, Jean Bastianelli préside l’Association des proviseurs de lycées ayant des classes préparatoires aux grandes écoles (APLCPGE). Il revient avec nous sur les différentes réformes qui impactent les lycées.

  • Cet entretien a été publié pour la première fois dans le numéro 26 de « L’Essentiel Prépas » du 5 avril dernier.
Jean Bastianelli

Olivier Rollot : L’anonymisation des profils des candidats sur Parcoursup a été partiellement adoptée. Les nom, prénom, âge et adresse sont masqués alors que le lycée d’origine reste visible. Avec l’APLCPGE, vous vous étiez prononcé contre cette mesure. Que va-t-elle signifier pour les lycées en définitive ?

Jean Bastianelli : Le sujet était de répondre à une attente des familles tout en laissant aux lycées la possibilité de piloter le recrutement des lycées et notamment leur ouverture sociale. Or dans la demande telle qu’exprimée, il y a un paradoxe : tout devrait être anonyme – alors qu’on se méfie des algorithmes. Mais anonymiser c’est justement aller vers le tout automatique ! C’est peut-être le moment ou jamais pour nous de faire comprendre que nos commissions de sélection ne fonctionnent pas avec des algorithmes au sens où l’entendent les familles. Que rien n’est mécanique dans notre processus. Que notre étude de dossier est très concrète avec l’examen de tous les éléments y compris ceux qui ne sont pas « barémisables » : la motivation, l’orientation, le parcours, la volonté, tout le vocabulaire des appréciations des professeurs et proviseurs, ou encore avoir participé à des ateliers spécifiques, à des concours…

C’est ainsi que, dans le cas de Louis-Le-Grand et des lycées au recrutement national, nous pouvons accueillir des candidats originaires de la France entière. Nous faisons confiance aux équipes pédagogiques de tous les lycées dans leur capacité à évaluer les compétences et les vœux d’un élève. Si elles nous indiquent que l’élève a le niveau, nous leur faisons confiance. L’anonymisation nous paraît une mesure inutile et paradoxale, mais nous pourrons évidemment fonctionner sans connaître le nom, le prénom et l’adresse des candidats.

O. R : Le dispositif « meilleurs bacheliers », qui permet à des élèves ayant eu de très bons résultats au bac d’intégrer les meilleures filières, vous permet-il de recruter des élèves que vous n’auriez pas pris sinon ?

J. B : Nous en prenons un ou deux par classe que nous avions de toute façon classés comme étant potentiellement susceptibles de rejoindre nos formations.

O. R : On s’indigne régulièrement de voir un petit nombre de lycées, dont le vôtre, représenter la majorité des admissions dans les très Grande écoles. Dont l’Ecole polytechnique. Que répondez-vous ?

J. B : Mais que nos élèves viennent de toute la France ! APB puis Parcoursup ont induit cette fusée à deux étages. Auparavant le choix de lycées était moins large, on ne disposait que de trois vœux qui étaient étudiés dans des commissions l’un après l’autre. Aujourd’hui un candidat peut exprimer dix sous-vœux (donc dix établissements différents) pour une filière de CPGE, il peut donc se porter candidats sur des établissements dans toute la France sans réfléchir à des stratégies locales ou régionales, et tenter d’accéder à des lycées très sélectifs dans tout le pays. Ainsi, il préfère souvent choisir la mobilité géographique pour candidater à l’X dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, la moitié des élèves de prépas de Louis-le-Grand viennent de province et 10% de l’étranger – essentiellement des lycées français de l’étranger – pour 40% d’Ile-de-France.

O. R : La concurrence pour attirer les meilleurs élèves est de plus en plus rude avec les meilleures universités européennes ou même américaines. Nos meilleurs établissements parviennent-ils à y résister ?

J. B : Je connais cette question, qui laisse entendre qu’il y aurait une « fuite » de candidats vers l’étranger. Mais une université comme l’EPFL de Lausanne n’est pas vraiment différente d’une de nos écoles d’ingénieurs, qui sont tout aussi ouvertes à l’international et offrent elles aussi une excellente employabilité. Dans le cas de l’EPFL, avec de surcroît une sélectivité très forte entre la première et la deuxième année. On ne comprend pas ce qu’apporte cette précision ici. J’entends parler de concurrence mais, ce que je constate, c’est plutôt une certaine frilosité des étudiants français à partir étudier à l’étranger.

Nous ne sommes pas du tout dans une phase d’hémorragie de nos talents et je n’ai pas d’état d’âme à voir des étudiants rejoindre les universités étrangères. À mon sens, cela ne remet absolument pas en cause l’attractivité des classes préparatoires, au contraire. Les élèves sont tous différents et il est bon qu’ils puissent choisir leur parcours dans le cadre d’un enseignement supérieur diversifié, en France ou à l’international !

O. R : Les élèves de seconde sont en train de choisir leurs spécialités de première dans le cadre du nouveau bac qui sera proposé en 2021. Avez-vous déjà une idée des spécialités qui mèneront au mieux aux classes préparatoires ?

J. B : Avec d’autres conférences de l’enseignement supérieur (Conférence des présidents d’université, Conférence des grandes écoles, Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur), nous sommes signataires d’une charte qui entend précisément laisser un large choix de spécialités. Mon conseil aux lycéens est de réfléchir à ce qu’ils aiment vraiment faire et de ne pas entrer dans une mécanique où telle filière serait la seule à permettre d’intégrer telle formation. Ils peuvent réfléchir de façon très ouverte.

Pour intégrer une classe préparatoire scientifique il faut étudier les sciences mais au sens large avec aussi bien la spécialité mathématiques que physique-chimie, SVT, sciences de l’ingénieur ou encore numérique et sciences informatiques. Evidemment, si on postule à une classe préparatoire MP-SI très sélective il ne faut pas oublier les mathématiques et la physique… Pour le reste, c’est très ouvert !

O. R : La question est particulièrement délicate pour les prépas EC qui étaient jusqu’ici liées au bac du candidat. Quelle spécialité choisir pour les intégrer maintenant ?

J. B : Jusqu’à présent il fallait passer par un bac S pour entre en ECS. Ce qui signifiait suivre beaucoup de cours de physique et de SVT pour des élèves dont ce n’était pas la passion. Demain le panel de spécialités sera beaucoup plus ouvert, avec le choix de spécialités comme « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques », « Langues, littératures et cultures étrangères », « Humanités, littérature et philosophie » ou encore « Sciences économiques et sociales ».

O. R : Qu’en disent les écoles de management ?

J.B : Nous travaillons avec elles pour prendre acte qu’il n’y a plus de filières et donc une plus grande diversité de profils. Reste à trouver une formule d’enseignement adéquate pendant les prépas avec des épreuves finales possédant des coefficients différents – voire des quotas réservés – pour préserver cette diversité de profils. La réflexion et les concertations sont en cours, le Ministère de l’enseignement supérieur s’est emparé de la question : nous y travaillons !

O. R : A Louis-Le-Grand même quelles spécialités allez-vous ouvrir à la rentrée 2019 ?

J. B : Nous sommes restés fidèles à l’identité du lycée en ouvrant les spécialités de nos deux pôles, littéraire et scientifique. A partir du la fin du deuxième trimestre, nous allons regarder les combinaisons de spécialités que vont choisir nos élèves. Il pourrait y avoir des difficultés pour proposer certaines spécialités dans lesquelles il y aurait très peu de candidatures et qui reviendraient donc très cher à mettre en œuvre.

O. R : Avez-vous une idée des futurs choix d’option ?

J. B : Des options de première comme latin et grec seront surement très suivies chez nous. En terminale on peut imaginer que l’option « mathématiques expertes » sera très demandée, notamment pour des lycéens qui veulent intégrer une très bonne prépa MP-SI ou PC-SI. Si on veut suivre quatorze heures de maths par semaine, mieux vaut y être préparé mais attention : ce ne sera pas un passage obligé.

O. R : Il sera possible de changer de spécialité entre la première et la terminale ?

J. B : Oui sur le principe, après avis du conseil de classe et en présentant un projet en ce sens.

O. R : Au total quels enseignements vous semblent devoir être favorisés par la nouvelle mouture des spécialités du lycée et du bac ?

J. B : Favorisés ? Je ne sais pas. Comme je vous l’ai indiqué, les choses sont très ouvertes. Il y a le tronc commun, qui représente 16 heures d’enseignement, pour douze heures de spécialités. On parle beaucoup du renforcement des mathématiques mais elles ne sont pas dans le tronc commun. Or beaucoup de parcours ont recours aux mathématiques, que ce soit pour faire des études d’ingénieur, de médecine, de la recherche scientifique, mais aussi de l’économie, de la finance, des statistiques, etc. Les élèves de seconde qui s’orientent vers ces secteurs auront donc tout intérêt à opter pour la spécialité mathématiques en première. Mais en terminale, les possibilités de combinaisons entre les spécialités et les options permettent de construire les choses de façon fine et appropriée : c’est notre responsabilité de les accompagner au mieux !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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