PROGRAMMES

De la fièvre du bachelor au Graal du grade

Le suspense a été bien entretenu. Finalement la Commission des titres d’ingénieur (CTI) aura été la plus ouverte que la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) pour remettre aux établissements ce fameux « grade de licence » tant attendu. 17 des 33 dossiers que la CTI administrait ont en effet été reçus quand la Cefdg en a retoqué 20 sur 35 (retoqué signifiant aussi bien « négatif » que « réservé » en leur promettant de se revoir dans un an). « Ceux qui n’ont pas été retenus étaient tout simplement non conformes avec la grille que nous avions conçue qui reprend des éléments de nos propres évaluations (le référentiel R&O), de l’arrêté sur le grade de licence mais aussi des référentiels européens et en particulier d’EUR-ACE », commente la présidente de la CTI et directrice générale de l’Ensta Paris, Elisabeth Crépon.

Les « perdants » ne font guère de commentaire officiels, tout en s’interrogeant les uns sur le « manque de recherche qu’on leur reproche », les autres sur le sens d’une « politique de site » dans laquelle ils « ne joueraient pas le jeu »… Alors qu’aujourd’hui le « grade de master » est devenu un viatique indispensable pour tout école de management se situant en « première ligue », de même pour le label CTI qui donne également le grade de master, comment les étudiants vont-ils réagir en constatant qu’un établissement a, ou pas, obtenu le grade de licence ? Une question dont n’ont pas à se soucier les instituts universitaires de technologie (IUT) pour leur tous nouveaux bachelors universitaire de technologie (BUT)…

Quel impact aura le grade de licence ? Aujourd’hui les titulaires de bachelors des meilleures Grande écoles de management, celles qui ont justement déjà le grade de master, peuvent intégrer sans souci pour la plupart ensuite des formations universitaires – institut d’administration des entreprises ou autres – comme les programmes Grande école. La question du poids d’un grade universitaire se posait plutôt pour les étudiants internationaux, qui veulent avoir la garantie de pouvoir poursuivre leur cursus ensuite, et donc la garantie que leur apporte le grade de licence. Mais ils ne sont pas très nombreux dans la plupart des bachelors des écoles de management, dont le recrutement est essentiellement local, si on excepte le BSc de ESCP. « Le grade de licence est une reconnaissance pour notre bachelor, lancé il y a 5 ans et constitue désormais une référence d’excellence en Europe. Aujourd’hui, il est fondamental de se prévaloir d’une reconnaissance officielle pour apporter une meilleure lisibilité aux jeunes et à leur familles », explique ainsi son directeur général, Frank Bournois.

Pour tous les bachelors c’est essentiellement la reconnaissance de leur qualité sur un marché très encombré qui emporte. « Le grade de licence est une petite révolution que toutes les Grandes écoles attendaient, afin de donner une meilleure lisibilité dans cette offre bac+3 aujourd’hui difficile à comprendre pour les familles et les entreprises. Il est utile de pouvoir se démarquer d’une concurrence qui ne propose pas tout à fait la même proposition de valeur », commente Françoise Roudier, la directrice générale du groupe ESC Clermont quand, pour Oussama Ammar, le directeur des programmes de MBS « il complète le visa, témoin du niveau académique garanti par l’Etat, et ajoute une assurance supplémentaire pour les lycéens qui recherchent une formation d’excellence leur permettant d’intégrer le marché de l’emploi ou de poursuivre leurs études ».

Une belle reconnaissance dont se réjouit également Marc Gibiat, directeur des Audencia Bachelors, qui vient d’obtenir le grade pour son Audencia Bachelor in Management : « Avec l’obtention du grade de licence, notre Bachelor fait désormais partie des formations disposant du niveau de reconnaissance le plus élevé possible en matière de certification de sa qualité par l’Etat. Pour les candidats et leurs familles, le double critère Visa-grade de Licence permet une meilleure lisibilité, notamment via la mention du grade sur Parcoursup, parmi l’offre pléthorique sur le marché de formations utilisant cette dénomination commerciale de Bachelor, qui n’est pas règlementée ». Même satisfaction du côté de l’ICN dont Christine Kratz, la directrice des programmes, explique que « le grade de licence renforce encore la démarche qualité et d’excellence académique du programme. Ses critères d’attribution portent sur la politique de site, la sensibilisation à la recherche et la politique d’ouverture sociale ».

L’impact est très différent pour des écoles d’ingénieurs dont les bachelors sont très récents si on excepte les « pionniers » que sont Arts et Métiers ou l’EPF. « Nous n’avons pas de recul sur ces grades qui sont nouveaux et pourrons constater à la rentrée 2021 leur impact vis-à-vis des bacheliers et de leurs familles en comparant le nombre et la qualité des candidats de cette année avec le grade de licence à ceux de l’année passée pour des bachelors attribuant des titres Rncp de niveau 6 », estime ainsi Frédéric Meunier, le directeur général de l’Efrei. De son côté ESTP Paris souhaite quant à elle « développer, étoffer et assoir son offre de formations post bac sur ses différents campus, et ouvrir ses portes plus largement aux nouveaux bacheliers dans les 5 prochaines années ». Le grade de licence lui « permet de s’inscrire dans le système LMD ».

Pourquoi les écoles ont obtenu le grade ? Pour obtenir le grade, il fallait d’abord bien comprendre les attendus de la Cefdg et de la CTI qui, en mettant en place cette nouvelle reconnaissance, ont fixé des critères et des objectifs que les écoles devaient atteindre. « Les conditions d’obtention du grade sont plus exigeantes que celles du visa. Le référentiel évalue notamment en profondeur la qualité et la composition du corps professoral ainsi que l’internationalisation du cursus. Les prérequis intègrent aussi un diagnostic poussé de la politique d’ouverture sociale et de la proximité de l’école avec le monde économique, deux des points forts du bachelor de MBS soulignés par la Cefdg », estime Oussama Ammar. Un travail avec les entreprises important également pour Eric Savattero, directeur des formations de l’EPF : « Le diplôme de bachelor répond à une demande des recruteurs qui voient en son détenteur la garantie d’un profil immédiatement opérationnel et au fait des réalités du terrain, qui ne nécessitera pas un investissement en formation outre-mesure. C’est pourquoi nos formations de bachelors ont été construites en lien avec les entreprises pour répondre à des problématiques concrètes, rencontrées sur le terrain ».

La bonne insertion des programmes dans la politique de site est également un atout important comme l’analyse François Roudier : « Nous sommes membre associé de l’université Clermont-Auvergne et actifs pour contribuer au dynamisme et à l’attractivité du site ». La sensibilisation des étudiants à la recherche donnant lieu à évaluation et à des crédits ECTS, la qualité des programmes via l’insertion professionnelle et la réussite des jeunes diplômés ont également été mis à l’actif de la business school clermontoise ainsi qu’une « stratégie glocale et un positionnement d’Ecole à dimension humaine student centric qui se voit récompensée par ce grade de licence à la puissance 2 ! ». Enfin le poids de la recherche est scruté. Notamment dans les écoles de management. Dans son avis sur le BSc de ESCP la Cefdg a ainsi salué « la sensibilisation effective des étudiants à la recherche tout au long de leur cursus ». Le programme bénéficie en effet de « la qualité et de l’importance de la recherche menée à l’école » et permet une grande ouverture à d’autres disciplines issues des sciences humaines et sociales, grâce notamment à « l’intégration de l’école dans Sorbonne Alliance et son partenariat avec Paris I dans l’école doctorale».

Des qualités à démontrer. Le grade de licence étant tout neuf, il fallait bien comprendre les attendus des deux commissions. Et donc réaliser un long travail en amont. « Tout d’abord il fallait bien comprendre les attendus de la CEFDG qui, en mettant en place cette nouvelle reconnaissance, fixe des critères et des objectifs que les écoles de management doivent atteindre pour prétendre à ce grade de licence, en sus du visa. Nous avons pris la mesure de ces attentes et travaillé en profondeur pour produire un rapport dans les normes de qualité et de sérieux qui sont les nôtres », se souvient Françoise Roudier.

Pour déposer son dossier ESTP a ainsi constitué un dossier répondant à un cahier des charges très précis (composition du corps enseignant, exposition à la recherche, approche compétences, ouverture internationale.) auprès de la CTI en septembre 2020. En complément un audit de la CTI s’est tenu en octobre 2020, 25 critères ont été étudiés (pédagogiques, emploi, lien avec le monde économique, recherche, démarche qualité…), avant la décision finale d’accréditation.

Dans le même esprit l’Efrei a mobilisé une équipe dédiée sur un temps très court (14 juillet-31 août) qui a passé des centaines d’heures pour déposer à la CTI trois dossiers, représentant en cumulé 750 pages annexes comprises, répondant aux critères d’attribution du grade de licence. Un travail harassant dans une année marqué par la pandémie. « Nous sommes reconnaissants à tous ceux qui ont trouvé l’énergie, après une année scolaire particulièrement compliquée et challengeante, pour réaliser une telle prouesse pendant cette période estivale », confie Frédéric Meunier.

Mais que sont ces bachelors ? L’impact qu’aura l’obtention du grade de bachelor sur les écoles d’ingénieurs est d’autant plus difficile à définir que l’hétérogénéité y règne. Quoi de commun en effet entre le bachelor de l’Ecole polytechnique, destiné d’abord aux étudiants internationaux de tout premier plan, et qui poursuivront leur cursus, et celui des Arts et Métiers, conçu pour les bacheliers STI2D dont l’école espérait qu’ils entreraient sur le marché du travail ensuite ? Et bien la volonté de ne pas voir leurs titulaires poursuivre leur cursus dans l’école où ils ont effectué leur bachelor, sans doute histoire de ne pas heurter des classes préparatoires bien échaudées par la concurrence que leur font déjà bachelors des écoles de management. Une volonté que n’ont évidemment pas les écoles postbac privées qui sont celles dans lesquelles fleurissent essentiellement les bachelors aujourd’hui.

Côté écoles de management également les bachelors sont multiples même si la dichotomie essentielle se situe entre les bachelors en 3 ans et ceux en 4 ans, les deux étant éligibles au grade de licence. Skema propose ainsi deux programmes en 3 et 4 ans : le BBA in Global Management en 4 ans, intégralement enseigné en anglais, qui propose une mobilité internationale d’un ou deux ans, et le programme Esdhem, un double cursus qui associe un parcours diplômant (une licence universitaire) à la préparation aux concours des Grandes écoles de commerce. ESC Clermont a quant à elle développé depuis 10 ans un programme en management international très généraliste, qui s’adresse selon Françoise Roudier à des « étudiants issus de bacs généraux et intéressés par les métiers de l’entreprise au sens large, qui veulent acquérir une forte culture de l’entreprise à bac+3 et se spécialiser ensuite en master ». Alors que les bruits se font persistants autour de la volonté du nouveau directeur général de HEC, Eloïc Peyrache, d’ouvrir à son tour un bachelor, le grade de licence est bien le nouveau Graal de l’enseignement supérieur.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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