UNIVERSITES

« Les universités doivent donner aux IAE les moyens d’être les meilleurs »: entretien avec Eric Lamarque, président de IAE France

Les sciences de gestion restent une discipline à part ? Alors que les instituts d’administration des entreprises (IAE) sont en plein développement, ils doivent parfois encore parfois trouver leur place dans l’université. Président de l’IAE Paris Sorbonne et du réseau des IAE, candidat à la reconduction de ces deux mandats cette année, Eric Lamarque s’interroge avec nous sur le modèle IAE et ses perspectives.

Olivier Rollot : Vous êtes président du réseau des IAE, IAE France, depuis 2018. Comment se portent les IAE aujourd’hui ?

Eric Lamarque : De mieux en mieux. La Nouvelle Calédonie est dans la procédure d’adhésion après sa création, l’arrivée des IAE de Versailles Saint-Quentin et Angers, la Guyane, où ce sont les IAE de Paris et La Rochelle qui ont créé un diplôme sur place, prémices d’un futur IAE, nous sommes sollicités pour aider à créer des IAE dans de nouvelles villes comme Reims, Colmar ou des extensions comme à Saint Quentin avec l’IAE d’Amiens. Il devrait y avoir 40 IAE dans deux ans contre 32 au début de mon mandat.

Nous assistons à l’émergence de coopérations régionales fortes avec des laboratoires de recherche communs, que ce soit entre les IAE de Caen et de Rouen incluant Le Havre qui n’est pas un IAE ou de Nancy et Metz. Cela va parfois à rebours des politiques de site où on voudrait mettre dans le même lot les sciences de gestion avec d’autres disciplines scientifiques pour créer de plus gros laboratoires. Or les dynamiques de recherche en gestion, en économie – qui est très « quanti » – ou en sociologie sont très différentes. Il faut que les universités nous permettent de travailler différemment des autres sciences humaines qui ont chacune leurs spécificités. Regrouper les sciences de gestion avec la sociologie dans une School of Social Science, comme à Paris-Saclay, est-ce vraiment opportun pour la visibilité de nos établissements ?

O. R : Les sciences de gestion restent une discipline à part ?

E. L : Nous sommes une discipline jeune – 50 ans – ce qui est l’âge de l’adolescence à l’université. Avec plus de 20 associations scientifiques nous nous éparpillons. Heureusement la Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises) nous donne une unité. Juristes et économistes sont unis, en dépit de combats internes très durs, pour ne pas diviser leur discipline.

De plus nous sommes la seule discipline coupée en deux entre les facultés d’économies et gestion le plus souvent et les IAE au sein d’une même université. Certains préfèrent en effet être rattachés à l’économie. Notre principal point de faiblesse est de ne parler que pour une partie de la gestion, certes la plus importante. L’un de mes combats est donc de regrouper au maximum toutes les sciences de gestion universitaires dans un système de type IAE pour leur donner de la visibilité avec les instituts universitaires de technologie (IUT) dont nos laboratoires accueillent les enseignants chercheurs. Quand on n’est pas forcément mis en avant dans une université, il faut se regrouper et il faut travailler avec des collègues de la même discipline pour éviter l’isolement et atteindre une taille critique. C’est ce que nous avons fait à l’IAE Paris-Sorbonne en créant le groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Sorbonne Recherche en Management » avec l’Ecole de Management de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. La recherche est de plus en plus importante dans l’ensemble des IAE qui compte aujourd’hui plus de 1300 chercheurs contre 1200 il y a trois ans.

O. R : Vous avez su développer des synergies profondes avec l’Ecole de management de La Sorbonne ?

E. L : Nous partions de conflits forts après l’épisode du départ avorté de l’IAE vers Paris-Dauphine. Aujourd’hui nous avons su constituer le premier pôle public de l’enseignement supérieur en management sans concurrence frontale sur plus de 40 diplômes. Demain nous créerons peut-être ensemble une marque ombrelle et un portail internet commun.

O. R : Et au sein de Sorbonne Alliance, est-ce possible pour votre IAE de se rapprocher de ESCP ?

E. L : Il faut d’abord se structurer entre acteurs publics avant d’aller se rapprocher du privé. Avec ESCP nous sommes à un niveau de compétition élevé. Un jeu d’égal à égal en termes de niveau de recrutement, notamment en licence. Nous ne sommes certainement pas la voiture balai de ceux qui ne peuvent pas se payer des études chères. Cela va bien au-delà d’une simple mission de service public. Les universités doivent nous donner les moyens d’être les meilleurs à un prix faible ou très inférieur à celui du privé.

O. R : Les IAE se sentent-ils toujours bien considérés dans leurs universités ?

E. L : Nous faisons partie de nos universités et nous sommes au service de leur rayonnement. Il n’est pas question de créer aujourd’hui un réseau des IAE à côté des universités. Cela dit il est clair que certaines universités portent plus les IAE que d’autres. Dans un milieu universitaire très marqué par la santé, le droit et les sciences, les IAE doivent se faire reconnaître comme une alternative aux écoles privées. Songez que nous n’avons obtenu un onglet dédié aux IAE sur Parcoursup que cette année.

O. R : Et quels rapports entretiennent les IAE avec leurs « cousines », les écoles de management privées ou associatives ?

E. L : On a parfois le sentiment qu’il faut payer cher pour avoir accès à un bon niveau de formation. Surtout aujourd’hui avec la création du grade de licence l’enseignement privé attaque aujourd’hui de front les universités. Hier le master, aujourd’hui la licence, bientôt le doctorat ? Les écoles privées revendiquent tous les habits des universités tout en conservant leur personnalité morale et leur indépendance. A contrario la Conférence des Grandes écoles (CGE) refuse l’entrée des IAE. Quel équilibre y a-t-il ? Mais pourquoi alors ne pas créer une Conférence des Grandes écoles universitaires ?

O. R : Quelle doit être la stratégie des IAE face aux écoles de management ?

E. L :Nous ne pouvons pas suivre exactement la même stratégie alors que nous n’avons pas les mêmes budgets. L’IAE Paris-Sorbonne c’est 15 M€ de budget quand HEC c’est 150 M€. Mais cela ne nous empêche pas d’être parfois choisis préférés à l’international face à HEC avec l’atout de La Sorbonne. Le seul doute qu’ont parfois les établissements étrangers sur notre qualité c’est quand ils voient la modicité de nos tarifs. Aujourd’hui nous pouvons créer des diplômes en France ou à l’international avec le sceau de La Sorbonne tout en employant également des professeurs du réseau des IAE. Par exemple des professeurs de La Sorbonne vont donner des cours en Guyane ou à l’IAE de la Réunion ou à l’IAE de Bordeaux. Jamais un professeur de HEC ne le fera à Kedge !

O. R : Vous avez présidé la section 6 du CNU (Conseil national des universités), celle des sciences de gestion, comment analysez-vous la fin de la qualification des maîtres de conférence et des professeurs par le CNU ?

E. L : Il faut bien distinguer les maîtres de conférence et les professeurs. Tant qu’il subsiste une agrégation la situation ne change pas du tout au tout pour les maîtres de conférence. En revanche la fin de la qualification pour les professeurs est la consécration d’une médiocrité globale. La qualification du CNU garantissait un niveau minimum de compétences dans 80 à 90% des cas. Demain c’est la proportion inverse qui va s’imposer. 10 à 20 % des universités recruteront les meilleurs professeurs, les autres recruteront leurs candidats locaux sans le niveau minimum en recherche avec des comités de sélection complaisants.

Nous pensons à une proposition alternative et souhaitons réactiver le concours d’agrégation qui finalement produit une liste d’aptitude. Des propositions seront faites rapidement pour maintenir cette idée d’un premier national de validation. Au sein des IAE nous songeons à la création d’une commission informelle pour donner un label. Sinon c’est la fin d’un statut national des professeurs d’Universités et chacun recrute comme il peut. C’est-à-dire que les grandes universités recrutent les bons et les autres seulement les moins bons.

O. R : Dernière question. Les élections ont lieu cette année pour l’IAE PARIS et le Réseau IAE FRANCE. Allez-vous- vous vous représenter à la direction de l’IAE Paris-Sorbonne et d’IAE France ?

E. L : Fin mai je me représente déjà effectivement à la direction de l’IAE Paris-Sorbonne. Notre bilan est globalement positif avec notamment des finances saines. Nous avons soldé l’épisode du rattachement à Paris-Dauphine. Jean-Pierre Helfer nous a solidement rattaché à Paris 1 et j’ai pu développer l’IAE depuis. Aujourd’hui j’y ai encore de nouvelles perspectives. Nous avons par exemple en tête la création d’une société universitaire de recherche pour faire de la valorisation et incuber des entreprises, voire loger une partie de notre formation continue. Nous avons également des connexions avec l’Ecole de management de La Sorbonne à développer encore.

La ministre de l’Enseignement supérieur aura à choisir entre les trois candidats présentés par le conseil d’administration de l’IAE Paris pour une décision fin juin. Si je suis choisi par le conseil d’administration et que ce choix est entériné par la ministre je pense bien me présenter pour un deuxième mandat à la tête de IAE France. Avec la pandémie nous n’avons pas pu mener à terme tout ce que nous envisagions

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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