Si cette rentrée est encore pleine d’incertitudes, elle est d’abord marquée par la mise en œuvre des toutes nouvelles classe préparatoires économiques et commerciales générales (ECG). Le regard du président de l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC), Alain Joyeux, sur les enjeux d’une année cruciale pour la filière déjà marquée par une polémique avec l’Essec sur l’organisation des concours.
Olivier Rollot : C’est la première rentrée pour les nouvelles classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG). Quel bilan pouvez-vous déjà en tirer ?
Alain Joyeux : Nous n’aurons les chiffres d’inscription définitifs de cette première rentrée qu’en octobre. Ce que nous avons déjà pu constater c’est une hausse de 28% des candidatures sur Parcoursup mais il faut être prudent car un plus grand nombre de parcours est offert aux futurs bacheliers. Avec plus de demandes dans les classes mathématiques appliquées qu’en mathématiques approfondies. Maintenant, il reste à voir si cette hausse du nombre de candidatures se traduira par une hausse des effectifs inscrits à la rentrée et là, c’est l’inconnue.
O. R : Comment expliquez-vous cette hausse des candidatures ?
A. J : Il y a sans doute un effet conjoncturel : les candidats savent qu’en classes préparatoires les cours ont bien été assurés en présentiel en dépit de la pandémie. Il faut aussi noter l’aspect économique : les classes préparatoires publiques sont quasi gratuites et cela peut jouer avec les difficultés économiques qu’on anticipe. De plus il y a eu un vrai effort de communication autour de la classe préparatoire, de son côté rassurant avec un vrai encadrement.
Les Grande écoles ont également su rappeler l’importance de la filière Classe préparatoire / Grande école avec qui amène tous les étudiants à la réussite au-delà du concours. Enfin dans la mesure où ils se sont tenus en distanciel, les salons d’orientation nous ont finalement permis de toucher beaucoup plus de candidats. Notre seul handicap a été de ne pas bien pouvoir communiquer sur les spécificités de la nouvelle classe préparatoire ECG ce qui a pu conduire les postulants à multiplier les candidatures sur différents parcours et établissements, par prudence.
O. R : Comment les lycées se sont-ils organisés pour ces nouvelles classes préparatoires ?
A. J : Beaucoup de lycées ont conservé les mêmes parcours et tout s’est passé sans trop de frictions en dépit de quelques situations locales difficiles. Il n’en reste pas moins de grosses inquiétudes quant aux services des professeurs en fonction des effectifs. Nous appelons nos tutelles à laisser cette réforme s’installer et à ne pas fermer des postes ou des classes cette année en fonction des variations d’effectifs à la rentrée 2021. Regardons les évolutions sur les trois prochaines années.
O. R : Vous le disiez : les élèves de classes préparatoires ont quasiment pu suivre tous leurs cours en présentiel en 2020-2021. Pas de différence de niveau donc avec leurs prédécesseurs ?
A. J : Nos élèves ont seulement dû suivre une semaine ou deux en distanciel. On ne peut donc vraiment pas parler de « génération sacrifiée ». Cela a été notamment plus compliqué pour les élèves de terminale ou de classes préparatoires en 2019-2020 qui ont compensé quelques lacunes par une sur-motivation. Je n’ai donc pas le sentiment que leur niveau ait été inférieur.
Ce qui était difficile à gérer c’était l’incertitude quant au passage des examens des concours. Jusqu’au dernier moment nous nous sommes interrogés sur le passage ou non des oraux en présentiel. Heureusement les écoles ont eu un discours rassurant en garantissant que les oraux auraient de toute façon lieu. Nos élèves sont certes hyper adaptables mais nous avons dû les rassurer plus que d’habitude. Nous nous réjouissons que les concours aient finalement pu se tenir dans des conditions quasi-normales.
O. R : Quelles grandes évolutions avez-vous pu noter chez vos élèves depuis 20 ans que vous enseignez ?
A. J : Les évolutions sont profondes. Nos élèves ont par exemple aujourd’hui besoin d’un accompagnement beaucoup plus individualisé. Ils sont plus fragiles, s’interrogent beaucoup sur la portée de ce qu’ils font. C’est une génération née en 2001 avec les attentats du 11 septembre, qui a connu la crise de 2008, le terrorisme, maintenant la pandémie. Une génération marquée par les événements qui créent des incertitudes plus grandes qu’avant sur leur avenir. Surtout, cette génération est en recherche de sens. Pour les soutenir et pour donner ce sens, les professeurs doivent être de plus en plus des coachs.
Les élèves veulent également en savoir plus sur ce que sera leur avenir après leur école. C’est dans cet esprit que 40 lycées proposent aujourd’hui des immersions en entreprise en première année. Des chefs d’entreprise parrainent même aujourd’hui des promotions.
Les compétences ont aussi évolué : d’un côté les capacités numériques de nos élèves sont sans commune mesure avec celles des élèves il y a 10 ans, de l’autre leur expression écrite est moins fluide. Au total ils ne sont pas moins bons, ils ont un panel d’acquis et de compétence différent de leurs prédécesseurs.
O. R : Les méthodes de travail ont également beaucoup évolué ?
A. J : Nous encourageons nos élèves à mutualiser leur travail et nous constatons que les promotions qui le font le plus sont aussi celles qui ont les meilleurs résultats. La classe préparatoire n’est plus le temple de l’individualisme forcené telle qu’on la présentait il y a 20 ans. Et nous insistons également beaucoup sur l’équilibre de nos étudiants en les poussant à conserver une activité sportive ou associative. C’est important qu’ils conservent une vie sociale, amicale ou affective. D’ailleurs l’épreuve d’entretien de personnalité est également là pour évaluer cet équilibre.
O. R : La préparation de ces oraux n’est-elle pas problématique aujourd’hui avec des épreuves qui varient de plus en plus d’une école à l’autre ?
A. J : Nous les préparons avec des jurys mixtes constitués de professeurs et de chefs d’entreprise, DRH ou parfois de parents d’élèves auxquels nous expliquons les différentes formes d’entretiens. Certains élèves demandent spécifiquement à passer un entretien type d’une école. Trois ou quatre samedis dans l’année y sont consacrés. Mais cela deviendra ingérable si toutes les écoles se différencient trop leurs épreuves. Notons également qu’il n’y a pas de moyens dédiés au niveau national à cette préparation. Chaque lycée essaie de trouver des solutions en comptant souvent sur le bénévolat des uns et des autres. C’est paradoxal alors même que les épreuves d’entretien sont très fortement coefficientées.
O. R : Qu’est ce qui devrait changer pour mieux assurer la pérennité de la filière ?
A. J : La pérennité de la filière passe par un approfondissement du continuum CPGE-GE. Rappelons que les CPGE ne sont pas diplômantes, elles constituent les deux premières années d’un cursus en 5 ans vers le Master en management à l’issue de la grande école. La lisibilité et la cohérence de ce cursus doit être renforcée, nous y travaillons avec les écoles.
Mais nous alertons aussi les écoles sur le montant de leurs frais de scolarité. Quand ils atteignent les 17 500€ par an cela devient insupportable même pour les classes moyennes. D’autant qu’il faut encore y ajouter les frais de vie et le logement. C’est un vrai problème pour les familles auxquelles il faudrait par exemple permettre des défiscalisations de frais de scolarité. Ces frais trop élevés sont une vraie menace pour l’attractivité de la filière. Durant l’été 2021, l’APHEC a été alertée par un nombre anormalement élevé de cas (signalés par les professeurs) d’’étudiants ayant des difficultés à financer leur scolarité. Certes, les écoles prennent des initiatives pour aider leurs étudiants, mais il faut aller beaucoup plus loin. Le problème devient réellement inquiétant.
O. R : D’autant qu’on vous demande de recevoir de plus en plus de boursiers !
A. J : Aujourd’hui les écoles de commerce reçoivent en moyenne 25% de boursiers. Pour encore progresser le principal problème est l’autocensure en amont. La décision de ESCP d’accorder la gratuité des frais de scolarité aux boursiers des échelons supérieurs va dans le bon sens même si ce n’est qu’un premier pas.
Avec la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) nous avons aujourd’hui le projet d’organiser une « Journée nationale des classes préparatoires ». Les écoles libéreraient leurs étudiants pour qu’ils aillent à la rencontre des élèves dans les lycées et particulièrement les moins favorisés.
O. R : HEC entend dès l’année prochaine favoriser les candidats tentant le concours après deux années de prépas au détriment des « cubes ». Seuls les boursiers cubant seraient exemptés. Comment recevez-vous cette idée ?
A. J : Nous sommes plus que réservés vis-à-vis de cette idée qui ne répond pas à une demande des boursiers et ne traite pas les vrais problèmes. HEC parle d’une expérimentation pendant 3 ans mais cela ne règle pas le problème des frais de scolarité. Nous sommes donc dubitatifs. Le problème de l’ouverture sociale se situe essentiellement en amont, dès le collège et le lycée. Pour autant, il est grand temps d’agir. Nous verrons le résultat de l’expérimentation HEC
Ce qu’il faut aussi, c’est prévoir des systèmes d’accompagnement plus importants des boursiers. Pendant leur scolarité mais aussi au début de leur carrière professionnelle. Quoi qu’il en soit, l’APHEC est pleinement mobilisée sur le dossier de l’ouverture sociale.
O. R : L’Essec a officiellement annoncé le 6 septembre la mise en place de la double barre d’admissibilité applicable dès le concours 2022. Quelle est votre réaction ?
A. J : Nous attendrons le bilan de cette mesure dans 2 ans. Mais nous condamnons vivement le timing et la forme. Alors même que l’Aphec avait demandé aux membres du Cdefm d’annoncer ce type de mesures au plus tard fin juillet, l’Essec a attendu le 2 septembre ! Ainsi, les élèves de prépas qui ont décidé cet été de cuber (les non boursiers) ou de ne pas le faire (les boursiers) ignoraient cette mesure qui auraient pu modifier leur choix. Maintenant, ils ne peuvent plus faire marche arrière, les règles du jeu sont donc pour eux modifiées en aval de leur décision. C’est inédit et inacceptable, contraire à l’esprit du continuum CPGE-GE que nous bâtissons depuis 5 ans.
Pire, ni les élèves de prépas, ni les professeurs, ni les proviseurs n’ont été directement informés cet été de la décision de l’école. Ce sont pourtant les premiers concernés ! Nous avons fait part de notre réprobation à la direction de l’école et demandé que la mesure ne soit appliquée qu’en 2023, manifestement sans succès.
O. R : Certains verraient bien les concours disparaitre sous leur forme actuelle. C’est déjà le cas à Sciences Po par exemple. Pourquoi faut-il préserver les concours ?
A. J : Les concours présentent une garantie d’équité bien meilleure que tous les autres systèmes. D’ailleurs les boursiers y réussissent aussi bien que les autres candidats. Nous persistons à croire à la méritocratie républicaine et les concours, même s’ils ne sont pas parfaits, permettent de l’assurer. Rien ne prouve que le modèle Sciences Po soit plus équitable et nous espérons que son modèle soit un jour réellement évalué.
O. R : Les concours ne semblent pas devoir beaucoup évoluer dans les deux ans à venir alors que les classes préparatoires se sont transformées.
A. J : On aurait pu réfléchir à mettre en avant la diversité des parcours issus du nouveau bac dans les concours post prépas en ajoutant deux points par exemple pour la matière héritée du lycée. Une épreuve au choix aurait également pu être proposée mais, pour des raisons de coût, l’idée n’a pas été retenue. Cela aurait été cohérent avec la réforme. Au final il n’y aura dans deux ans effectivement que peu d’évolutions alors que cela aurait été l’occasion de démontrer que nous ne sommes pas le temple du conservatisme. Paradoxalement, ce sont les écoles qui n’ont pas souhaité de grands changements, considérant que dans ses grandes lignes, la structure des concours permet de sélectionner efficacement les candidats qu’elles recrutent.
O. R : Des débats assez vifs ont eu lieu entre les écoles et les professeurs de classes préparatoires quant à l’évolution des épreuves de langues. Au final qu’est-ce qui va changer ?
A. J : Cela concerne les épreuves ELVI. La part de la traduction va diminuer au profit d’exercices de synthèse et d’essai. Les professeurs de langues sont convaincus du caractère formateur irremplaçable de la traduction. Nos collègues ont la légitimité de leur expertise, il a fallu le rappeler à cette banque d’épreuves. L’Aphec s’est fortement mobilisée sur ce point d’où la vivacité des débats. Une solution de compromis nous a été présentée fin juin mais de nombreux aspects restent à préciser. Nous attendons les sujets zéro promis par ELVI pour clarifier les attendus qui restent assez flous et avoir une meilleure idée des futures épreuves. Les professeurs de langues déplorent d’ailleurs que ces sujets zéro n’aient pas été publiés avant la rentrée.
O. R : Les profils des bacheliers que vous recevez cette année évoluent. Qu’en attendez-vous ?
A. J : Avec la réforme nous allons recevoir des profils beaucoup plus hétérogènes. Bien meilleurs dans leur spécialité. Mais comment allons-nous gérer cette hétérogénéité ? Il va par exemple falloir trouver des solutions pour faire cohabiter des élèves qui ont choisi la spécialité mathématiques et l’option mathématiques expertes en terminale quand d’autres se sont contentés de l’option mathématiques complémentaires. Certains lycées vont débloquer des heures de mathématiques pour ces derniers mais rien n’est prévu au plan national. Nous pouvons malheureusement nous attendre à des solutions au cas par cas qui dépendront des moyens – inégaux – que les établissements pourront dégager.
O. R : Avec la pandémie il semble que les bacheliers soient notés de façon de plus en plus « positive ». Un phénomène qui n’est pas nouveau quand on voir l’augmentation exponentielle des mentions au bac. Dans ce contexte cela ne devient pas de plus en plus difficile pour les classes préparatoires de recruter leurs élèves en mesurant bien leur véritable niveau ?
A. J : Nous constatons effectivement une inflation du nombre de très bons dossiers. Dans une classe où la moyenne en mathématiques est de 17 et en anglais de 16 que vaut celui qui a 15 ? Les lycées font tout pour avoir les meilleures notes sous la pression des élèves et des familles. C’est particulièrement visible dans les lycées privés, même sous contrat. Il faudrait un cadrage national sinon, avec le contrôle continu, c’est la course aux meilleures notes qu’on voulait justement éviter avec la création des épreuves communes. Nous sommes aujourd’hui amenés à donner plus de poids aux appréciations des professeurs qui sont plus signifiantes que les notes. Il reste que les dossiers des futurs bacheliers sont de plus en plus difficiles à différencier, donc à sélectionner.
De plus avec l’éclatement du groupe classe suite à la réforme du lycée, il n’y a plus d’harmonisation du classement des élèves. Certains lycées ont classé les élèves dans leur classe, d’autres dans leurs groupes de spécialité. Parcoursup doit absolument harmoniser les pratiques.
O. R : Une dernière question pour clore cet entretien : comment analysez-vous les résultats du Sigem cette année ?
A. J : L’Aphec tient à entretenir les mêmes relations avec toutes les écoles. Je me garderai donc bien de commenter au cas par cas les résultats de chacune. Pour autant, les dynamiques observées l’année dernière se sont plutôt confirmées et il est plutôt salutaire que le classement Sigem ne soit pas figé, c’est un signe de dynamisme de la filière. Parce que les élèves recherchent du sens, ils choisissent un projet d’école beaucoup plus qu’un classement (sauf pour les Parisiennes). Quand ce projet les séduits, quand ils ont le sentiment qu’au sein du PGE certains programmes sont adaptés ou profilés pour les élèves sortant de prépa, ils adhèrent.
Ceci dit, évitons tout déterminisme : certaines écoles ont des résultats SIGEM décevants alors même qu’elles offrent des programmes intéressants. Convaincre, c’est un travail de longue haleine qui ne se mesure pas sur une seule année.